Poltergeist
 

 
L'ESPRIT FRAPPEUR

Une soirée chez des spirites

 
Un soir, en rentrant de son cabinet, mon mari me demanda si je voulais bien l'accompagner chez des amis qui organisaient une soirée de spiritisme. Je refusai catégoriquement car l'unique séance de magie à laquelle j'avais participé auparavant me laissait une impression de profond malaise. Je suis catholique pratiquante, je crois en Dieu et je considère toutes ces manigances comme néfastes. Mais je ne pouvais décemment empêcher mon époux de se rendre à l'invitation de nos amis.

 
D'ailleurs il n'insista guère. Depuis quelque temps déjà cela ne marchait pas très fort dans notre couple. Je savais que Charles me trompait avec son assistante et nous faisions chambre à part.
- Tu n'oublieras pas tes médicaments! me lança Charles en partant sans m'embrasser. Je restai donc seule à la maison. Je me sentais très lasse, fatiguée, comme si je couvais une vilaine maladie.

Sans le vouloir, mon esprit vagabondait...

Je m'installai sur mon lit, avec un plateau repas, mangeai sans aucun appétit, dînant devant le poste de télévision, partageant mes bouchées avec Crapule mon adorable petit Yorkshire. Je n'eus pas le courage d'aller chercher dans l'armoire à pharmacie de la salle de bains les vitamines que Charles m'avait préparées. Puis, comme les programmes ne présentaient aucun intérêt, je me couchai pour de bon en écoutant un disque de musique classique. Mais sans le vouloir, mon esprit vagabondait ailleurs.

 
J'imaginais très bien, sans avoir besoin d'y assister la réception cérémonieuse dans le salon des Bernard, leurs amis assemblés autour du guéridon qui servait à communiquer avec les esprits. Je voyais toutes les ficelles de leur mise en scène un peu ridicule, le mystère baroque de la séance spirite. Je n'écoutais plus Mozart, j'oubliais les accents superbes du requiem, j'étais là-bas, avec eux et fixais le coeur battant le petit meuble de bois frappant le sol au rythme de son message.

 
Charles était parti depuis deux heures au moins lorsque je sentis une présence insolite dans la maison. Allongée sur le lit je ne rêvais pas. Je voulus me raisonner, me convaincre que mon esprit divaguait, que tout cela était pure imagination. En vain. Plusieurs coups sourds frappés au plafond me persuadèrent du contraire. Je n'osais plus bouger de mon lit. Je le savais, ma peur était absurde mais qu'y faire! Le téléphone se mit à grelotter sur la table de nuit. Le temps de saisir le combiné, la sonnerie s'était arrêtée.

Au bord de la crise nerveuse

Soudain, un bruit de verre brisé me vint de la salle de bains. Ce ne pouvait être le chien, il dormait près de moi sur la couverture de fourrure. Mais lui aussi semblait avoir entendu. Il leva une tête inquiète, me regarda et jappa, dressé sur le lit. Je le fis taire d'une caresse. D'autres coups résonnèrent au plafond. Au bord de la crise nerveuse, je me levai d'un bond, allumai toutes les lumières, saisis une épée décorative qui ornait le mur du salon et parcourus toute la maison au pas de charge tenant l'arme menaçante devant moi. Crapule sur les talons aboyait de sa petite voix pointue et rageuse. Je ne vis rien d'insolite. Un peu rassurée j'allais descendre me recoucher lorsque le téléphone sonna à nouveau. Je courus répondre. Trop tard. Le correspondant inconnu avait raccroché. Je me dirigeai vers la salle de bains me passer un peu d'eau sur le visage. Là je découvris le miroir de l'armoire de toilette fendu en étoile et le flacon de verre contenant la potion préparée par mon mari et qui m'était destinée, brisé sur le sol dallé de marbre.

 

La terreur me reprend...

Mon chien qui m'avait suivi en jappant vint lapper la mixture, évitant soigneusement les débris coupants qu'il ignorait avec précaution. La terreur me reprend et, bondissant sur le téléphone, je composai le numéro des Bernard pour demander à mon mari de rentrer immédiatement. Mais cela eut beau sonner longuement au bout de la ligne, personne ne répondit à mon appel. Et voilà que les coups recommençaient à ébranler le plafond, me rendant complètement folle. Je voyais toujours dans mon esprit, le guéridon des Bernard au milieu de leur salon plongé dans la pénombre mystérieuse avec des bougies pour seul éclairage, tandis que le médium en transes invoquait les esprits. Je pris mon manteau et décidai d'aller les rejoindre. Tout valait mieux que la solitude dans cette maison hantée.

