JACQUES ARNAL

 

LE COSMOS VIVANT
Brève histoire de la Vie

 
AVERTISSEMENT AUX AVENTURIERS DE LA PENSÉE

Ce livre est un message. Il répond à quelques questions que se posent les «Aventuriers de la pensée» (même les scientifiques) sur l'existence ou la non existence de Dieu, sur la valeur de l'Homme, sur le sens de la Vie, sur la signification de l'Univers.
La vie est matière et esprit. Elle est par conséquent un phénomène physique et métaphysique. Les scientifiques ne pourront donc répondre à une interrogation sur la Vie que d'une manière prudente et limitée, notamment quand ils parlent de Dieu, dont la notion se lit en filigrane dans tous leurs ouvrages. Pourtant ils n'osent pas et ne peuvent pas aller plus loin car seul le philosophe peut conclure et proposer une explication globale de la Vie, de l'Univers dans ses deux aspects complémentaires physique et métaphysique.
C'est à cette aventure que sont conviés les lecteurs de cet essai.
 Je tiens à rendre hommage aux Maîtres dont la pensée m'a permis de préciser certaines notions : Hubert Reeves, Rémy Chauvin, Albert Ducrocq, Stephen Hawking, Trinh Xuan Thuan, Archibald Wheeler, notamment.

 
 


I
TOUTES LES FORMES DE LA VIE

 
J'ai passé ma petite enfance à la campagne, dans un coin désolé de la Haute Marne qui prend pourtant l'allure, dans mes souvenirs, d'un paradis terrestre. Bercé par les cloches de l'église toute proche, par le bruit profond d'une fontaine où les chevaux venaient boire, par les multiples voix de la ferme où dominaient le chant des coqs et le cri triomphal des poules pondeuses.

C'est de cette période, hélas lointaine, que date sans doute mon amour pour toutes les formes de la nature. Soixante dix ans vécus ensuite dans l'enfer bruyant des villes n'ont pas émoussé mes sentiments. Je vais passer chaque fin de semaine dans mon petit jardin de banlieue où poussent des herbes folles et quelques arbres fruitiers. Je rencontre un rouge gorge ami qui sautille autour de moi attendant que je remue des feuilles mortes sous lesquelles il trouvera sa pitance.

J'ai besoin de ces herbes folles, de ces gouttes de rosée, de ces arbres, de ces insectes, de ces oiseaux pour me sentir lié à toutes les manifestations de la Vie.

Déjà, dans ma Haute Marne, j'avais fait une découverte fascinante, celle des vers luisants. Ces humbles bestioles qui baladaient un fanal au bout de leur abdomen, dans la nuit des prés, me remplissaient d'une sorte de crainte superstitieuse. J'en avais mis une vingtaine dans un bocal et, le soir, je regardais ces petites émeraudes phosphorescentes qui semblaient me transmettre un mystérieux signal.

 
Séverine

Séverine, une jeune voisine qui découvre le monde du haut de ses treize ans, vient rendre visite à ce vieux bonhomme tranquille qui lui conte de merveilleuses histoires. Elle pose à tout bout de champ les questions difficiles trottant dans son esprit: pourquoi la nuit est-elle noire? Pourquoi les cafards ont-ils plus de jambes que nous, pourquoi ne pouvons-nous pas voler comme ce gros bourdon qui me passe devant le nez, pesant et attentif? Où se tient le Dieu dont on parle au catéchisme?

Pour lors c'est la lumière qui l'intrigue. D'où vient-elle? Des étoiles et du soleil qui est aussi une étoile. Comment naissent les étoiles? Dans de gros nuages très éloignés où des grains minuscules tournent les uns autour des autres comme cet essaim de moucherons.

Séverine examine le nuage d'infimes insectes qui palpite sans arrêt avec une rapidité inouïe. Il faut sans nul doute un effort prodigieux d'imagination pour passer de l'essaim tourbillonnant aux nuages interstellaires, mais les jeunes esprits d'aujourd'hui sont bien plus savants que Platon et Aristote.

L'homme a fait plus de découvertes dans les cent dernières années que pendant les vingt siècles qui nous ont précédés. Le globe terrestre, parcouru sans relâche en long et en large, perd les derniers mystères qui lui restaient. Alors Séverine lève les yeux vers le ciel et découvre l'immensité inquiétante du cosmos.

 
Au cœur du problème

Vertige des grands nombres de l'infiniment petit: le biologiste enseigne que l'Homme est fait de 30 milliards de milliards de milliards de particules inanimées. Le philosophe répond: ces particules sont peut-être élémentaires mais elles ne sont pas inanimées puisqu'elles ont donné naissance à la Vie et à l'Intelligence.

Il faut donc en conclure que la matière, dès l'origine, était programmée pour accoucher du vivant. Et le scientifique laisse tomber sa plume. Car nous sommes d'un seul coup et sans préparation tombés au cœur du problème. Dieu ou pas Dieu? Ce livre est là pour le résoudre, autant que faire se peut.

 
La hiérarchie absolue

- D'où venons nous? m'a demandé encore Séverine.

- De la poudre des étoiles, de l'eau des océans et du limon de la terre.

Séverine a plissé ses jolis petits yeux et n'a pas répondu. Elle sent que le vieux bonhomme a dit quelque chose de très profond et de très juste qu'elle ne comprend pas très bien.

- Est-ce qu'on peut compter les étoiles?

- Non, on peut évaluer leur nombre dans un périmètre déterminé mais il y en a des centaines de milliards, beaucoup plus que de boutons d'or dans les champs derrière l'église. Mais tout se tient. De la poussière à l'Homme, de l'Homme à l'étoile, de l'étoile aux galaxies et des galaxies aux amas de galaxies il y a un lien continu, une même raison d'être, ils sont faits de la même matière: l'atome.

Pourtant, s'il est impossible de calculer le nombre de tous les corps célestes, on peut les classer par ordre d'importance réciproque, des plus grands aux plus petits en se souvenant qu'ils se tiennent tous et réagissent les uns sur les autres dans une mystérieuse dépendance.

Les plus grands sont les "super amas" de galaxies. Si un savant interroge un ordinateur géant, la machine se livre à des calculs gigantesques pour inscrire sur son écran: dimensions de centaines de milliers d'années lumière (1).

Dans la case au-dessous on trouve les "amas de galaxies". L'ordinateur calcule sans hésiter: 10 fois plus petites. Encore au-dessous: les galaxies. On lit sur l'écran: 2000 fois plus petites.

Puis c'est le tour des étoiles moyennes. Ici le cerveau de métal hésite plus longuement et traduit enfin: 1 million de milliards de fois plus petites. Et la Terre par rapport aux étoiles moyennes?

 
Et l'Homme, dant tout cela ?

100 millions de milliards de fois plus petite. Et l'Homme dans tout cela? L'écran clignote, se remplit de chiffres et le savant qui commandait les calculs, découragé, écrit: quantité négligeable.

C'est pourtant cette quantité négligeable qui pèse les étoiles, calcule la vitesse de la lumière, s'interroge sur l'espace et lève les yeux vers le ciel pour demander l'explication de sa présence. Car il se sent terriblement fragile, terriblement seul cet homme malgré son arrogance et sa suffisance. Alors il tente de savoir. D'où vient-il?

Où va-t-il? Poussière d'étoile, eau des océans, limon de la terre, cosmos devenu vivant? Mais encore?

Empédocle d'Agrigente enseignait au 5e siècle avant le Christ que les aigrettes qui s'échappent des mâts des navires les jours d'orage (les feux de Saint Elme) montent vers le ciel pour y former les étoiles.

Un texte de l'ancien empire d'Egypte raconte que "la création fut appelée par l'éveil d'un enfant soleil à l'intérieur d'un lotus qui venait de fleurir sur la butte primordiale à peine émergée des eaux."

 
Tout le monde n'est pas d'accord

Séverine compare les étoiles à des lampes électriques braquées vers la terre.

Ce qui prouve, poésie mise à part, que tout le monde n'est pas d'accord sur les formes de la création. Aujourd'hui, où la science triomphante relègue la philosophie aux vieilles lunes, on se fait une idée précise de la naissance des mondes.

Attention toutefois de ne pas confondre Cosmos et Univers. L'Univers étant l'aspect matériel de tous les corps issus du Cosmos, issus de cette Energie fondamentale formidable de nature inconnue et supérieure à toute chose.

L'Univers, c'est à dire planètes, soleils, galaxies, a-t-il eu un commencement? Les astro-physiciens qui sont gens de grand savoir répondent Oui sans hésiter. Et c'est heureux pour la logique autant que pour la satisfaction de l'esprit puisqu'il faut obligatoirement en toute chose un commencement et une fin. Notre monde empli de drames, d'extases, de souffrance, de joie et de misère pouvait-il naître autrement que dans la catastrophe? Non sans doute.

Ainsi nos astro-physiciens sont aujourd'hui à peu près d'accord: un Big-Bang, une explosion fantastique dont nous ne pouvons avoir aucune idée, marqua il y a 15 milliards d'années la naissance de l'Univers. Une température de centaines de milliards de degrés pendant un millionième de seconde et la grande aventure commença. Où les choses se compliquent pour la clarté de l'esprit c'est quand les mathématiciens affirment, preuves à l'appui, qu'à ce moment-là, avant la première seconde du Big-Bang, l'Univers avait une dimension nulle.

 
Avant le Big-Bang

Et plongeons 50 ou 60 milliards d'années avant ce Big-Bang, au cœur de cette énergie que, faute de mot, nous appellerons Fondamentale. Il faut bien que cette énergie de nature inconnue soit fantastiquement puissante pour avoir produit un résultat pareil.

