CLAUDE ARZ

Pèlerin de la France mystérieuse

Claude Arz
Claude Arz

Ce fabuleux conteur nous emmène dans un nouveau voyage à travers cette France mystérieuse qu'il parcourt inlassablement en tous sens depuis des lustres, traquant l'insolite, les êtres en marge, les hauts lieux "chargés" de forces inconnues, les légendes et le merveilleux qui se dissimule derrière les croyances populaires et les cultes les plus étranges.

Partant de Paris, il nous entraîne chez les druides de la Bretagne de sa jeunesse (son père y était un guérisseur renommé), nous fait rencontrer des peintres et des sculpteurs magiques, des alchimistes toujours en quête d'absolu, des chamans, des saints, des mages, de doux rêveurs, des hurluberlus, des sorciers et des guérisseurs traditionnels.

En le suivant, d'étape en étape, nous rencontrons des êtres «possédés» par des secrets et des pouvoirs plus grands qu'eux, nous visitons des lieux incroyables, côtoyons l'improbable, éprouvons des sensations oscillant entre l'épouvante, l'indicible et la naïveté simple d'un monde enfantin.

Des châteaux noirs de l'alchimie de l'Anjou aux mordus de la bête dans le Gévaudan, nous découvrons une France profonde, belle et mystérieuse comme nos rêves d'enfants.

Claude Arz est un être passionné, un amoureux du merveilleux, jamais dupe, ni crédule mais gourmand, avide de connaissances, ne craignant pas de coucher avec une fée, de tirer la queue du diable ou de mordre à pleines dents dans le fruit défendu.

Voici, un extrait du chapitre XVI de son ouvrage, parlant d'un haut-lieu de Dordogne que nous connaissons bien, et que nous nous permettons d'illustrer à notre manière.

Présentation, illustrations et légendes
de Marc Schweizer

Abbaye
Cour de l'Abbaye et les grottes
Aux premiers siècles du christianisme, des ermites vécurent dans les grottes qui servirent plus tard de refuge et de dépendances aux moines bénédictins de l'Abbaye Saint-Pierre de Brantôme fondée par Charlemagne. La grotte la plus mystérieuse et la plus impressionnante est celle du «jugement Dernier.»
VOYAGES DANS LA FRANCE MYSTÉRIEUSE

Le Triomphe de la Mort
Quand j'ai découvert les hauts-reliefs de l'abbaye troglodytique de la petite ville de Brantôme, j'ai tout de suite fait le rapprochement avec les danses macabres de la fin du Moyen åge. Je suis resté seul durant deux heures sur le site, fasciné par une fresque barbare sculptée, unique en France.

Il s'agit d'un haut-relief d'environ cinq mètres sur cinq qui représente la Mort dominée par Dieu. La partie supérieure est constituée d'une monumentale divinité obèse aux yeux globuleux, qui n'a rien de chrétien. Elle est entourée d'un ange en vol et de deux personnages agenouillés. Juste en dessous, la Mort armée de sa faux est flanquée de chaque côté d'un ange sonnant de la trompette.

En guise de soubassement, une tête couronnée de tibias et de fémurs. De part et d'autre, des petits figurants de toutes conditions sociales: des guerriers, des dames, des moines... Le marquis de Fayolle y voyait même un pape, un bourgeois, un empereur, une religieuse et un seigneur.

Haut Relief
Au sommet, assis sur son trône un personnage barbu et imposant, Dieu en majesté, les yeux ouverts, les bras croisés, projetant son autorité indifférente sur le monde qui s'agite au-dessous de lui. A ses côtés, deux personnages à peine esquissés, deux fantômes en adoration, les mains jointes. Au-dessus de la sculpture on distingue les alvéoles où les moines avaient creusé un pigeonnier à même la falaise.
Tous dansent avec la Mort, les riches et les pauvres réunis, les puissants seigneurs comme les manants. Seul le Dieu tutélaire règne sans partage au-dessus des hommes, leur rappelant qu'il n'y a pas de salut sans lui, qu'il est le maître des vies.

