THÉOSOPHES ET ANTHROPOSOPHES
Un monde de fous, d'illuminés, de sages, ou de mythomanes ?

Helena Blavatsky – Colonel Olcott – Annie Besant – Rudolf Steiner
Un siècle passionné par le Spiritisme
A la fin du XIXe siècle, dans un monde passionné par le spiritisme, quelques personnalités fortes et originales ont profondément renouvelé les traditions ésotériques occidentales. Sur l'initiative d'Helena Blavatsky et du colonel Olcott, la Société théosophique renoua avec d'antiques enseignements orientaux au milieu d'un déploiement extraordinaire de miracles, de mirages et de trucages. Issue de ce même mouvement, la société anthroposophique a tenté sous l'impulsion de Rudolf Steiner, de réhabiliter la mystique chrétienne. Les innombrables chapelles occultes issus de leurs principes ont marqué nos vies spirituelles, culturelle et politique.

En 1873, la rencontre imprévue d'une Russe extravertie et d'un franc-maçon américain, adeptes de croyances indoues, tibétaines ou égyptiennes, donne naissance à la Théosophie puis à l'Anthroposophie.

À la fin du XIXe siècle ces mouvements ont joué un rôle important dans l'émancipation des femmes, le progrès social, le pacifisme et la décolonisation.

HELENA BLAVATSKY

Helena Blavatsky (1831-1891) et le colonel Henry Steele Olcott (1832-1907), vont bousculer les traditions ésotériques, dans un extraordinaire déploiement de miracles, de trucages et de bavardages.

Helena Blavatsky – Henry Steele Olcott
Après des décennies de prosélytisme et une fulgurante réussite, entrecoupées de trahisons et de scissions, ce mouvement attirera des personnalités aussi différentes que le président des États-Unis Hayes, Gandhi ou Krishnamurti. Sous l'impulsion de Rudolf Steiner (1861-1925), la théosophie enfantera la Société anthroposophique réhabilitant une mystique chrétienne malmenée par les occultistes, les mages et les socialistes.
Helena Petrovna Blavatsky
Helena Petrovna Blavatsky, (H.P.B.) est née en 1831 à Iekaterinoslav (Ukraine) dans une famille honorable, lors d'une terrible épidémie de choléra. A son baptême, la soutane du pope prit feu au contact d'un chandelier. La bousculade qui en résulta fit plusieurs blessés et conféra au bébé la réputation de porter la poisse. D'autres incidents mystérieux, qu'il serait trop long de décrire ici, jalonnèrent son enfance et son adolescence.

A 16 ans, elle épousa Nicéphore Blavatsky, un général septuagénaire. Les versions touchant à cette étrange union divergent. Selon les uns, ce mariage mal assorti fut imposé à la jeune fille par sa famille; pour d'autres, Helena aurait elle-même provoqué cet hymen pour relever un défi paternel. Se refusant obstinément à son époux, - ce qui n'était pas bien vu dans ce temps-là, on a preacute;tendu qu'Helena souffrait d'une anomalie sexuelle congénitale. Son vieux mari aurait tenté de lui faire violence. Pour la mâter, il alla jusqu'à l'enfermer. Elle s'évada.

La découverte d'Isis et des secrets égyptiens
Craignant de voir son père la contraindre à réintégrer le foyer conjugal, Helena utilisa les subsides qu'il lui envoyait pour gagner l'Égypte à bord d'un petit voilier anglais.

C'est au Caire, selon la légende dont elle entoura sa vie, qu'aurait débuté son parcours initiatique, avec la rencontre d'un certain Paulos Metamon. Ce personnage mystérieux, prestidigitateur et magicien, l'aurait initiée au culte d'Isis et à d'autres secrets serait en fait celui que, par ailleurs, elle appelle "John King".

Baha-Ullah – John King
Nantie de ce bagage ésotérique, Helena se rendit à Paris puis à Londres, où elle donna des leçons de piano pour survivre.