Pendant 50 ou 60 milliards d'années elle donna naissance à des frémissements de matière, des "bouffées de rayonnement", qui s'accumulèrent petit à petit dans la bulle primordiale. On donnera le nom barbare de "quarks" à ces particules sub-élémentaires qui possédaient déjà des charges électriques. Elles se tassèrent les unes contre les autres jusqu'à l'écrasement total. Certaines - les hadrons - étaient plus fortes que leurs voisines et, lorsque la limite de la résistance fut atteinte, le drame inévitable se produisit, un déséquilibre brutal qui engendra l'explosion formidable, extravagante, la fournaise où tous les noyaux étaient fondus les uns dans les autres.

A ce moment là rien n'était possible, l'extrême chaleur n'autorisait aucune combinaison. L'Univers était opaque et fermé sur lui-même. Il fallut attendre 300.000 ans, un battement de cœur à l'échelon cosmique, pour que l'Univers, suffisamment refroidi et suffisamment vaste, laissât jaillir la lumière aujourd'hui fossile qui allait signer sa naissance.

 
Lever de rideau
Les équilibres de la Vie

Dès les trois premières minutes après l'explosion, quand la température eut chuté de plusieurs centaines de milliards de degrés, tous les acteurs de la tragi-comédie étaient en place: les quarks, les électrons, les neutrons, les protons... qui se conjuguaient joyeusement pour composer tous les atomes de la matière. Etaient présentes également dès la première seconde toutes les lois qui permettront de gravir l'escalier de la complexité et rendre possible l'émergence de la Vie.

Une remarque s'impose alors sans plus attendre: si l'expansion de l'Univers avait été moins brutale les atomes d'hydrogène se seraient transmutés en fer. Même s'il n'est pas impossible de supposer une vie organisée à base de fer, l'évolution trop rapide des étoiles n'aurait permis aucune réalisation. Il faut donc, sinon admirer, au moins noter tous les équilibres sans lesquels nous ne serions pas là, sans lesquels aucune intelligence, aucune conscience n'aurait jailli de la matière.

 
*

Au fur et à mesure que la science tâtonne dans la nuit elle touche du doigt d'autres équilibres sources de Vie. Si la gravité, entre autre chose, avait été plus forte les mondes se seraient effondrés les uns sur les autres.

Les nombres essentiels comme la taille de l'électron, sa charge électrique négative, la masse du proton, sa charge positive et le rapport de ces masses entre elles gouvernent l'Univers physique. La moindre différence n'aurait pas permis aux étoiles d'évoluer et la Vie ne se serait développée nulle part.

La force nucléaire qui règne à l'intérieur du noyau de l'atome est 100 fois plus puissante que la force électromagnétique qui retient les électrons autour du noyau. Si la puissance de ces liens avait été supérieure, même d'une différence infime, l'hydrogène, base de la Vie, aurait disparu de l'Univers.

A l'inverse, si le lien nucléaire avait été un tant soit peu plus faible, la plupart des atomes, devenus radioactifs auraient empêché toute évolution biologique. Et ainsi de suite pour la température, la densité, l'homogénéité et l'interaction entre les particules.

 
Tous ces équilibres, sources de Vie, sont trop dirigés, trop étudiés pour n'être qu'une accumulation de hasards "providentiels". Mais alors qui les a étudiés, qui les a dirigés? Pourquoi après avoir instauré des lois si précises et si efficaces, le Cosmos-Dieu s'est-il arrêté? Pourquoi a-t-il posé sa règle à calculs et sa table de logarithmes et s'est-il endormi sur ses lauriers, s'abstenant ensuite de toute intervention dans le fonctionnement de la machine? Etait-il si fatigué?

"Quelle puissance occulte ordonne aux charges électriques de s'attirer ou de se repousser ?" demande Reeves. Weinberg répond "ne cherchez pas, l'Univers est vide de sens" et Monod, autre nihiliste patenté laisse tomber ses bras fatigués en murmurant avec Lévy-Strauss "l'Univers est un hasard".

 
Justification du Big-Bang

La cosmogonie de Babylone 5000 ans avant notre ère enseignait que "l'Univers était né d'une sorte d'évolution mécanique de la matière à partir d'un premier élément d'où tout était successivement éclos".

Curieuse prémonition des penseurs de ce temps-là.

Aujourd'hui le Big-Bang est un fait acquis pour la grande majorité des astronomes. L'explosion a craché la totalité de la matière qui devait constituer les galaxies, les soleils et les planètes. Au moment de cette explosion tout le futur Univers était comprimé dans une sphère infime de sorte que toutes ses parties se trouvaient en contact les unes avec les autres. Elles ont conservé cette caractéristique merveilleuse, cette homogénéité primordiale. L'Univers est partout présent à lui-même. Nous reverrons cette notion qui défie les lois de la physique et fit le désespoir d'Einstein.

 
Il n'y a pourtant pas longtemps que le Big-Bang est un fait acquis. Jusqu'à une époque récente les astronomes enseignaient la "création permanente" d'un Univers qui se détruisait et se recréait sans cesse dans les immensités galactiques, comme l'oiseau Phénix de la fable. Idée élégante que rien ne semblait devoir troubler.

Mais les théories scientifiques sont sans cesse remises sur le métier, l'une chassant l'autre. Quatre découvertes ont brusquement tout changé: l'âge des plus vieilles étoiles, l'âge des plus vieux atomes, la fuite des galaxies et surtout une lueur fossile isotherme visible dans toutes les directions.

 
Branle-bas de combat chez les astronomes car cela voulait dire que l'Univers était en expansion permanente, que les galaxies se fuyaient à une vitesse parfois proche de celle de la lumière, qu'une lueur gigantesque s'était répandue dans l'espace au moment ou peu après l'explosion, qu'il y avait donc eu un commencement et que le commencement était bien ce fameux Big-Bang dont on avait douté.

Mais cette solution semblait tellement facile, tellement opportune que les scientifiques eux-mêmes n'osaient pas trop s'y référer. Pourtant quand Hubble calcula la vitesse de fuite des galaxies, quand Bell apporta la preuve de la lueur fossile de la naissance, quand les plus vieilles étoiles et les plus vieux atomes osèrent révéler leur âge, alors il n'y eut plus de doute sur le drame qui ouvrait la voie à la grande aventure.

 
En réalité la création est à double étage: le Big-Bang originaire sans quoi rien ne serait et la naissance des étoiles dans les plaines inter-galactiques. Notre système solaire, notre patrie, en est un exemple flagrant. L'Univers naquit il y a 15 milliards d'années, notre groupe local n'a que 4 milliards et demi d'années.

Cela veut dire que des étoiles mortes par éclatement ont ensemencé en atomes lourds de vastes espaces où les poussières stellaires se sont accumulées pour former des nuages de plus en plus compacts, de plus en plus chauds qui engendrèrent les soleils et les planètes. Ces systèmes font partie de l'ensemble des galaxies mais ils vivent d'une existence dont la durée est indépendante du reste de l'Univers.

Nous savons que notre système solaire n'a que 10 milliards et demi d'années probables de vie et que nous disparaîtrons inexorablement dans 5 milliards d'années alors que l'Univers poursuivra sa course encore longtemps.

 
Identité de toutes les parties de l'Univers

Ainsi toutes les particules élémentaires d'où les atomes devaient sortir se trouvaient dans cette invraisemblable purée qui brûla pendant quelques secondes à des centaines de milliards de degrés. Puis, très vite, dès que la chaleur le permit, la danse nuptiale des atomes, une centaine, commença pour rendre compte de toutes les substances chimiques naturelles. C'est le langage des atomes, le langage de la Vie, partout semblable dans l'Univers. L'atome est véritablement la brique universelle, comme la cellule sera la brique du monde animé.

 
Nous retrouverons d'ailleurs aux divers échelons de l'organisation universelle, comme un leitmotiv obsédant, cette identité profonde de toutes les parties de l'Univers.

Les êtres vivants sont des agencements de cellules, qui sont elles-mêmes des agencements de macro molécules (protéines, acides nucléiques) qui sont elles-mêmes des agencements de molécules plus petites (acides aminés, bases nucléiques) qui sont elles-mêmes des agencements d'atomes, qui sont eux-mêmes des agencements de nucléons (protons, neutrons), qui sont eux-mêmes des empilements de quarks.

 
Nulle solution de continuité dans cette chaîne impressionnante qui descend des étoiles jusqu'à nous.

Quand l'Homme comprendra-t-il ce message qui le lie à la création et fait de lui le frère de toute chose comme l'acteur privilégié de la Vie?

 
Les champs où poussent les étoiles

"Elles poussent comme dans la prairie?" a demandé Séverine.

Exactement, elles sont ensemencées, elles prennent forme elles grandissent et elles vieillissent, puis elles meurent comme tout le monde. Si le Big-Bang ne paraît plus discutable aujourd'hui, la création permanente n'est pas non plus une hypothèse d'école puisque le grand nuage du Taureau contient des boules gazeuses en train de se contracter, c'est-à-dire en train de former des systèmes stellaires avec soleils et planètes. Des étoiles nouvellement nées dans la constellation d'Orion illuminent doucement la chair de la nébuleuse qui leur a servi de mère... sous le regard ému des astronomes qui n'auront pas le temps de les voir évoluer.

 

 
"Les champs où poussent les étoiles" n'est pas seulement une idée de la plus haute poésie, c'est également la réalité. Les poussières interstellaires qui masquent quelquefois par leur intensité l'éclat des astres, sont composées de grains microscopiques d'un millionième de millimètre comportant un noyau solide de silicium, d'oxygène, de magnésium, de fer sous une mince couche de glace.

On appelle ces étendues des "terres fertiles de rencontre", et la glace explique l'eau présente sous toutes ses formes dans les planètes, notamment dans la nôtre où elle a constitué les océans.

Ces étendues poussiéreuses, riches d'une vie encore potentielle, ne représentent toutefois que cette création permanente qui s'accomplit lentement, silencieusement, pourrait-t-on dire, dans les espaces inter- sidéraux.

 
Car, effectivement, tout s'est joué d'abord dans l'explosion dramatique où l'Univers est né. La totalité des lois physiques, les forces qui nous gouvernent et le cadre où nous évoluons sont apparus simultanément dans le même instant, l'instant zéro.

