Je ne suis ni croyant ni particulièrement crédule. De ma vie je n'ai rendu visite à un mage ou à une tireuse de cartes. Les horoscopes de la radio ou des journaux me font plutôt rigoler. Mais ce qui m'est arrivé cette nuit-là, je ne l'oublierai jamais.

Je rentrais chez moi après une soirée passée chez mes parents qui habitent une ferme dans les environs de notre petite ville. Je n'étais ni saoûl, ni excessivement fatigué. Virant dans la rue de l'église Saint-Eustache qui jouxte le cimetière, juste quelque cinq cents mètres avant d'arriver chez moi, un chat noir surgit de ma gauche, se précipite sous les roues de ma voiture. Je freine à mort. Je sens la secousse provoquée par les pneus passant sur le corps de l'animal. Ma voiture dérape et j'ai toutes les peines du monde à ne pas partir dans le décor. Le coeur battant je sors de la voiture et retourne sur mes pas.

Mais au lieu du cadavre du chat que je m'attendais à trouver sur la chaussée c'est une femme encore jeune, tout de noir vêtue, enveloppée dans sa longue pélerine à capuche noire qui se relève, appuyée sur un bâton et s'éloigne vers l'église tout proche.

- Hé! Attendez! criai-je lorsque je la vis trottiner, vous n'êtes pas blessée?

Mais l'inconnue ne répondit que par une sorte de ricanement. Je la vis gravir les quelques marches de granit sous le porche et s'engouffrer dans l'église. Sur la route, à l'endroit exact où il me semblait avoir écrasé le chat il y avait une tache de sang. Un peu soufflé par mon aventure je voulus en avoir le coeur net et garai ma voiture. Je suivis l'étrange personnage dans l'église.

Malgré l'heure tardive la porte restait ouverte. Quelques cierges brûlaient encore devant la statue de la vierge et celle de saint Eustache, le patron de la ville. Une petite vieille agenouillée priait. Je m'en approchai, la dévisageai, mais ce n'était pas mon inconnue de tout à l'heure. Je fis le tour de l'édifice, regardai toutes les chapelles, examinai les quatre confessionnaux. En vain.

La petite vieille se leva, esquissa une génuflexion dans l'allée, prit de l'eau bénite et fit le signe de croix avant de trottiner, les mains jointes, vers la sortie. Je perçus derrière moi un nouveau ricanement. Quelques notes étranges jaillirent de l'orgue et me firent frissonner.

La petite vieille avait dû entendre elle aussi. Elle se retourna, fit un nouveau signe de croix avant de s'enfuir. Je lui emboîtai le pas, le coeur battant, pas très fier de moi, m'efforçant de me raisonner, de ne pas me mettre à courir. J'atteignis enfin la porte par laquelle j'étais entré lorsque juste derrière moi le ricanement se fit plus proche. Je m'élançai, bondis dehors, complètement paniqué. La petite vieille n'était déjà plus en vue, seul un chat noir traversait nonchalemment la rue, tout droit devant lui, bondit sur le mur du cimetière et disparut entre les tombes.

L'abbé me chuchote...

Je sentis une main sur mon bras dont les doigts décharnés me serraient à me faire mal. Complètement terrorisé je me retourne. Ce n'est que l'abbé Julien, le vieux curé de la paroisse, qui me chuchote:
- Ah! Vous l'avez vu vous aussi? Hein! Il s'enhardit! Maintenant il ose venir me provoquer tous les soirs!
- Mais qui ? bafouillai-je en frissonnant.
- Le Malin pardi ! Mais ne répétez à personne ce que vous avez vu! Je n'aurais bientôt plus d'ouailles si l'on savait que le Diable ose venir me narguer jusque dans mon église.