Dans ces villes, Helena fréquenta aussi bien les cercles socialistes que les cénacles spirites en pleine effervescence. Elle y noua des contacts avec des agitateurs politiques, de mages et des médiums.

Un « maître » mystérieux
C'est à Londres, où son père était venu lui rendre visite vers 1852, qu'Helena prétend avoir rencontré le deuxième « maître » de son parcours initiatique. La jeune fille l'aurait immédiatement « reconnu » au sein d'une délégation diplomatique népalaise, pour l'avoir entrevu au cours de ses rêves d'enfant.

Maître Morya
Sous le surnom de mahatma Morya ou Maître Morya, il nous est décrit comme le « supérieur inconnu » qui allait charger H.P.B. de multiples « missions ».

En 1855, Helena dit avoir voyagé aux Indes, sillonné le Cachemire, observé les miracles accomplis dans un monastère bouddhique du Ladakh et franchi la chaîne de l'Himalaya, sans parvenir à pénétrer au Tibet, « les temps de la révélation n'étant pas encore venus pour elle ». En 1857, elle séjourne à Paris, en Perse et en Chine, où, cette fois, elle aurait été enfin initiée au bouddhisme.

La réalité de ces voyages est contestée, non seulement par les détracteurs de la théosophie, mais également par certains de ses zélateurs. Sa trace ne reparaît de manière vérifiable qu'en 1858, en Russie où elle acquiert une notoriété mondaine grâce aux phénomènes surnaturels qu'elle provoquait dans les salons proches de sa famille. Puis elle se serait retirée dans le Caucase, pour vivre quelques années en ermite.

La revoilà en Italie, en 1866, se lançant dans l'action directe aux côtés de Garibaldi, participant aux combats de Viterbe contre les gardes pontificaux, où elle fut grièvement blessée. Fin 1867 à Paris, elle tombe sous l'influence du sulfureux journaliste Victor Michal, ami d'Allan Kardec, participant dans son cénacle à des expériences de dédoublement de la personnalité et de somnambulisme. Alors H.P.B n'aurait-elle été qu'une vulgaire mythomane, une aventurière, ou une véritable initiée ? Les avis sont partagés.

H.P.B. rencontre le colonel Olcott

Le 7 juillet 1873, Helena Blavatsky débarque à New York. Elle y vit de menus travaux, rencontre des occultistes auxquels elle se présente comme « inspirée » par un « esprit » répondant au nom de John King, lorsque se présente la plus grande chance de sa vie en la personne du colonel Olcott.

Curieux personnage, que ce colonel Henry Steele Olcott. Né le 2 août 1832 à Orange (New Jersey), cet ingénieur agronome et fin lettré, avait acquis son grade durant la guerre de Sécession sans tirer un coup de feu. Enrôlé dans la police militaire pour sa compétence, il enquêtait sur les malversations commises dans les marchés de l'approvisionnement des armées. Ses ennemis disent qu'il profita de la situation pour tripatouiller à son propre profit !

Démobilisé, il ouvrit un cabinet de consultant qui lui permit de se constituer une belle fortune. Ses goûts éclectiques l'amenèrent à partager ses loisirs entre sa loge maçonnique et l'étude des phénomènes paranormaux.

En 1874, venu enquêter dans une ferme du Vermont sur les « matérialisations » réalisées par les frères Eddy, il resta à déjeuner. Au cours de ce repas, « apparut une grosse dame » qu'il devait décrire comme « un monstre de type mongoloÏde ridiculement affublé d'une tunique écarlate ». Il s'en amusa avec le dessinateur de presse qui l'accompagnait.

Ses relations avec Helena Petrovna Blavatsky débutaient plutôt mal. Pourtant, dès les premiers mots échangés, son magnétisme le subjugua. Le colonel lui rendit visite à New York et assista épaté à ses expériences de magie et de médiumnité. Avec l'entrée d'Olcott dans sa vie, Helena n'eut plus de problèmes matériels. Son nouvel ami l'aida à écrire une série d'articles sur la magie qui passionnèrent les lecteurs.