 
Les premiers grands rôles

Une légende de l'antiquité indo-iranienne raconte que "le grand dieu Prajapati entretint pendant 1000 ans le feu du sacrifice d'où naquirent Ohrmazd, la lumière, et Ahriman, les ténèbres. Avec eux naissaient aussi le Temps, l'Espace, l'Intelligence et la Vérité, portés par le dieu des tempêtes, le redoutable et tout puissant Vayu". Vision prophétique ou intuition géniale? Les deux sans doute.

En effet le jet fulgurant où brûlait la purée de quarks et de particules en tout genre sonna l'entrée en scène des premiers rôles: la Matière qui engendra l'espace, et l'horloge du Temps qui engendra la durée. Dès ce moment le temps se mit à compter inexorablement les secondes, les siècles et les milliards de siècles du destin.

Les premiers rôles apportaient aussi dans leurs valises deux partenaires aussi grands qu'eux: la Vitesse et la Lumière. Chacun avait appris sa partition et n'avait pas eu besoin de répétition pour se donner la réplique.

 
Le Temps

"Je te donne tout ce qui sort de la nuit, tout ce qui se produit au jour, je te donne les années du soleil, les mois de la lune en joie". (Mythologie du royaume de Méroé)

Le temps, fleuve sans retour comme sans rivages, désespoir des hommes qui n'y voient qu'un principe de destruction et de mort.

Immobiliser le temps, remonter le temps, dépasser le temps, le gagner ou le perdre... rêves insensés qui sont autant de révoltes dérisoires contre l'invisible puissance.

Rien n'est possible quand l'assaillant se trouve partout à la fois, insaisissable et présent. Cela n'a pas empêché les hommes de le calculer, de le laminer dans leurs ordinateurs, de l'enfermer dans des formules cabalistiques pour se donner l'illusion de le domestiquer, l'illusion d'oublier que l'instant présent, quand on y songe, est déjà le passé et qu'on ne pourra jamais le saisir.

Seule parade, seul espoir, sinon de vaincre l'ennemi, au moins de le contourner, de le battre sur son propre terrain: la Vitesse. Car il existe entre la Matière, l'Espace, le Temps et la Vitesse des liens indissolubles. L'espace n'existe que par la Matière qui permet de le limiter et par la Vitesse qui permet de le mesurer. Si l'un de ces éléments disparaît les autres n'existent plus.

Cependant lorsqu'ils sont unis dans le Cosmos pour le meilleur et pour le pire, leur union fait circuler le Temps à la vitesse de la lumière, la vitesse absolue de 300.000 kilomètres seconde. C'est la vitesse à laquelle nos images s'évaporent dans l'espace, c'est la vitesse des grains de lumière qui les portent aux confins de l'Univers.

Les grands télescopes de Russie et d'Amérique viennent d'apercevoir des galaxies à 10 milliards d'années lumière. Cela veut dire que les rayons lumineux provenant de ces astres lointains sont partis bien avant la création du système solaire, à une époque où le nuage originel voyait déjà ses atomes et ses poussières se rapprocher pour entamer le tourbillon générateur de notre Soleil.

Cela veut dire aussi qu'un voyageur se déplaçant à la vitesse de la lumière, au milieu d'images fuyant à la même vitesse que lui, aurait l'impression de ne pas bouger.

 
Ainsi se trouve démontrée sans effort excessif l'une des grandes théories d'Einstein: la contraction du temps dans l'espace. Si nos lointains descendants veulent un jour quitter le système solaire, ou même la Galaxie il faudra qu'ils trouvent le moyen d'atteindre la vitesse de la lumière comme semblent le faire certaines galaxies aux limites de l'Univers.

 

 
Jusqu'où peuvent aller les rayons lumineux porteurs d'images? On sait par expérience, pour les avoir vus, qu'ils atteignent sans fatigue 10 milliards d'années lumière et on se demande ce qui pourrait les arrêter puisqu'ils font partie du rayonnement cosmique. La théorie ne peut donc fixer aucune limite à leur propagation sauf si l'Univers n'est qu'une bulle gigantesque. Les rayons reviendraient ainsi sur eux-mêmes après en avoir fait le tour.

Et Candide demanderait: Mais alors que se passera-t-il quand ces images reviendront sur le lieu de leur départ comme les Furies antiques revenaient hanter le sommeil des héros? Rien non plus. Il ne se passerait rien puisque la réalité d'où elles étaient parties aurait disparu dans les cataclysmes qui accompagnent la fin des étoiles.

 
Fantaisie de rêveurs? Oui, totalement, impérialement, avec ce charme somptueux des choses inutiles.

Mais une chose peut-elle être inutile dans le Cosmos? Non, car elle ne serait pas. Seul l'esprit peut se payer le luxe de l'inutilité parce qu'il n'est pas matière.

 
*

La technologie perce peu à peu les secrets des éléments qui se laissent autopsier, radiographier, mesurer, peser avec une immobile indifférence, jusqu'à complète jubilation des savants et prudente satisfaction des philosophes.

Mais l'esprit humain, cette fonction divine et diabolique jaillissant comme un feu d'artifice des milliards de cellules nerveuses qui bâtissent le corps et le cerveau, cet esprit humain qui fonctionne sans aucune déperdition d'énergie et sans qu'aucun instrument ne soit jamais arrivé à en saisir la moindre parcelle, cet esprit humain qui est sensation matérielle avant de devenir Idées immatérielles, à quelle vitesse voyage-t-il?

La réponse est un nouveau mystère car il n'a pas de vitesse étant instantané, c'est-à-dire installé dans la zone du zéro absolu où tout commence et où tout finit.

Ceci nous ramène au mystère que nous avons déjà évoqué:

 
L'Univers entier présent à tout moment dans chacune de ses parties.

 
Notons en passant qu'Aristote, sans doute le plus grand génie que le monde ait porté, assimilait la vitesse au temps. Tout déplacement était pour lui une accumulation de l'entité élémentaire appelée mouvement.

Nous ne suivrons pas les mathématiciens dans leurs appréciations fumeuses sur le temps cosmique, le temps psychologique, le temps imaginaire... Pour nous, humains dont la permanence est mesurée, le temps est partout le même dans sa relativité généralisée. Il est élastique, se dilate ou se rétrécit selon le mouvement de l'observateur et la quantité de matière qui se trouve à proximité. Donc Aristote disait juste une fois de plus:

 
«Le temps est la Vitesse et la Vitesse est la Lumière.»

 
- C'est peut-être pour ça, estime Séverine, que les grandes personnes voient le temps filer entre leurs doigts comme l'eau du torrent".

 
- Oui, et il file d'autant plus vite que l'on vieillit!

 
Les forces

L'Univers ne pourrait pas s'étendre et vivre sans les forces primordiales qui le soutiennent et le dirigent. Ces forces ont jailli ensemble au premier instant et elles poursuivront imperturbablement leur besogne qui ne s'arrêtera qu'à la fin des temps.

Ces déesses tutélaires sont au nombre de quatre, les quatre piliers de la création. Si l'un d'eux s'effondrait tout retournerait au néant. C'est d'abord la gravitation universelle qui tient les mondes suspendus dans l'espace et oblige Séverine à se baisser 50 fois par jour pour ramasser les objets qu'elle a fait tomber.

C'est ensuite la force électromagnétique qui retient les électrons autour du noyau de l'atome. Puis c'est la force nucléaire faible qui préside à la désintégration des atomes et à la radioactivité.

C'est enfin la force nucléaire forte qui assure la cohésion des éléments du noyau de l'atome.

 
L'intensité relative des quatre forces a été réglée d'une façon si précise qu'un petit plus ou un petit moins dans leurs paramètres n'aurait pas permis à la machine de se mettre en route. Un chercheur a calculé que l'Univers physique s'explique par des constances fondamentales au nombre d'une quinzaine, toujours les mêmes quel que soit le coin de l'Univers observé: gravité, force nucléaire, vitesse de la lumière, taille des atomes, masse des particules élémentaires... Qu'un seul de ces nombres varie et c'est le chaos. Gruhier reconstitua l'évolution de l'Univers sur ordinateur et conclut "il s'en est fallu de presque rien pour que ça ne marche pas du tout".

Mais le Grand Architecte pouvait-il se tromper? Non sans doute puisque le programme était de produire un jour la Vie et la Conscience.

 
Le Dieu-des-origines ne jouait pas aux dés.

 

 
L'antimatière

Tarte à la crème des auteurs de science-fiction, point d'interrogation des astronomes, le problème de la matière et de l'antimatière a dominé les premiers instants de l'explosion. Pourquoi la matière et pas l'antimatière, pourquoi + et pas - ?

Chaque particule a son antiparticule dans laquelle elle s'annihile en rayonnement. La purée originaire comportait autant de quarks + que de quarks ­, mais dans la fournaise, pour une cause qui restera à jamais inconnue, 1 milliard d'anti-électrons allaient s'opposer à 1 milliard plus un d'électrons. Il y aura donc toujours par milliard, 1 électron de plus dans la bataille cosmique. Le reste n'est plus que lumière et énergie.

C'est cet électron qui fait que l'Univers matériel existe sous la forme que nous lui connaissons. Si le contraire s'était produit, nous vivrions dans des anti- mondes avec des protons négatifs et des électrons positifs, mais rien ne serait changé à nos problèmes. De sorte que nos télescopes ou nos radio télescopes sont dans l'impossibilité de déterminer s'il n'y a pas dans le vaste Univers des galaxies d'antimatière. La seule chose importante est de connaître la densité moyenne de l'Univers.

La densité "critique" est de 3 atomes d'hydrogène par mètre cube. S'il y en a plus, la gravité est assez forte pour arrêter un jour l'expansion de l'Univers qui commencera alors une énorme récession pour revenir au point zéro de sa naissance.