Cette sculpture rappelle les danses macabres peintes pour édifier les populations, montrer que la vie sur terre conduisait inéluctablement à la mort et maîtriser les désordres, les guerres et les tentations de la fin du XVe siècle.

Crucifixion
Sur la paroi à droite du Triomphe de la Mort, un thème plus familier: la Crucifixion. Un Christ en croix, entouré de Marie à sa droite et de Jean à sa gauche, domine la ville de Jérusalem. Marie Madeleine étreint la croix. De part et d'autre, un moine assis et un personnage agenouillé contemplent la scène.

Ce panneau, assez conventionnel, a probablement été réalisé plus tardivement que le Triomphe de la Mort, vraisemblablement au XVIIIe siècle.

Une atmosphère païenne pesait sur la grotte du Jugement dernier. Le dieu sculpté, assis dans un fauteuil de pierre, évoquait une divinité gauloise. Laquelle? Je n'en savais rien.

Mort
Sous le trône, jaillie d'une tête couronnée comme d'une boîte, la mort triomphante et rieuse. Entourée comme Dieu de deux personnages, deux anges de l'Apocalypse agenouillés, dont les trompettes embouchées annoncent le jugement dernier.
- C'est Lug, me dit une petite voix nasillarde à l'accent légèrement anglais juste derrière moi.

Je me retournai et je vis une vieille dame qui me souriait.

- Lug ? demandai-je.

- Le dieu gaulois, expliqua-t-elle. Il guide les voyageurs. Demandez-lui quelque chose et vous l'obtiendrez. Moi, ça fait vingt ans que je viens, et à chaque fois ça marche.

Avant que je ne réagisse, elle était partie. Je regardai plus attentivement. La femme devait se tromper, mais ce qui était sûr, c'était qu'une impression de force sauvage émanait de la sculpture. Je me plus à imaginer une idole destinée à quelque culte sacrificatoire.

De quand datait le haut-relief ? De la fin du XVe siècle, affirment les archéologues Brigitte et Gilles Delluc. Mais, si l'époque est avérée, on ne sait rien du sculpteur, tant son style est étranger aux courants religieux connus de l'époque.

Comme aucun document n'est jamais venu éclairer son origine, toutes sortes d'hypothèses ont été émises. La falaise de Brantôme a été habitée dès la préhistoire. Par conséquent, des hérésiarques ont pu s'y installer, tout comme des partisans du gentilisme, qui avaient fondé un ermitage dans la région. D'autres évoquent plutôt un art populaire et contestataire, dans le même esprit que les statues de Dénezé-sous- Doué.

Fontaine St Sicaire
A l'extérieur de la grotte du jugement, des pélerins viennent puiser l'eau miraculeuse de la fontaine Saint-Sicaire. Elle rend les femmes fécondes, guérit les enfants, préserve le pucelage des adolescentes tourmentées. Proche de la figuration de la mort triomphante, la fontaine Saint-Sicaire témoigne de la pérennité de la vie.
En quittant Brantôme, je savais que la mort finit toujours par triompher. Et aussi qu'au Moyen åge elle avait été apprivoisée par des fresques et des statues, contrairement à aujourd'hui où elle effraye à nouveau.

Les peuples urbains l'ont évacuée et ont rejeté les cadavres de leur univers. Les morts sont oubliés le plus rapidement possible. Mais il fut une époque pas si lointaine où des formes fantomatiques gémissantes surgissaient des profondeurs des forêts et venaient frôler les murs des chaumières ou frapper à la porte des châteaux pour demander asile.

Ces croyances actives et fécondes étaient imprégnées à la fois de légendes celtiques et de morale chrétienne. Dans ce contexte, l'âme survivait après la disparition du corps physique, et se matérialisait pour partager quelques instants de vie avec les membres de son ancienne famille. Les hommes ne détestaient pas ce compagnonnage de la confrérie des morts, cherchant très souvent à communiquer avec eux.