Mais, un grain de sable vint briser son élan. En effet, Dunglas Home, un célèbre médium pourfendeur de charlatans, tira à boulets rouges sur Helena Blavatsky. Démontant ses trucs, se moquant de ses tours de magie, il la força à s'éloigner.


Daniel Dunglas Home

Isis et les « mahatmas »
À New York, Olcott servant de « nègre », Helena rédigea un premier livre Isis dévoilée sous la dictée médiumnique d'un certain « mahatma K.H. »

Lors de sa parution, en 1875, le livre rencontra un vif succès même si une minorité de critiques parla d'une « laborieuse et fastidieuse compilation d'emprunts mal digérés ». Le tandem Blavatsky-Olcott décida de constituer une association pour diffuser leurs théories.

Ce fut au cours d'une causerie privée rassemblant le 17 septembre 1875 une quinzaine de personnes, que débuta la grande aventure de la Théosophie. Georges H. Felt (1831-1895), professeur de maths féru d'égyptologie, y parla devant des auditeurs médusés des pouvoirs immenses conférés aux adeptes du culte secret d'Isis, ce que confirma H.P.B. en exposant sa propre expérience.

Nul ne sait ce qui se passa et se dit exactement ce jour-là. La légende prétend que les « supérieurs inconnus » se seraient manifestés en cours de séance pour préciser leurs instructions.

La Société théosophique
Une nouvelle réunion jeta les fondations de l'association et, le mois suivant, la société publia ses statuts et élisait son bureau: Olcott en serait président; Felt et son confrère le Dr Seth Pancoast (1823-1889), kabbaliste, vice-présidents; Helena Blavatsky, bien que modeste secrétaire en titre, allait s'en affirmer la principale inspiratrice par les contacts qu'elle entretenait avec les « guides ».
Dr Seth Pancoast – George H. Felt

Loin de limiter ses recherches sur le seul culte d'Isis, la nouvelle obédience allait étudier toutes les religions et toutes les philosophies du monde, œuvrer pour la paix, promouvoir l'émancipation des femmes et des peuples opprimés.

Mme Blavatsky veilla à maintenir son mouvement à l'extérieur à la franc-maçonnerie qui excluait encore les femmes.

La doctrine des théosophes
Les deux principes fondamentaux de la théosophie sont la croyance dans la réincarnation et la loi de Karma.

La première enseigne qu'après la mort, notre âme renaît dans des corps successifs, en s'améliorant jusqu'à la perfection.

La loi de Karma affirme que toute action bonne ou mauvaise entraîne une réaction proportionnée, dans cette vie ou dans une autre.

La théosophie, dont le succès fut aussi rapide qu'universel, évolua au cours des ans, puisant ses éléments dans le spiritisme, la franc-maçonnerie, le culte d'Isis, les védantas, le bouddhisme.

Un voyage décisif
H.P.B. et le colonel décidèrent de se rendre aux Indes, où leurs adeptes étaient de plus en plus nombreux, munis de passeports diplomatiques. Cet incroyable privilège accordé à des particuliers laissa planer sur ce voyage la présomption de dissimuler une mission secrète politique.

Helena Blavatsky (debout au centre), Henry Steel Olcott (au centre, assis)
Damodar Mavalankar (3e de la gauche) lors d'un congrès de la Société de théosophie à Bombay (Mumbai) en 1881.
En janvier 1879, le couple faisait escale à Londres, mais le but de leur voyage était Calcutta où ils arrivèrent le 16 février, chaleureusement accueillis par une délégation de théosophes du pays. Les missionnaires chrétiens, en revanche, et la plupart des anglo-indiens, les ignorèrent, les soupçonnant d'être des agents provocateurs stipendiés par le gouvernement américain pour semer la perturbation dans l'Empire britannique.

Dès sa première conférence, Olcott donna le ton, proclamant solennellement que le monde retrouverait son inspiration spirituelle grâce à la renaissance de la langue sanskrite, de la pensée et de la fierté hindoues, ce qui ne manqua pas de déplaire aux autorités britanniques.