 
Coup d'œil sur l'atome
Regard sur l'infiniment petit

"Entre les étoiles du ciel et les poussières qui dansent dans le rayon de soleil il n'y a aucune différence de structure et la moindre de ces poussières est aussi admirable que Sirius car la merveille dans tous les corps de l'Univers est l'infiniment petit qui les forme et les anime." (Anatole France)

 
Cet infiniment petit est l'incontournable atome déjà prévu il y a 2400 ans par la pensée des Grecs dont il était un argument logique plus que mathématique. Puisque, en levant les yeux on plongeait dans l'infiniment grand, il devait exister à l'autre bout de l'échelle un infiniment petit.

De sorte que depuis Démocrite l'atome, l'insécable, l'indivisible, garda son intégrité. Et puis vinrent pour lui les jours de malheur. On se mit à la disséquer, à l'autopsier, à le mutiler en morceaux de plus en plus petits jusqu'à ce souffle infime qu'on dénomma quark comme s'il jaillissait du chapeau d'un magicien.

Entre l'atome et le quark, les savants montrent du doigt une bonne centaine de particules subélémentaires qui valent bien la peine de vous être présentées, au moins pour quelques unes. Elles ont nom neutrinos, axions, photinos, higgsinos, purgons, maximons, newtorites... etc etc. Et le plus beau de l'affaire c'est qu'elles n'existent, en dehors du neutrino, que dans les calculs et dans le cerveau des physiciens.

Va te cacher, Socrate, toi qui affirmais que tous les problèmes doivent se résoudre par la réflexion.

Quoi qu'il en soit, la brique de l'Univers, l'atome, est si infime qu'on peut en ranger 10 millions sur un millimètre. Il y en a 1 million de milliards de milliards dans un centimètre cube d'eau . Calculez si vous le pouvez ce que cela représente à l'échelle du soleil, cette modeste boule de 600 000 kilomètres de diamètre. Entre parenthèse cela explique que le soleil puisse rayonner chaque seconde en énergie 4 millions de tonnes de matière sans en être incommodé le moins du monde.

Si vous voulez une représentation plus pratique imaginez un ballon de football (le noyau de l'atome) au milieu de la place de la Concorde à Paris et des billes (les électrons) tournoyant autour à 100 mètres de là, les uns et les autres étant soudés par les rayonnements qu'ils émettent.

Séverine s'est inquiétée "quoi, l'atome, le matériau de l'Univers, l'unique élément des mondes, la brique de toute matière, n'est-il que du vide ?". Oui mais ce n'est pas un vide ordinaire où il n'y aurait rien, c'est un vide où des myriades de particules chargées d'énergie se croisent, s'attirent et se repoussent à des distances phénoménales, produisant des interactions variées, des champs magnétiques si puissants qu'il en résulte un ensemble d'une cohésion formidable. Quand on touche un bloc de granit on imagine difficilement le vide électromagnétique où baignent les particules.

 
Pourtant, si solide qu'il soit, l'atome peut subir des mutilations dans le nombre de ses électrons, ou, plus grave, dans son nucléon (protons, neutrons). Un seul proton arraché d'un noyau de mercure transformera, transmutera ce noyau de mercure en noyau d'or. De quoi faire rêver tous les alchimistes de la terre (il y en a encore) qui cherchent depuis Synésius la réalisation du Grand Oeuvre, la "poudre de projection" ou l'or philosophal. Il est d'ailleurs troublant de penser que les alchimistes du Pharaon travaillaient déjà sur le mercure, le corps le plus voisin de l'or, à un proton près... comme s'ils savaient. D'autre part si, par suite d'une excitation quelconque, du choc avec une autre particule, par exemple, l'électron est arraché provisoirement de sa trajectoire familière, il regagnera sa place dès que possible. Mais il ne pourra le faire qu'en se débarrassant de l'énergie perturbatrice qu'il avait emmagasinée. Il émettra alors un rayonnement sous la forme d'un jet de lumière, le photon.

Tout cela est d'ailleurs moins mystérieux qu'on ne le pense, il n'y a qu'à contempler les éclairages publicitaires où la danse des photons dans un tube d'hydrogène à basse pression s'épanouit en une superbe lumière rouge.

 
Pour en finir (provisoirement) avec cette question du vide qui hanta l'esprit du sage silencieux des Sakyas, Bouddha, revoyons d'autres nombres gigantesquement petits qui ajouteront encore à notre modestie et enrichiront l'inventaire de nos connaissances: les cellules, qui ne dépassent pas le centième de millimètre, comptent des milliards de molécules qui renferment chacune des milliers d'atomes. Ces atomes sont constitués eux-mêmes de vibrations d'énergie à l'échelle du 10 millionième de millimètre. Le noyau est à l'échelle du 100 milliardième de millimètre. On est bien obligé de conclure que la Vie avec ses joies et ses souffrances, débouche incompréhensiblement sur le vide. Et c'est le moment d'évoquer une stance célèbre du Bradhatamsaka: "Tout ce que l'homme tient pour réel est comparable à une étoile, à la flamme d'une lampe, à une bulle d'eau, à un rêve, à un éclair, à un nuage".

 
Les secrets du Grand Sorcier

Devenus par la force de leur intelligence les trublions de l'Univers, les hommes de science passent leur temps à regarder par le trou de la serrure du laboratoire du Grand Sorcier, le Cosmos-Dieu, pour saisir les secrets qui voltigent entre les cornues. Chaque fois qu'ils y parviennent ils en font une loi inscrite au livre de la Vie. Il peut paraître fastidieux mais il n'est pas inintéressant d'en dresser un tableau rapide puisque c'est l'inventaire même des connaissances humaines:

 
- Loi de Penrose sur la contraction de la matière.

 
- Loi de Planck fondant la mécanique quantique de l'infiniment petit.

 
- Loi de Bohr sur la position des électrons autour du noyau.

 
- Loi de Gell-Mann sur les quarks.

 
- Loi d'exclusion de Pauli (deux particules semblables ne peuvent occuper ensemble la même position).

 
- Loi de Dirac sur l'électron et son double.

 
- Loi de la densité quarks-antiquarks à la naissance de l'Univers.

 
- Loi de Chandrasekhar sur la formation des trous noirs.

 
- Lois fondamentales établissant la taille, la charge électrique et le rapport des masses du proton et de l'électron. (la plus infime modification de ces valeurs aurait condamné les étoiles à ne pas brûler et par conséquent à ne servir à rien, même pas aux lampes électriques de Séverine).

 
- Choix du taux d'expansion initial au moment du Big-Bang pour éviter tout effondrement qui aurait ramené l'Univers au point zéro dans les plus brefs délais.

 
Inventaire non exhaustif que les savants, qui se relaient devant le trou de la serrure, s'emploient activement à enrichir.

Il me vient une idée saugrenue comme les aime Séverine. Si l'on peut voir dans le laboratoire, entre les creusets et les cornues, c'est que le Grand Sorcier le veut bien, c'est qu'il n'a pas volontairement voilé le trou de la serrure pour ne pas désespérer les savants. De fait chaque bribe de vérité surprise dans le clair obscur des alambics est saluée comme une victoire et couronnée du Prix Nobel, la plus haute instance du tribunal de l'intelligence.

 
Aujourd'hui on s'occupe fiévreusement des "singularités" de l'espace, les "trous noirs" qui proviennent de l'effondrement d'une étoile massive. Il y a des modes dans la vie intellectuelle des savants. L'un d'entre eux, le plus grand peut-être, Stephen Hawking, successeur de Newton, vient de semer la perturbation en estimant que les trous noirs n'étaient pas si noirs que cela, qu'ils rayonnaient même de l'énergie et pourraient, à condition de savoir s'y prendre, servir de centrale nucléaire à la Terre. Il reconnaissait toutefois que ça n'était pas pour demain et que, de toute façon, on n'avait pas les moyens financiers pour le faire.

 
Du coup l'attention de ceux qui pensent - et Dieu sait s'il y en a - est focalisée sur les singularités de l'espace désignées sous le nom de trous noirs. Ce terme me paraît si laid que je propose de lui substituer celui de "Soleils noirs" beaucoup plus poétique et pas mieux adapté.

 
- Qu'est-ce qu'un Soleil noir?C'est une longue et passionnante histoire.

 
Séverine sait que les perles sont plus ou moins grosses ou plus ou moins petites. Les perles qui brillent dans le ciel nocturne sont aussi de tailles diverses et certaines, les énormes, brûlent la chandelle par les deux bouts.

Elles consomment leur réserve d'hydrogène avec une voracité en rapport avec leur grosseur. Une étoile moyenne comme notre Soleil, vivra en tout 10 milliards d'années (le Soleil est juste au milieu de sa vie). Une étoile0 100, 1000, ou 100.000 fois plus grosse ne vivra que quelques millions d'années.

Quand elle aura épuisé son hydrogène, son hélium, son carbone, elle s'effondrera sur elle-même jusqu'à devenir une "naine blanche" avec un rayon de quelques milliers de kilomètres et une densité atteignant la centaine de tonnes au centimètre cube. L'un de ces astres moribonds tourne autour de Sirius, le joyau de nos nuits.

 
Les soleils noirs

Si la naine blanche poursuit son effondrement elle produira une étoile de neutrons, d'un rayon de 10 kilomètres et d'une densité de plusieurs centaines de millions de tonnes au centimètre cube. Puis le champ gravitationnel à sa surface deviendra si intense qu'aucune matière ne pourra plus s'en échapper. Comme la lumière est de nature autant corpusculaire qu'ondulatoire, elle sera piégée, elle aussi, et l'objet céleste disparaîtra à jamais comme dans une trappe intérieure. C'est ce que les astronomes appellent la "censure cosmique".

Il est possible d'ailleurs que les cataclysmes qui se produisent au centre des galaxies, là où les étoiles sont tassées les unes contre les autres, engendrent de ces Soleils noirs dont la fonction cannibale serait de dévorer les astres imprudents, avec leurs planètes, attirés par eux.