Ce monde trouble et funèbre des fantômes était un univers parallèle peuplé de créatures nocturnes qui accompagna les vivants pendant des siècles. Les peuples des campagnes avaient une étonnante faculté poétique pour imaginer des créatures terrifiantes ou merveilleuses à partir d'un simple rayon de soleil couchant dans les feuillages ou de la forme humanoïde d'une branche de chêne.

En Bretagne, par exemple, l'Ankou (1), l'ouvrier de la Mort, était chargé de faucher les hommes et les femmes de village en village, de ville en ville, sans un seul jour de repos.

Ankou
L'Ankou de Ploumilliau
(1.) L'Ankou est l'ouvrier de la Mort (oberour ar maro en breton). Tous ceux qui l'ont vu « travailler» (les témoins sont rares) l'ont décrit comme un homme très grand et squelettique, au visage cadavérique encadré de longs cheveux blancs et ombragé d'un large chapeau. Vêtu d'un manteau noir, il serre dans sa main droite une faux dont le tranchant est tourné vers l'extérieur pour pousser en avant plus facilement les cadavres dans le royaume des ténèbres. Si on ne possède pas de photo de l'Ankou, on peut cependant admirer dans l'église de Ploumilliau (Côtes-d'Armor) une statue en bois qui le représente.
Loin des cercles spirites parisiens s'est ainsi développée une authentique culture populaire, inspirée par la croyance dans l'immortalité de l'âme. Qu'on les appelle fantômes, revenants, spectres ou apparitions, tous ont exercé une réelle séduction sur les hommes, avec leur cohorte de cadavres ambulants et de morts sans tête peuplant les landes et les anciens chemins gaulois.

Jusqu'au XIXe siècle, la mort était familière aux hommes. Avec les famines, les guerres et les épidémies qui ravageaient les villes et les campagnes, « les hommes avaient apprivoisé la mort », selon la formule de l'historien Philippe Ariès. De ce tragique sentiment naquit un vaste mouvement de culture populaire fortement imprégnée par les thèmes macabres.

Après la grande épidémie de peste du milieu du XIVe siècle, qui décima environ un tiers de l'Europe, les danses macabres commencèrent à recouvrir les murs. En montrant la mort insensible aux inégalités sociales, fauchant le pape comme le pauvre tailleur de pierre, l'empereur comme le mendiant, les artistes voulaient dénoncer la vanité des distinctions sociales.

Généralement, les danses macabres (2) étaient des farandoles peintes, plus rarement sculptées, sur les murs extérieurs des cloîtres, des charniers, des ossuaires ou à l'intérieur de certaines églises.

L'abbaye bénédictine troglodytique de Brantôme, fondée par Charlemagne en 769, abrite l'un des plus beaux ensembles sculptés dans un site troglodytique d'après les spécialistes, au même titre que ceux du temple d'Abou-Simbel en Égypte et de Pétra en Jordanie.

(2). Aujourd'hui, en France, on trouve plusieurs danses macabres abritées dans des sanctuaires catholiques: à Kernascléden, dans le Morbihan; dans la chapelle de Kermaria an Iskuit à Plouha, dans les Côtes-d'Armor; à Kientzheim, dans le Haut-Rhin; à Meslay-le-Grenet, dans l'Eure-et-Loir ; dans l'église Saint-Germain à La Ferté-Loupière, dans l'Yonne.

Danse macabre
La danse macabre de Kientzheim
Trois personnages, un prince, un docteur et un comte croisent sur leur route les cadavres de trois ecclésiastiques les exhortant à la repentance par ces mots :
Tel je fus comme tu es, et tel que je suis, tu seras.

Ouvrage paru aux Éditions
Le Pré aux Clercs

Claude Arz : Lire aussi :
Mystères et légendes de nos campagnes

 
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