Les deux théosophes effectuent alors une tournée triomphale à travers le pays.


Helena Blavatsky en Inde
Dans la ville sainte de Bénarès, ils adjurent le pandit Bala Shastri, grand spécialiste du sanskrit, de tout faire pour la résurrection de cette langue admirable. Leur hôte, Ishvari Prasad Narayan Singh le maharajah local, leur fait une fabuleuse donation, qui permit de financer durant des années l'essor mondial de la Société théosophique.

En 1882, Mme Blavatsky et le colonel Olcott acquièrent près de Madras le palais d'Adyar - qui abrite aujourd'hui encore le centre mondial du mouvement.


Paais Adyar siège de la Société Théosophique

Confiant le centre à leur disciple hindou Subba Row, c'est donc au sommet de leur gloire qu'ils regagnent l'Occident.

Retour en Europe : la fin de l'épopée
Ils quittent l'Inde en février 1884 à bord du Chandernagor pour débarquer à Marseille au milieu d'une incroyable mise en scène. De là ils se rendent à Cimiez, à l'invitation de la duchesse de Pomar future animatrice de l'obédience en France.

De retour à Londres, ils apprennent qu'en leur absence des Indes, leurs adversaires avaient repris l'offensive. Une enquête fut ouverte à leur encontre par la Society for Psychical Research qui ne badinait pas avec l'éthique des chercheurs en parapsychologie.

Les deux théosophes durent fuir précipitamment l'Angleterre. Ils sont à Bombay en novembre 1884, donnent des conférences de presse, retournent à Madras, sans parvenir à enrayer la campagne de calomnies dont ils étaient l'objet.

Très éprouvée par ces persécutions, H.P.B. consent à démissionner du mouvement dont le colonel devait garder la tête, en expliquant que Mme Blavatsky venait de recevoir de leurs « supérieurs » une mission très importante.

Durant son exil européen, Helena consacra ses dernières années à la rédaction de La Doctrine secrète.


Helena Blavatsky en 1887
Ne voulant pas renoncer à exercer son pouvoir sur la Société théosophique, Helena rassembla les plus actives de ses aristocratiques amies européennes au sein d'une Section ésotérique qui intronisa Annie Besant comme son héritière spirituelle.

Le 8 mai 1891, Helena Blavatsky devait se séparer provisoirement de son corps devenu obèse, pour rejoindre ses guides dans les mondes invisibles.

Quant au colonel Olcott, sa mort, suivie de l'incinération de son corps physique à Adyar, le 17 février 1907, ouvrit une crise de succession. Le mouvement, tel qu'il l'avait lancé avec H. P. B., ne devait jamais s'en relever.

Conformément à ses vœux et à ceux de H. P. B., Annie Besant allait le remplacer à la tête de la Société théosophique, dont elle infléchit l'orientation de manière très personnelle.

ANNIE BESANT
(1847-1933)


Une pionnière du féminisme, malthusienne et socialiste
Parmi les fortes figures qui ont contribué au rayonnement mondial de la théosophie, celle d'Annie Besant reste l'une des plus marquantes. Elle était née à Londres, le 1er octobre 1847, dans une famille de bourgeois aisés, les Wood. Prématurément orpheline de père, elle n'avait que seize ans lorsqu'elle épousa Frank Besant, un pasteur anglican conformiste dont elle devait garder le nom. Un garçon et une fille naquirent de ce mariage malheureux.

Une nuit de l'été 1871, après une scène de ménage particulièrement violente, elle se serait donné la mort sans l'intervention d'une voix mystérieuse. Paradoxalement, cet incident l'incita tout à la fois à rompre avec l'Église et avec son mari. Lui laissant leur fils, elle retourna chez sa mère avec leur fille. Pour vivre, elle écrivit des contes et des pamphlets qui la firent connaître.