Certaines équations de la Relativité généralisée d'Einstein semblent envisager qu'il y ait dans les trous noirs des "trous de vers" qui permettraient aux astronautes imprudents de ressortir dans une autre région de l'Univers. Mais ceci est de la super science-fiction permettant de donner droit de cité aux fameux OVNI.

Il faut voir la jubilation des astro-mathématiciens quand ils mesurent, soupèsent, parlent des Soleils Noirs. Ils alignent des pages d'équations truffées d'intégrales pour savoir s'ils sont ronds, s'ils tournent sur eux-mêmes, quelle est leur densité, leur âge, s'ils sont chevelus ou lisses, s'ils ont un horizon, s'ils peuvent s'effondrer encore davantage, s'ils rayonnent de l'énergie...

- "Et ça veut dire quoi ?" a demandé Séverine.

Cela veut dire beaucoup de choses. Les équations de nos savants n'évoquent rien, en effet, pour le commun des mortels, heureusement, car elles préfigurent l'avenir qui sera peut-être un jour le nôtre, quand les temps seront révolus, l'image lointaine de la catastrophe où sera engloutie toute matière.

Partis d'un Big-Bang il y a 15 milliards d'années, il est vraisemblable que l'Univers finira par un Big-Back dans 10 puissance 30 milliards d'années. A cette date en effet tous les protons, support de la matière, se seront transformés en rayonnement. L'Univers sera retourné au zéro de sa naissance. Mais nous avons le temps d'y penser.

- Alors ça n'est pas la peine de nous faire du souci!, a dit Séverine.

 
Semer les atomes de la Vie

Toutes les étoiles ne finissent pas en Soleils noirs. Certaines, les plus massives, sont désignées pour le plus fantastique des feux d'artifice. Elles explosent, tout simplement comme un gigantesque pétard en une fraction de seconde. Le cœur de l'astre n'est plus constitué que par un noyau de fer de quelques kilomètres de diamètre sous une densité de 10 tonnes au millimètre cube. L'agitation de l'objet devient vertigineuse, la masse rebondit sur le noyau de fer et c'est la dislocation titanesque, lumineuse comme un milliard de soleils. C'est la supernova.

 
Justement en l'an de grâce 1054 une supernova illumina le ciel de Chine. L'astronome-astrologue de l'Empereur rendit compte aussitôt à son souverain de cet événement considérable, expliquant que l'étoile était venue spécialement pour annoncer des récoltes abondantes. Il y eut grandes réjouissances dans le céleste empire, puis l'éclat de l'astre pâlit et disparut. La chronique n'a pas révélé si les récoltes avaient comblé les espérances.

 
Cependant l'implosion d'une supernova n'est pas un incident mineur dans l'immensité de l'espace. Il répond à une stratégie particulière du Grand Sorcier. On sait aujourd'hui que le Big-Bang, dans son extrême brutalité, n'avait pas permis la fabrication d'atomes lourds. Or ces atomes lourds sont nécessaires pour que l'Oeuvre s'accomplisse, pour que les phénomènes cosmiques deviennent de plus en plus complexes pour aboutir enfin à la Vie et à l'Intelligence. De sorte que l'implosion d'une supernova rejette bienheureusement dans l'espace tous les atomes lourds qui manquaient et qu'elle a forgés au cours de sa nucléosynthèse.

 
Si des supernovae explosent, ce n'est pas pour réjouir l'astronome de l'Empereur de Chine, ou tous les autres astronomes (il y eut les mêmes phénomènes en 1572, en 1604 et le 24 février 1987) c'est parce qu'il le faut, c'est parce que cela correspond à la nécessité d'ensemencer les champs où vont pousser les futures étoiles... pour que vous puissiez un jour vous poser la question et comprendre que le Grand Sorcier n'avait rien oublié. Encore une loi que nous devrons ajouter aux autres.

 
La masse cachée

Pour en finir avec nos Soleils noirs, leur détection et leur prospection n'est pas uniquement fantaisie de savants. Leur connaissance correspond au souci de mesurer la "masse cachée" qui représente 80 à 90 % de l'Univers connu. En effet si la densité de l'Univers est supérieure à 3 atomes par mètre cube, l'Univers pourrait être "fermé", c'est-à-dire que la gravité l'obligerait un jour à stopper son expansion et à commencer une récession qui le reconduirait au point zéro.

Autrement dit les calculs établissent "indiscutablement" que les galaxies s'arrêteront un jour de fuir; qu'elles se regrouperont et prendront le chemin de la contraction. C'est la théorie de la Relativité généralisée qui l'affirme. Et Stephen Hawking, nageant dans ses équations comme un poisson dans l'eau, remarque avec humour que les êtres revivront les évènements passés qui seront devenus les évènements de l'avenir... à moins qu'ils ne vivent leur vie à l'envers, commençant par la vieillesse pour finir à la naissance. J'envierai alors mes descendants lointains.

 
Mais la théorie ne s'arrête pas en si bon chemin, elle prédit que le point zéro sera le départ d'une nouvelle aventure en tous points semblable à la précédente. Les leptons, hadrons et autres quarks musclés commenceront leur écrasement, la température montera à des centaines de milliards de degrés et ce sera un nouveau Big-Bang projetant la matière dans tous les azimuths... afin que 15 milliards d'années plus tard, sur certaines planètes privilégiées, des "quantités négligeables" se posent des questions et regardent par le trou de la serrure du Grand Sorcier.

J'aime assez cette vision des choses qui correspond à mon tempérament et à celui de Bouddha (excusez-moi) dans l'excellent résumé qu'en donne André Barreau: élément permanent, immuable, éternel dans les êtres ni dans les choses. Tout n'est qu'ensemble de phénomènes physiques, biologiques ou psychiques en perpétuelle transformation. l'Univers lui-même n'échappe pas à cette loi car il se crée lentement, se stabilise, se détruit puis disparaît dans un gigantesque cataclysme pour se recréer ensuite spontanément, et ainsi de suite tout au long du temps, lequel est aussi éternel que l'espace est infini".

 
J'ai horreur des gens qui se prennent au sérieux. Cela prouve d'abord qu'ils manquent d'intelligence. Heureusement Stéphen Hawking n'est pas de ceux-là. Spécialiste des trous noirs, celui qu'on appelle le mort vivant, celui qui n'est plus qu'une tête pensante ne pouvant s'exprimer que par ordinateur, a passé sa vie à les étudier. Pourtant il écrit sans fausse modestie "j'ai beaucoup travaillé sur les trous noirs et tout sera balayé s'ils se confirme que les trous noirs n'existent pas !" Etonnant, non?

Car les singularités de l'espace ne font pas l'unanimité dans le monde scientifique. Eddington, autre grand, l'un des trois spécialistes à maîtriser la théorie de la Relativité généralisée, nie tout sec la réalité des trous noirs!

- Qui faut-il croire? m'a demandé Séverine.

 
L'apparition de la vie

Toutes les pulsations de l'Univers battent dans le cœur des vivants.

 
"Sophia, la sagesse, ultime émanation d'un être suprême pur esprit et tout de lumière, s'éprit un jour de la matière. Elle engendra à l'insu de son père un être qui, à son tour, créa le monde où nous vivons" (Légende de l'Egypte ancienne)

 
La Vie, résultat d'une foule d'opérations électriques, physiques et chimiques, repose, en dernier ressort, sur des échanges d'électrons.

Le Grand Sorcier, ou le Subtil Ingénieur, comme l'appelle Rémy Chauvin, a jeté dans sa marmite six éléments principaux: le soufre, le chlore et le phosphore pour fournir les électrons, le sodium, le potassium et le magnésium pour les recevoir, des molécules hautement spécialisées intervenant à des moments précis, le tout saupoudré d'hydrogène, d'oxygène, de carbone et d'azote, soit une trentaine d'éléments qui cuisent à feu doux. A feu doux n'est d'ailleurs pas le mot qui convient pour caractériser le début d'une Vie si triomphante qu'elle en oublie ses origines. On ne peut qu'imaginer, dans les vagissements de la jeune Terre, les minuscules formations ballottées par les vagues géantes d'un océan à peine refroidi, frappées par le vent et la foudre, luttant désespérément contre la dilution et trouvant quand même la force de construire autour d'elles une membrane protectrice, embryon d'une cellule vivante, c'est-à-dire du plus extraordinaire laboratoire qui se soit installé sous le soleil.

Car l'existence est une immense, persistante, angoissante quête de l'énergie pour vivre, survivre et se reproduire. Capter des électrons ou mourir faute d'en avoir trouvé. Aucune autre alternative.

 
A ce stade ultra primitif, les gouttelettes ne disposaient encore d'aucun moyen chimique, d'aucune machinerie leur permettant de synthétiser, c'est-à-dire de fabriquer les éléments nutritifs dont elles avaient besoin. En suspension dans le bouillon de culture ou collées au fond à la recherche d'un abri, elles dépendaient étroitement de l'environnement.

Lorsque le milieu ambiant contenait suffisamment de matières énergétiques directement assimilables comme les phosphates, ces gouttelettes s'en nourrissaient et en prospéraient jusqu'à donner naissance à une gouttelette fille. Elles bornaient alors leur ambition à recevoir ce que le destin leur envoyait et à chercher refuge contre l'hostilité des éléments.

Les argiles, précisément, et surtout les micas, par leur formation en feuillets silicatés, leurs nombreuses charges électriques, offraient ce bastion idéal où les gouttelettes pouvaient se concentrer et fabriquer les acides aminés dont allait dépendre l'édifice complexe de la matière vivante.

 
Puis ces organismes primitifs proliférèrent à tel point que se posa le problème des ressources. Alors apparut un autre procédé permettant de trouver cette énergie si nécessaire: la photosynthèse grâce à laquelle les organismes vivants capturent le rayonnement solaire pour fabriquer les molécules de la Vie. Cette photosynthèse utilisa d'abord l'hydrogène sulfuré puis tout simplement l'eau dont les ressources étaient inépuisables.

 
L'opération électrochimique de la photosynthèse mérite qu'on s'y arrête une seconde car elle représente un sommet de l'intelligence de la nature.