 
J'allais quitter la chambre à coucher lorsque les lumières s'éteignirent brusquement, interrompant du même coup la musique. Le silence fut terrible. Je crus me trouver mal. Au plafond les coups frappaient toujours selon un rythme imprévisible, hallucinant, contrariant les battements de mon coeur. Je quittai la maison en courant, mon manteau sur le bras, abandonnant Crapule, sans même songer à refermer la porte à clé. Toujours au pas de course, je traversai le jardin et me hâtai vers la station de taxi toute proche, n'osant pas descendre au garage prendre ma voiture. Cinq minutes plus tard je sonnai à la porte des Bernard.

 
C'est Jean-Claude qui apparut dans l'entrebâillement après des dizaines de sonneries nerveuses et convulsives. Il ouvrit la porte avec précaution et me regarda, bouche bée, comme si j'étais une apparition ou un fantôme. Tourné vers mon mari, il cria:
-Charles, viens voir! Marie-Lou est là! Inutile d'essayer de l'appeler! Je voulus me précipiter dans les bras de mon mari mais il parut contrarié et me repoussa froidement.
-Qu'est-ce que tu fous là? Je croyais que tu dormais!
Les Bernard et leurs amis nous entouraient surpris, un peu gênés.

Je rougis et balbutiai des excuses

Lorsque je me rendis compte que j'étais en chemise de nuit transparente sous mon manteau, je rougis et balbutiai quelques excuses de venir les déranger dans cette tenue!

 
Le charme de la séance de spiritisme semblait rompu. Seul le médium, une jeune fille maigre, pâle, aux cheveux fous, au visage troublant dévoré par d'immenses yeux délavés, presque blancs, avec une minuscule pupille jaune, toujours en transes, me regardait bizarrement. Quand je fus un peu calmée, nous nous assîmes tous dans le salon autour du guéridon muet pour nous expliquer à voix basse, sans allumer les lumières pour ne pas arracher trop brusquement le médium à son hypnose. Xavier m'apprend qu'au cours de la séance, un des esprits évoqués prétendit être Jules-César-Auguste Escarcel, mon grand-père maternel et que celui-ci refusait de parler à tout autre qu'à sa petite-fille Marie-Louise. Ils eurent beau lui répondre qu'elle n'était pas parmi eux, que j'étais restée à la maison, l'esprit du grand-père ne voulut rien savoir, il exigeait ma présence.

 
Jean-Claude et Xavier essayèrent de me joindre au téléphone, relayés par mon mari mais je ne répondais pas. D'où leur surprise lorsque j'étais apparue à leur porte. Les Bernard décidèrent de tenter de renouer l'entretien avec mon aïeul. Charles ne semblait pas chaud. Il voulait rentrer. C'est moi qui lui demandai de rester. J'avais peur de réintégrer notre maison tout de suite et cette évocation de mon ancêtre me troublait. Il resta. Mais je le sentais nerveux. L'assistance reforma le cercle autour du guéridon, les mains unies à quelques centimètres au-dessus du meuble.

 

Je n'avais plus peur du tout!


 
Le trépied se remit à heurter le sol selon le même rythme que les coups entendus au plafond de ma maison. Endormi, les yeux grands ouverts, le jeune médium traduisit le message, au fur et à mesure:
- Marie-Lou tu es là? Réponds!
- Oui, je suis là, balbutiai-je!
- Je t'ai donc sauvée à temps, Dieu marci! Ton mari devait te tuer cette nuit!
Un silence atroce accueillit cette surprenante déclaration. Pour moi c'était tellement gros que j'éclatai de rire! Je trouvais la plaisanterie un peu outrée mais cela me détendit.
Je n'avais plus peur du tout! Jean-Claude et Xavier essayèrent bien de relancer le dialogue avec l'esprit mais Jules-César Auguste Escarcel resta muet.

 
Je regardai mon mari. Il était livide. Son regard me fuyait! - Mais dis quelque chose, Charles! Tu vois où cela mène toutes vos simagrées! On dirait des gamins. Allons, viens, rentrons à présent! La plaisanterie a assez duré! Nous prîmes rapidement congé de nos amis et partîmes en silence, sans échanger un seul mot en cours de route. Une fois chez nous, je me précipitai dans la cuisine pour boire un verre d'eau. Crapule gisait inanimé sur le carrelage. Mort.

Je tombai à genoux

Je regardai Charles. Une lueur bizarre passa dans ses prunelles. J'y lus un mélange de peur et de cruauté qui me fit frissonner. Je tombai à genoux, pris mon chien dans les bras et l'embrassai en sanglotant. Je m'enfermai à double tour dans ma chambre et veillai Crapule, folle de douleur. J'adorais mon chien plus que mon mari. Vers l'aube, sans avoir fermé les yeux de la nuit, je réunis toutes mes affaires, chargeai les valises dans mon Austin, emportai mon petit chien dans son sac de voyage et allai me réfugier chez une amie. A onze heures j'étais chez mon avocat et le priai de préparer une demande de divorce. Marie-Louise B.