Aux côtés de Charles Bradlaugh, un député libre penseur, elle embrassa les causes du socialisme matérialiste, de l'émancipation des femmes et du contrôle des naissances. En 1877, elle fut à l'origine de la création de la Ligue malthusienne et y devint célèbre par la vigueur de ses prises de parole. Elle y perdit la garde de sa fille mais y gagna le droit pour les femmes de se présenter à des examens de niveau supérieur, possibilité qu'elle dont elle usa pour elle-même avec succès. Elle fut enseignante durant huit ans sans abandonner son action militante, notamment au secrétariat de la puissante Union des allumettières.

Herbert Burrows et Annie Besant au comité de grève
des ouvrières de la manufacture d'allumettes Bryant & May.
Au cours d'une nouvelle dépression, elle entendit une voix mystérieuse, événement qui précéda de peu la lecture de La Doctrine secrète, d'Helena Blavatsky dont elle devait faire un compte-rendu pour un journal.

Ce fut en 1889, qu'elle rencontra HPB exilée à Londres, deux avant sa mort. Helena la présenta aux cercles théosophes très collet montés de la capitale anglaise que la tenue vestimentaire et les propos libertaires de la jeune femme choquaient visiblement. Mais Helena aimait beaucoup cette sauvageonne qu'elle tenta de civiliser du mieux qu'elle put.

Le 30 août 1891, peu après le décès de sa « mère spirituelle », Annie Besant proclamait solennellement qu'elle allait poursuivre le combat en faveur de la libération de l'humanité en quittant la « voie socialiste » pour la « voie théosophique ».

Alors que les fondateurs de la Société théosophique étaient influencés par la spiritualité égyptienne (Isis) et Hindoue (bouddhisme et védanta), leurs successeurs, Annie Besant et l'ex-pasteur Charles Webster Leadbeater (1854-1934), prétendirent recadrer l'enseignement de la théosophie avec celui du christianisme. Mais ils le firent d'une manière tellement maladroite que cela entraîna non seulement la rupture avec Rudolf Steiner, un adepte éminent, mais l'éclatement de l'ensemble du mouvement en de multiples branches dissidentes.

A partir de 1906, s'appuyant sur de singulières recherches historiques, ils professèrent que l'homme crucifié au début de notre ère n'était nullement le véritable Christ. Ce dernier serait né en réalité cent cinq ans plus tôt et se serait réincarné trente-deux fois sous des noms différents. Ils annoncèrent que la trente-troisième résurrection sous le nom d'Alcyone était imminente, si même elle n'était déjà intervenue.


Charles Leadbeater

Un Dieu créé par l'homme
Pour étayer leur fiction Annie Besant et Charles Leadbeater, affirmèrent avoir reconnu le nouveau Christ en la personne d'un adolescent né en 1896 près de Madras. Il s'agissait du jeune Krishnamurti, fils d'un haut dignitaire de la théosophie locale appartenant à la caste des brahmanes.

Le couple Besant-Leadbeater se consacra dès lors à l'éducation de l'adolescent et à faire reconnaître son caractère divin par toute la secte.

L'année suivante, malgré les protestations de nombreux théosophes - dont le père de Krishnamurti lui-même - ils présentèrent leur dieu vivant à la foule des théosophes réunis à Adyar pour un congrès qui devait entériner leur supercherie.


Annie Besant et Jidhu Krishnamurti
Après avoir joué le jeu durant quelques années, Krishnamurti, le jeune dieu, mûri en esprit et en sagesse, déclina poliment mais fermement les honneurs qui lui étaient rendus et émigra en Californie.

Lorsqu'il retourna en Inde, des années plus tard, il ne réintégra pas la Société théosophique, proclamant des idées d'un spiritualisme élevé totalement opposées à celles des théosophes, et qui à leur tour rencontrèrent un immense succès.

Gandhi et l'émancipation des Indes


Annie Besant se promenant avec Gandhi
Lors de la Première Guerre Mondiale, Annie Besant milita aux côtés de Gandhi devenu son élève pour l'indépendance de son pays dans le cadre de l'Empire britannique. Cela valut à la militante d'être élue présidente du premier Congrès national indien en 1919. On connaît la suite.