La molécule de chlorophylle se présente sous la forme d'une pince tenant entre ses bras un atome de magnésium. Lorsqu'un photon lumineux touche l'extrémité d'un bras il libère un électron puis saute sur l'autre bras, créant ainsi le courant électrique qui va casser la molécule d'eau.

Et l'opération merveilleuse se reproduira des milliards et des milliards de fois, toujours aussi simple et efficace. C'est la perfection qui ridiculise nos machines les plus sophistiquées. Casser les molécules grâce aux rayons solaires pour les combiner au gaz carbonique et fabriquer ainsi des sucres, éléments énergétiques de base en libérant de l'oxygène qui s'échappe dans l'atmosphère.

Ainsi des populations de cellules, aux quatre coins de la Terre, dans le ciel, sous les eaux, dans les roches, poursuivaient la solution du problème qui accompagnera la Vie jusqu'à la fin des temps: résister à la destruction et transmettre la Vie. La plupart des essais ne subsistèrent que le temps d'un éclair. D'autres allèrent un peu plus loin et un autre problème, le troisième, aussi gigantesque que les deux premiers, se posa avec une acuité sans cesse grandissante: comment garder les essais victorieux, c'est-à-dire les formes qui ont résisté aux agressions du milieu et comment les transmettre aux descendants? En d'autres termes, comment assurer la reproduction fidèle des cellules qui ont pu survivre parce qu'elles étaient le mieux adaptées.

Un milliard d'années après la formation du globe les cellules sans noyau prolifèrent. Partout leurs cohortes victorieuses s'organisèrent, modifiant de fond en comble les conditions qui avaient permis l'éclosion de la Vie. La respiration chlorophyllienne entoura peu à peu la Terre d'une couche d'ozone. La troisième phase de l'évolution des cellules vers une organisation plus efficace allait commencer.

 
La cellule vivante, petite bête intelligente

Si l'apparition de la Vie sur terre s'est faite en un temps record il en fallut cinq fois plus pour passer de la phase élémentaire des cellules sans noyau au merveilleux laboratoire des cellules à noyau. Près de deux milliards d'années de tâtonnements pour fabriquer et mettre au point la machinerie qui confond aujourd'hui notre imagination.

 
De quoi s'agit-il? De copier les formations d'acides aminés qui, en survivant, ont démontré leur efficacité. Mais, reproduire fidèlement ces molécules musclées pour en doter les cellules filles est un problème considérable qui suppose un appareillage technique parfaitement au point pour éviter la moindre erreur aux conséquences incalculables.

 
Il faut d'abord disposer de la matière première dont sont composées ces molécules. Il faut ensuite trouver l'énergie qui permettra la mise en marche et le fonctionnement de tous les rouages. Il faut, après, disposer d'un photocopieur qui prendra l'image et l'empreinte des éléments à reproduire. Il faut encore disposer d'un atelier d'assemblage où ces éléments seront construits, puis les transporter à la place exacte qu'ils doivent occuper dans les chaînes de protéines et les rubans d'acides nucléiques. Il faut ensuite des ouvriers qualifiés, des chimistes, des ajusteurs, des dessinateurs, des électroniciens, des conducteurs... qui travailleront sans relâche, en complète intelligence, connaissant parfaitement les gestes qu'ils doivent accomplir, quand ils doivent les accomplir (l'horloge moléculaire) et l'endroit où ils seront accomplis.

 
Ceci pour réaliser la chaîne qui vient du Cosmos et aboutit au vivant.

 
Non cette histoire n'est pas un conte de fée. Elle ne doit rien à Merlin l'enchanteur et si les termes employés, les images proposées, semblent appartenir à l'aimable fiction, c'est pourtant la traduction, populaire mais scrupuleuse, de ce qui se passe dans le tréfonds de la matière vivante.

 
Ajustons tout de même notre microscope, car nous débouchons sur la troisième conquête de la vie: la transmission héréditaire.

 
Dans les cellules que nous connaissons aujourd'hui, la mémoire de l'hérédité repose sur deux brins d'A.D.N. (1) complémentaires l'un de l'autre, enfermés dans un noyau. Les deux brins, torsadés l'un autour de l'autre (la double hélice), comportent exactement les mêmes éléments, de sorte que, quand ils se sépareront pour former deux cellules distinctes, le même programme passera dans les cellules filles.

 
Le partage du travail

Les brins d'acides nucléiques, les A.D.N. ne pouvaient pas tout faire, stocker l'information et réaliser des copies de cette information. D'autres molécules s'en chargèrent.

La copie de la molécule à reproduire est portée dans de véritables ateliers d'assemblage, les ribosomes, par les soins diligents d'un A.R.N. messager (2). Le ribosome se charge de construire en vrai la copie apportée par le messager. Il y a 20 catégories d'acides aminés dont chacune possède une forme caractéristique que le ribosome respecte rigoureusement et qui permettra l'appariement ultérieur. La construction achevée, un A.R.N. de transfert la porte à la place qu'elle doit occuper. Et les mêmes opérations se reproduisent jusqu'au terme fixé par le maître d'œuvre, le brin d'A.D.N., qui possède tout le programme à exécuter.

 
Vu de plus près, l'A.D.N. est constitué par une agglomération de grains particuliers, les gènes, fixés sur des supports, les chromosomes, qui sont la mémoire et le commandement suprême des opérations cellulaires.

Ajoutons que l'énergie nécessaire à tout cela est fournie par des usines miniatures de production d'électricité, les mitocondries, grâce à des phénomènes d'oxydoréduction.

L'imagination, autant que l'intelligence, restent confondues par cette ingéniosité qui, d'échecs en réussites, a conduit les gouttelettes primitives aux organismes actuels. Savoir qui a précédé l'autre, des acides aminés, des enzymes ou des acides nucléiques, est le problème de l'œuf et de la poule! La nature a suivi, ici comme ailleurs, sa méthode habituelle, allant du simple au composé, des acides aminés dont elle connaissait déjà la fiabilité, aux éléments complexes qui suivirent peu à peu.

Ingéniosité, technique, science... aucun terme n'approche la vérité. Le Russe Oparine, père incontesté et respecté des recherches sur l'origine de la vie, observant les gouttelettes primitives dans son laboratoire de Moscou, disait: "Regardez bien, voilà d'où nous venons".

En fait, les plus austères savants, les moins vitalistes, sont obligés de parler d'information, de copie, de débrouillage conceptuel, de contrôle, de code, de lecture, de transcription, de déchiffrage, de traduction, comme on parlerait des opérations intellectuelles d'un être vivant. Car c'est bien d'un code génétique qu'il s'agit, c'est-à-dire d'un ensemble de règles, d'un système de symboles permettant de construire un langage. Dans la cellule vivante, l'information, la somme de toutes les expériences antérieures, les "modèles de survie", et la volonté de les reproduire, se retrouvent dans les bourrelets microscopiques composant les brins torsadés d'A.D.N.: les gènes. La lecture en est faite par les A.R.N., messagers le long de ces brins et, lorsque la construction est achevée, les deux brins se séparent. La cellule peut alors se scinder en deux pour que le cycle continue.

 
L'horloge moléculaire

Aussi bien l'étonnement ressenti devant de telles merveilles se mue en stupéfaction quand on se rend compte que chacune des cellules qui composent le corps entier (il y en a des centaines de milliards dans celui des animaux supérieurs) renferme dans ses brins torsadés d'A.D.N., tout le programme du développement complet de l'être considéré.

Cela veut dire que chaque cellule possède le plan précis et détaillé des constructions que devront réaliser toutes les cellules. Chaque cellule renferme tous les plans des autres cellules et sait par conséquent ce que doivent faire toutes les autres cellules. Cela veut dire aussi qu'un certain nombre seulement de gènes fonctionnent dans chaque cellule et ne fabriquent que ce qui concerne la cellule en question. Les autres gènes sortent de leur inaction seulement quand la nécessité d'exécution du programme l'impose.

Comme les gènes se sont constitués au cours de milliards d'années, les cellules gardent fidèlement l'échelonnement de leur construction au cours du temps, dans une horloge moléculaire dont la mémoire ne se trompe jamais. Les gènes, gardiens du programme, ne déclencheront les opérations successives que dans le strict respect de l'horloge moléculaire en se rappelant le moindre détail de leur construction passée.

 
Un code pour tous les vivants

Une série de conclusions s'imposent. Tout d'abord l'association acides nucléiques-acides aminés constitue, comme disent les spécialistes, le dogme impérial de la biologie. Rien de vivant ne peut exister en son absence.

En second lieu, le code génétique est le même pour toute la matière vivante, qu'il s'agisse d'une bactérie, d'une algue bleue ou de l'Homme. L'universalité du code génétique est la découverte la plus impressionnante de la biologie contemporaine. C'est la preuve irréfutable que les vivants, dans leur totalité, quelles que soient aujourd'hui leurs dissemblances, de l'humble mousse à l'humanité triomphante, viennent d'un ancêtre commun.

N'importe quelle cellule de n'importe quel être vivant comprend le message transmis par un A.R.N. messager, quelle que soit son origine et se met à fabriquer sans erreur la chaîne des protéines définie par le message.

A ce niveau de la matière vivante il n'y a plus, ou il n'y a pas encore, d'espèces différenciées. Les A.R.N. de transfert et les enzymes d'une bactérie fabriquent rigoureusement l'hémoglobine d'un mammifère après avoir reçu et interprété les A.R.N. messagers de ce mammifère.

Code génétique universel, ancêtre commun, conclusions aussi graves qu'émouvantes. Dans la famille des vivants il n'y a pas de droit d'aînesse. En tout cas cette immense notion du code génétique universel devrait rapprocher les hommes de la nature.

Tous les êtres vivants sans exception sont embarqués sur la même galère avec les mêmes impératifs et les mêmes difficultés. Notion d'une communauté complète d'origine, de servitudes et de moyens qui doivent engendrer compréhension et respect entre les membres de cette communauté. Toute vie, si humble et effacée soit-elle, végétale ou animale, doit être respectée, protégée.