Je n'avais pas le coeur à m'amuser.

Nous étions chez des amis un peu bohêmes, un peu fous, s'intéressant à tout et à rien. Ils parlaient d'art, de littérature, de philosophie. Il y a un mois je venais de perdre mes parents dans un accident de voiture et c'était ma première sortie. Je n'avais pas le coeur à m'amuser. J'étais très fatiguée et je voulais rentrer mais mon mari insista pour que nous restions encore un peu. Les voyantes et les tireuses de cartes le fascinaient. On nous avait promis pour minuit la présence de Karmatisha, le célèbre médium, qui faisait tourner les tables!

 
Très croyante, ce genre de spectacle me gênait et je refusais toujours d'y participer. La soirée fut très gaie. Tout le monde avait passablement bu lorsque Karmatisha entra dans le salon où nous nous trouvions vautrés par petits groupes, dans de profonds fauteuils ou sur des canapés. Nous ne l'avions pas entendue sonner à la porte et j'étais bien sûre que ni le maître, ni la maîtresse de maison n'étaient allés lui ouvrir.

 
Dès qu'elle fut là, grande, mince, éthérée, dans sa longue robe noire qui la moulait comme un gant, ses yeux immenses qui dévoraient son visage, le silence se fit impressionnant. Elle s'installa dans un fauteuil devant la lourde table de bois massif et l'on fit cercle autour d'elle. Je restai à l'écart, près de la bibliothèque, assise dans l'ombre, juste en face du médium. Christian mon mari me fit un clin d'oeil complice et posa les mains à plat sur la table comme l'y invita notre hôtesse. La lumière baissa progressivement et tout brouhaha cessa. Notre médium ferma les yeux et je crus distinguer une sorte d'aura autour de son visage. Soudain ses lèvres se mirent à remuer, son visage fut ravagé de tics, son corps maigre se tordit sur son siège durant une ou deux secondes avant de s'immobiliser dans une raideur cadavérique. Elle entrait en transes.

Chacun retenait son souffle.

Soudain, la vieille femme se mit à parler d'une voix étrange, rauque, nous disant qu'elle était en communication avec Martial et Suzanne, qu'ils avaient une déclaration à faire. Chacun se regardait. Moi je me crispai sur mon siège. Près de la table je vis Christian pâlir. Martial et Suzanne étaient les prénoms de mes parents. Et soudain, nous entendîmes distinctement (comme si le médium était ventriloque), ma mère déclarer de sa belle voix fraîche, naturelle: -Sabine! Venge-nous! Nous ne sommes pas morts dans un accident! C'était un crime!

 
- Oui, un crime! répéta mon père, - très reconnaissable à son timbre de bronze-. Un crime! Un crime! Venge-nous, Sabine! Le criminel est parmi vous! Christian se leva brusquement et cria, pâle de colère: - Ce n'est pas drôle du tout! Cessez cette mascarade. Je me levai à mon tour, plus lentement, marchai vers mon mari pour le calmer! Mais il était hors de lui et il s'en alla sans saluer personne, en claquant la porte derrière lui.

Quelle mouche le pique ?

- Quelle mouche le pique? s'enquiert doucement notre amie Sylvaine, il est fou ou quoi?
- Tu sais, votre petit jeu l'aura impressionné! Car votre médium imitait à la perfection la voix de mes parents! Et on ne peut pas dire que tout cela soit d'un goût parfait!
- Oh! Pardon ma chérie! Je n'avais pas fait le rapprochement. Martial, Suzanne, Sabine, bien sûr! Mais c'est affreux! Elle se tut.

 
- Tu sais, reprit elle en me serrant le bras, nous n'avons rien comploté je te le jure. Karmatisha ne pouvait pas savoir que tes parents étaient morts! Et je t'assure, elle est réellement en transes! -Je n'en crois rien! Il y a certainement quelqu'un qui l'a mise au courant! Et cette histoire de crime... Tu ne m'en voudras pas ma chère si je me me retire et vais calmer Christian. Je te prie de m'excuser auprès de tes amis! Je rentrai à pied, nous n'habitions pas très loin de chez Sylvaine et Jean.

 
Lorsque j'eus ouvert la porte de notre studio je dus me cramponner au battant pour ne pas tomber. Mon mari gisait sur le sol, la tête éclatée dans une mare de sang, sa main exsangue tenant encore un revolver... Sur le secrétaire un mot griffonné avouait simplement :

 
-Pardonne-moi ma chérie, tout est de ma faute! C'est moi qui les ai tués...

 
(Carine Gonzalès)
 


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