Entre les deux guerres, Annie Besant et Leadbeater qui lui succède à la tête de l'obédience, ont fait d'Adyar un foyer de rayonnement mondial. Elle y décédera le 20 septembre 1933.

Malgré de nombreuses dissidences, la Théosophie est toujours vivante en ce début du XXIe siècle et poursuit ses trois buts principaux: la fraternité humaine, l'étude comparée des religions et la connaissance des lois qui régissent l'homme et l'univers, tout en restant fidèle à sa devise: «  Il n'y a pas de religion supérieure à la vérité.  »

RUDOLF STEINER
(1961-1925
L'ANTHROPOSOPHIE


Rudolf Steiner à Berlin en 1900
Au début du XXe siècle, la théosophie résolument tournée vers l'orientalisme s'était coupée des sources traditionnelles de la spiritualité européenne.

Ce fut Rudolf Steiner, né en 1861 en Autriche au sein d'une famille de cheminots, qui allait redonner au mouvement son inspiration chrétienne

Enfant surdoué, il fut élève à l'École supérieure technique de Vienne où il rencontre Karl Julius Schröder (1825-1900) un professeur passionné par la poésie et les contes du folklore paysan et qui l'initie à la pensée de Goethe et à la pédagogie. schroder


Karl Julius Schröder … Felix Kogutzki
En 1880, au cours de longues conversations avec Felix Kogutzki (1833-1909), le "cueilleur de simples", herboriste féru d'occultisme, il découvre l'ésotérisme.

De 1884 à septembre 1890, Steiner opère son premier "miracle" dans la famille Specht où il sera le précepteur des enfants, dont le cadet, âgé de dix ans, hydrocéphale, souffrait d'un grave handicap physique et mental.

La moindre tentative pour enseigner quoi que ce soit à cet enfant le plongeait dans d'épouvantables crises nerveuses.

Avec une patience infinie, Steiner parvint en deux ans à stabiliser sa santé et à l'instruire, lui permettant de réussir l'examen d'entrée au lycée. Il suivit l'adolescent sans ménager son temps ni ses soins, l'amenant à entreprendre des études supérieures, puis à soutenir avec succès une thèse de doctorat en médecine.

Timide et romantique


Timide et romantique, Steiner très attiré par les femmes (qui le lui rendaient pourtant bien !), n'osait pas leur faire la cour et se contenta longtemps d'échanger avec elles des sentiments platoniques.

Tombé éperdument amoureux de la sœur de l'un de ses camarades, il n'osa pas lui avouer sa flamme, pourtant payée de retour. (En ce temps-là, les jeunes filles ne faisaient pas les premiers pas). L'énergique Rosa Mayreder, peintre et écrivain de talent, féministe, pacifiste, et théosophe avertie fut son initiatrice.

Mais le jeune Rudolf éprouvait une ardente passion pour l'œuvre du poète Johann Wolfgang von Goethe à qui il vouait un véritable culte.

Pour éditer son œuvre complète, Steiner passa sept années de sa vie à étudier les archives de la ville de Weimar.

Il s'y lia avec Elisabeth Forster, sœur du philosophe Friedrich Nietzsche qu'il ne connut que sur le tard, déjà prisonnier de sa folie.

En 1897, à Berlin, Steiner dirige un magazine littéraire. Hébergé par Anna Eunicke, une accorte veuve de fonctionnaire mère de cinq enfants, il se laissa séduire et consent à l'épouser, sans que cette idylle résiste longtemps à ce mariage.


Anna Eunike
Rudolf publie, sous le titre le Serpent vert et le beau lys, un conte fantastique qui évoque les conceptions ésotériques rosicruciennes de Goethe.

L'ouvrage remarqué par l'antenne berlinoise de la Société théosophique, Steiner fut invité à y prononcer des conférences.

C'est là qu'il fit la connaissance de Marie von Sivers, jeune militante d'origine balte, qu'il épousera quinze ans plus tard.


Marie Sivers et Rudolf

Marie le présenta à la présidente Annie Besant. L'entrevue fut concluante de part et d'autre, puisqu'il allait être élu dès 1905 secrétaire général de la puissante section allemande de la Société et diriger en cette qualité la revue Lucifer et Gnosis.