 
"Si je comprends bien", a observé Séverine, je suis la cousine de cette primevère, de cette fourmi, du petit rouge-gorge et du grand saule à qui je raconte mes chagrins?

 
Exactement, nous sommes tous parents, nous sommes tous liés par la même chaîne mais seuls les êtres sensibles peuvent s'en rendre compte.

 
Hasard et nécessité

Nécessité, oui. Hasard, non. L'évolution a été trop rapide, trop subtile, trop rusée pour avoir réussi grâce au seul hasard. L'intelligence de la nature est trop parfaite pour s'être inventée elle-même. On sent derrière tout cela une volonté qui puise ses racines dans une réalité supérieure et antérieure à la matière.

 
La cellule est donc la brique fondamentale de tous les êtres vivants. Notre corps en contient cent mille milliards comportant 200 variétés. Leurs dimensions sont de plusieurs microns (millième de millimètre). Une cellule contient mille milliards d'atomes.

 
L'intelligence cellulaire

Aucune démonstration n'est plus évidente que celle du triton amputé d'une patte arrière. Si on lui greffe un blastème (bourgeon) de patte avant, ce bourgeon devient une patte arrière. Le même bourgeon devient une queue si on le greffe à la place de celle-ci. Quel est donc le secret de l'assemblage des molécules entre elles, car c'est bien d'un assemblage qu'il s'agit, exactement comme dans un jeu de construction.

 
A la surface des cellules, des molécules dites d'adhérence, ont des formes particulières qui leur permettent de se lier à d'autres cellules dont les molécules superficielles présentent les mêmes formes. En plus de cette liaison entre deux cellules voisines, des protéines de "fixation" jouent le rôle de véritable harpons et d'autres molécules de "jonction", agissant à plus longue portée, structurent des groupes de cellules.

 
Alors? Hasard? Intelligence? Gageons que ce hasard a bien peu de part dans cette intelligence. Spinoza donnait à la matière une vie indépendante. Bergson ne pouvait expliquer ces phénomènes qu'en admettant qu'un large courant de conscience avait pénétré la matière dès son origine.

 
Les cellules nerveuses (les neurones)

Il y a dans le corps, comme partout ailleurs, des nobles et des roturiers. Les cellules nobles sont les cellules nerveuses, les autres sont les roturières; mais il est inutile d'ajouter qu'elles sont aussi nécessaires les unes que les autres.

Dans chaque cerveau on trouve 10 milliards de neurones comportant chacun 10 000 connexions. C'est dire qu'on n'est pas prêt, heureusement, de fabriquer un humanoïde robotique, sauf au cinéma.

 
C'est dans ce domaine qu'apparaît le plus visiblement la conjonction matière-électrons. Chaque cellule nerveuse est une minuscule pile au sodium fournissant une énergie de 70 millivolts ce qui est infime à l'échelle de la cellule, mais représenterait à notre échelle une force de 100 000 volts par centimètre carré.

Notons que la myriade de petits générateurs munis de leurs câbles transmetteurs se commandent mutuellement. Au ralenti les pompes fonctionnent juste pour maintenir une faible tension uniforme. Lorsque l'activité cérébrale sollicite cette poussière d'usines, une rapide ouverture à la naissance de l'axone (prolongement du neurone) laisse passer l'influx nerveux en moins d'un millième de seconde. De proche en proche l'influx nerveux parcourt les 100 centimètres qui représentent le câble électrique de l'homme.

Pensons que les 100 milliards d'axones sont excités ensemble et réalisent l'extraordinaire performance d'adapter chaque fois leur régime au message qu'ils transmettent. Grâce à ce dispositif l'influx nerveux cheminera à la vitesse de 100 mètres seconde et permettra une réponse réflexe instantanée à la sensation reçue. Tout ceci grâce à une molécule lubrifiante, véritable huile du moteur, stockée dans des vésicules que l'influx crève à chaque passage.

 
De pareils miracles se réalisent en permanence dans cette boîte osseuse qui contient 1400 centimètres cube d'une substance gluante, la cervelle, reflet poignant de l'Univers.

 
Mais ce n'est pas tout. Ecoutez encore. Un neurone excité peut développer plusieurs dizaines de milliardièmes de watt, ce qui devient considérable si l'on tient compte du nombre énorme de neurones concernés en même temps. De sorte que si nos yeux de myopes pouvaient plonger assez profondément dans la matière cérébrale, nous verrions qu'à certains moments, et sans aucune métaphore poétique, le cerveau s'illumine!

 
- C'est peu-être ça, l'auréole des saints que nous montre notre livre de catéchisme! m'a dit Séverine.

 
La vie venue d'ailleurs

Jusqu'à une époque récente on pensait que la Vie était un pur et unique produit de notre vieille Terre. En 1953, après avoir regardé avec succès par le trou de la serrure, deux chercheurs, Miller et Hurey, voulurent jouer au Grand Sorcier. Ils mirent dans leur cornue un mélange d'ammoniaque, de méthane, d'hydrogène et d'eau, composition supposée de l'atmosphère primitive. Soumis à des décharges électriques qui voulaient reproduire les orages de la naissance, le mélange prit peu à peu une teinte brunâtre et les deux savants recueillirent enfin des molécules prébiotiques, c'est-à-dire la Vie dans ses premiers balbutiements.

 
La preuve par 9 était ainsi rapportée et le dossier aurait pu se clore sur ces bonnes expériences quand, très rapidement, des nouvelles venues du ciel remirent tout en question. L'œil de plus en plus aigu des astrophysiciens décela des choses étranges dans les plaines galactiques. On trouva d'abord un précurseur des sucres dans la comète de Halley. Puis dans la météorite d'Orgueil on distingua des corpuscules assimilables à certains organismes unicellulaires terrestres comme les algues, mais qui ne correspondaient à aucune espèce connue, posant l'angoissante question de savoir la forme que pouvait revêtir la Vie dans d'autres mondes. On trouva aussi de la cellulose dans la nébuleuse du Trapèze, de la porphyrine (corps voisin de la chlorophylle des plantes) autour de quelques étoiles. Chaque grain de poussière d'une comète renferme du carbone, du fer et de l'hydrogène. Un satellite a détecté dans l'espace des molécules à 50 atomes de carbone, voisine des sucres de la Terre. Or il tombe sur notre planète plusieurs tonnes de poussières cosmiques chaque année.

 
De là à dire que la Vie venait d'ailleurs il n'y avait qu'un pas, la théorie de la panspermie était née.

En réalité, comme pour la création à deux étages (un Big Bang et une création permanente) l'origine de la vie organisée semble relever de deux niveaux complémentaires et non incompatibles: la chimie organique de la Terre et celle qui nous vient du fond de l'Univers, lointaine carte de visite des mondes disparus.

Les espaces terrestre et galactique sont donc gorgés de Vie latente, si bien que certains auteurs ont parlé justement de "pulsion de vie".

 
Le monstre des origines

Il y eut tout de même au sein de cette fabuleuse réussite des cellules vivantes, à l'aurore même de la Vie, un épouvantable ratage: l'apparition du premier parasite que la science a dénommé "virus" (poison). Ratage non pas au niveau de cette cellule puisque les molécules du plus petit des êtres quasi vivants remplissent leur office qui est de subsister et de se reproduire, mais au niveau de la finalité générale de la Vie qui risqua de ne pas aller plus loin.

 
Ceci illustre d'une manière saisissante la "stratégie" de la Vie qui agit par essais successifs, allant du plus simple au plus compliqué. Le virus est en effet constitué par une tête de protéines enveloppant un cœur où se trouve le filament A.D.N. contenant le message héréditaire. Pourtant cet être si simple est un redoutable prédateur qui ne peut survivre qu'en prélevant directement sa nourriture dans les cellules où il pénètre. Appliquant aveuglément le message du code génétique, la cellule hôte se met à fabriquer les constituants de l'envahisseur, puis, vidée de sa substance, libère une armée de virions qui vont reproduire alentour la même opération. Destruction d'autant plus absurde que le virus mourra de la mort de sa victime.

 
Une seule fois dans l'histoire de sa première enfance, la Vie s'est trompée, à courte vue et ne s'en est aperçu que trop tard, le monstre minuscule des origines était né et rien désormais ne pouvait plus l'anéantir sauf les barrières immunologiques que le corps s'est mis à fabriquer.

 
Un mystère de plus

Les chercheurs ne sont plus à un mystère près. On a découvert en biologie moléculaire qu'il existe dans les chaînes A.D.N., gardiennes de l'hérédité, des "séquences aberrantes" qui ne correspondent à rien, du moins le semble-t-il. Elles constituent pourtant 40 % de la chaîne. A quoi servent ces séquences qui n'ont pas de sens? Correspondent-elles à des essais génétiques auxquels procède l'espèce dans le secret de la cellule? Préparent-elles sans nous le dire les mutations du futur, l'être qui émergera dans deux ou trois millions d'années ?... si l'humanité ne s'est pas suicidée avant.

 
Adaptation. Sélection

L'apparition ou plutôt l'explosion de la Vie organique si vite après la formation de la planète impose irrémédiablement au départ, nous l'avons dit, une idée de nécessité, de volonté et de choix, donc d'indépendance. Le hasard s'est imposé ensuite dans l'infinie variété de ses composants. Et l'on devine que toute l'évolution du vivant est dirigée, canalisée par des contraintes d'une rigueur sans égale qui touchent autant le corps entier que ses multiples parties. Si deux milliards d'espèces ont pu vivre plus ou moins longtemps et, pour certaines, survivre jusqu'à nos jours, il faut en chercher la raison dans deux lois naturelles qui ne comportent aucune exception: l'adaptation et la sélection.