Mais Steiner allait développer des idées personnelles à travers plusieurs livres et des centaines de conférences.

Loin de considérer l'être humain comme l'ultime sommet de l'évolution des créatures, il le tenait au contraire comme le rameau intermédiaire d'une lignée d'essence divine en passe de dégénérer jusqu'aux plus vulgaires animaux.

S'il acceptait certains enseignements bouddhistes pour harmoniser l'homme avec l'invisible à travers une illumination qu'il baptisait « eurythmie », Steiner ne reconnaissait d'authentique réconciliation avec la divinité que par l'intercession du Christ et rejetait énergiquement les hérésies dans lesquelles sombraient Annie Besant et Leadbeater.

À la veille de la Première Guerre mondiale Steiner fonda une Société anthroposophique universelle concurrente de la Société théosophique, avant de se lancer dans l'œuvre de sa vie : le Goetheanum.

Un extraordinaire foyer culturel


Le premier Goetheanum qui brûla en 1922
Le siège rival d'Adyar, construit à Dornach, près de Bâle, en Suisse, reçut le nom de Goetheanum, en hommage au poète et maître spirituel révéré. Cet extraordinaire édifice en bois et en béton, dont les deux coupoles abritaient des salles pouvant recevoir mille personnes chacune fut incendié à la Saint-Sylvestre 1922. À la mort de Steiner, le 30 mars 1925, il était en reconstruction.

Ce prodigieux foyer culturel européen allait exercer une immense influence sur les arts et les sciences de notre temps. Il reste le seul endroit au monde où le drame de Faust soit représenté dans son intégralité.


Le nouveau Goetheanum construit en 1925-1928

Mais son rôle s'étend à bien d'autres secteurs. Des médecins anthroposophes s'y retrouvent chaque année, cependant qu'une clinique inspirée par la même forme de pensée fonctionne non loin de là, à Arlesheim.

Pionnier de l'écologie et de l'agriculture naturelle, Steiner préconise une culture biodynamique qui a trouvé une nouvelle jeunese de nos jours. En 1923, avant tous les autres - et notamment Einstein, - il lance une mise en garde contre les dangereuses dérives de l'alimentation animale, prévoyant ce que nous appelons : « Syndrome de la "Vache folle". »

À Iéna, son Institut de pédagogie curative anime une centaine d'institutions en faveur des enfants handicapés en appliquant des techniques d'avant-garde notamment l'eurythmie dont Steiner avait trouvé le principe et l'esthétique chez Djalâl ad-Dîn Rûmî, l'éveilleur d'âmes. Il avoua que les évolutions fascinantes des derviches tourneurs découvertes en Orient, avaient puissamment inspiré son œuvre. Roumi


Eurythmie - Derviche
Depuis 1919, de milliers d'enfants de par le monde pratiquent l'eurythmie, méthode pédagogique chère à Steiner qui impose la solidarité non seulement entre maîtres et élèves, mais entre les enfants brillants et les moins doués. D'où un apprentissage de la vie sociale plus harmonieux que l'esprit de compétition systématiquement encouragé ailleurs.
Une influence considérable
Les diverses facettes des mouvements théosophiques et anthroposophiques ont exercé et continuent d'exercer leur influence sur toute la planète.

Qu'ils aient réellement été suscités par des « entités supérieures inconnues », qu'ils soient nés de réflexions auxquelles de prétendues révélations n'auraient servi que d'instruments de vulgarisation populaire ou qu'ils aient été forgés par des imposteurs animés par l'appât du gain n'y change rien.

Des Théosophes et Anthroposophes sincères ont enrichi la philosophie moderne, la littérature et les arts, tout en œuvrant en faveur de la libération de la femme, des enfants brimés et des peuples opprimés, artisans convaincus du rapprochement entre les peuples et leurs cultures.

Avaient-ils besoin de justifications plus hautes que celles-là?


Science & Magie

 
 
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