 
Adaptation, mot magique, mot de passe de toutes les sociétés animales ou humaines avec une correction nécessaire: l'adaptation des êtres élémentaires est une adaptation directe et profonde de la nature, un effort obscur et têtu dirigé vers un but précis, alors que l'adaptation des sociétés humaines est sans cesse modifiée, transformée, remise en question par le jeu de l'intelligence.

Effort dirigé vers un but précis, action adaptée à une réalisation déterminée, c'est exactement la définition de la volonté.

Adaptation, volonté, réactions de tous ordres d'où sortira d'abord l'intelligence figée de l'instinct et ensuite l'intelligence mouvante, triomphante, envahissante de l'esprit humain.

 
L'adaptation dans les fonctions élémentaires

Nutrition, reproduction. Se nourrir, procréer, impératifs catégoriques de la Vie autour de quoi tout s'est articulé, organisé, construit. L'humble gouttelette primitive au fond de la mer originelle avait adopté une solution à son échelle. Les cellules sans noyau avaient réussi à leur façon et trouvé la solution en attendant que leurs héritières puissent inventer le chef-d'œuvre mécanique, chimique, physique, électrique de la réplication génétique, le "ballet divin" des A.R.N. messagers.

Les corps plus ou moins complexes qui suivirent ne firent pas autre chose. Où l'énigme commence, où les microscopes se voilent, où la science devient muette, c'est lorsque le spirituel succède au matériel, lorsque la pensée jaillit de la matière comme l'eau vive jaillirait d'un rocher, pour vivre une autre aventure non moins complexe, celle de la pensée. L'esprit, la force psychique, va transcender la matière et peut-être pouvoir en dernier lieu se séparer d'elle afin d'accomplir sa propre vocation.

 
Les fonctions adaptatives du corps humain

Evadé d'un monde sans pesanteur - le milieu marin - à la suite de tribulations variées, l'homme d'aujourd'hui est tout le contraire d'un poisson, l'eau est à l'intérieur, constituant un univers aquatique sans lumière, chaud, dans lequel vivent les milliards de cellules, les tissus et les organes.

Depuis le début, une foule d'adaptations lentes et successives ont résolu tous les problèmes de la merveilleuse machine humaine. Ces adaptations concernent naturellement tous les aspects du corps depuis les cellules de la peau, aplaties, imperméables, unies comme une immense mosaïque, se reproduisant sans cesse, jusqu'à celles des systèmes nerveux qui ne se remplacent pas.

Ainsi que pour tous les êtres vivants les modifications adaptatives ont tourné autour de deux pôles inévitables: la nutrition et la reproduction. Le corps est parcouru constamment par un fleuve alimentaire de la bouche à l'anus, et les opérations complexes qui se déroulent au cours de ce long circuit ont pour unique raison de reprendre aux aliments les acides aminés, les protéines qui fournissent l'énergie nécessaire au fonctionnement de l'usine. Tout ceci au bénéfice d'un tissu particulier, le sang, démiurge omni présent aux pouvoirs quasi illimités. 30.000 milliards de globules rouges, 50 milliards de globules blancs, tel apparaît en quantité cet élément essentiel de la Vie qui garde de ses origines la composition fondamentale de l'eau de mer. Carte de visite commune à tous les vivants.

Le sang porte la nourriture sous forme de molécules assimilables à chaque cellule et remporte les déchets qui les empoisonneraient promptement. Il est donc le ravitailleur, l'éboueur et, en plus, le réparateur éventuel des lésions qu'il rencontre.

 
Arrêtons-nous une seconde sur la richesse et l'étendue de ces opérations qui se déroulent dans le tréfonds de nous-même, dans le secret de notre corps physique, au-delà de notre conscience, nous apportant "l'obscur bien-être" du fonctionnement normal de nos organes.

 
On peut dire du plasma sanguin qu'il est le matériau universel du corps, reproduisant à son échelle le miracle de la cellule vivante: il construit le corps, il est construit par lui. Alors que les globules rouges jouent le rôle de wagonnets transportant l'oxygène saisi au passage dans les poumons, les globules blancs, doués d'ubiquité, sont partout, surveillant, mobilisant, réparant, animant.

Ils possèdent eux aussi, ces globules infatigables, dont la vocation est la mobilité, dont la fonction est de courir, de circuler librement, ils possèdent le pouvoir de se fixer sur un point où des tissus ont été détruits pour se métamorphoser en tous les éléments nécessaires à leur reconstruction.

De sorte que le sang se comporte exactement comme un fleuve qui se mettrait à réparer les maisons construites sur ses rives alors qu'il est lui-même alimenté par ces mêmes maisons. Une automobile qui se mettrait à fabriquer son moteur, son carburant, son chauffeur et ses pièces de rechange. Un édifice qui inventerait ses maçons, ses briques, son ciment et ses tuiles.

L'expérience du ruisseau sanguin est la plus exemplaire qui soit. Si des globules rouges s'échappent d'une goutte de sang et se mettent à couler, des filaments de fibrine les canalisent peu à peu, les entourent d'une sorte de tube comparable au vaisseau sanguin. Des globules blancs interviennent alors sur la surface du pseudo tube, l'étreignent dans leurs prolongements et le transforment en vaisseau capillaire doté de cellules contractiles, véritable segment d'un système circulatoire qui fonctionne aveuglément, sans cœur à irriguer... mais les cellules ont rempli totalement leur office.

 
Autre réussite parfaite d'adaptation: le problème de la pression sanguine. Dans le colossal entrelacement des vaisseaux dont la perméabilité et la capacité varient constamment, la pression sanguine doit demeurer la même. Pour maintenir cette stabilité vitale les artères et les veines se dilatent et se contractent automatiquement. L'eau contenue dans le sang se vaporise au niveau des poumons, s'échappe par les reins ou les glandes sudoripares en plus ou moins grande quantité. Si le cœur droit reçoit un afflux de sang trop important, un réflexe de l'oreillette droite augmente le rythme cardiaque pendant que l'appareil circulatoire élimine l'excès de liquide. Dans le cas contraire, si la pression du sang diminue, un réflexe parti de l'artère carotide entraîne la contraction des vaisseaux tandis que des liquides passent par les capillaires et viennent enrichir le système vasculaire pour y rétablir une pression normale.

 
L'adaptation pour le renouvellement de l'organisme par lui-même trouve une illustration saisissante dans la consolidation des fractures. L'os fracturé, qui a déchiré des vaisseaux et des muscles, s'entoure rapidement d'une bouillie de fibrine et de débris divers, enfle pour permettre au sang de circuler plus vite et de remplir son rôle essentiel en apportant toutes les substances nutritives qu'il contient. Alors apparaît un phénomène nouveau, non seulement des tissus se créent spontanément au gré des besoins mais certains, comme par enchantement, perdent leur individualité, se transforment sous la pression des nécessités en quelque chose pour quoi ils n'étaient pas faits. On a vu des fragments de muscles se métamorphoser en cartilage d'où naîtra bientôt un os absolument semblable à l'os primitif. Pour réaliser ces prodiges une somme fantastique d'opérations nerveuses, chimiques, structurales se sont organisées, superposées, complétées avec une cohésion parfaite, sans erreur, sans perte de temps, en dehors de notre système nerveux conscient.

 
Ainsi le corps physique n'a besoin de personne pour savoir ce qu'il doit faire, il agit aujourd'hui comme toujours avec sa propre substance et ses propres ressources. Et pour survivre dans ce monde sans concession, l'utile est la seule vérité, la seule voie ouverte vers le salut.

L'expérience de Wolf: ce savant embryologiste coupa le fémur d'une patte d'embryon de poulet en soudant la jambe sur la hanche. Quelques jours après l'animal complet était reconstitué. Si Wolf enlève la patte et soude directement le pied au fémur, l'organisme reconstruit une jambe. Toutes les cellules concernées au niveau de la section se sont modifiées d'elles-mêmes et se sont transformées selon les besoins de la cause pour que le "plan" soit respecté.

- "Alors, m'a dit Séverine, les cellules sont des petites bêtes intelligentes".

C'est exactement cela. Mais nous ne pouvons pas quitter ce domaine sans dire un mot de la lutte fantastique que livre le corps pour répondre à une agression microbienne ou virale.

Lorsque des microbes ou des virus pénètrent dans le milieu intérieur après avoir percé la peau ou les muqueuses c'est véritablement le branle-bas de combat, l'état d'urgence dans l'ensemble de l'empire corporel.

Les fonctions organiques vont répondre à l'invasion de toutes les manières possibles, par la fièvre, par la production de poison, par des sécrétions particulières, par la réparation hâtive des lésions, par la fabrication de substances qui agglutinent les envahisseurs, paralysent leurs mouvements et permettent à des globules blancs de les dévorer.

 
L'ordre du jour est naturellement de stimuler les activités organiques et d'anéantir les bactéries en empoisonnant le milieu où elles se répandent, mais il faut bien alors éliminer les victimes de ces combats sans merci. Les globules blancs, qui ont sécrété les substances délétères, forment alors des abcès par où s'écouleront les microbes anéantis ainsi que les défenseurs sacrifiés. Pour cela d'autres globules blancs fabriquent un ferment qui va creuser un canal dans les tissus vivants pour ouvrir une voie d'évacuation du pus vers l'extérieur.

Le corps entier se battra jusqu'au bout même si l'ennemi l'écrase sous sa multitude, il ne déposera les armes que si les envahisseurs, hélas, triomphent. Alors les organes se mettront en équilibre avec leur milieu, ils ne réagiront plus et l'ultime métamorphose de la vie terrestre s'accomplira dans ce que le vocabulaire humain appelle la mort.

Alors, est-ce que derrière tout cela un projet n'est pas en cours? Tout se passe comme si un jour la Vie s'était échappée du cosmos pour évoluer à sa guise, follement, superbement, animée par une indomptable volonté qui ressemble fort à l'Energie fondamentale d'où elle provient.

 
Mais si elle s'est échappée du cosmos c'est que le Dieu-des-origines l'a voulu ainsi. Pourquoi semble-t-il s'en être désintéressé ensuite? Mystère.

 

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