Témoignage :  Guérisseur

MADEMOISELLE BARBIER

En visite chez des amis habitant près du Tréport, la conversation roule sur les rebouteux et les guérisseurs de campagne. Un  voisin raconte avec conviction une histoire que, sur le moment, j'ai beaucoup de peine à croire. Il y aurait, à Woisel, une paysanne dont les dons de guérison auraient fait merveille sur l'épouse de l'une de nos éminences, ancien candidat à la présidence de la République. Cette femme souffrant d'un eczéma chronique et inguérissable se serait vu conseiller par la Dr. X, grand patron de l'hôpital Saint-Louis, d'aller consulter cette modeste guérisseuse de campagne. Le célèbre dermatologue la connaissait, ayant sa datcha dans les environs de sa ferme.
Intrigué mais plutôt méfiant, car cela ressemblait fort à un canular, je décide tout de me rendre sur place.

Dans la Picardie profonde

J'y vais donc un samedi, avec mon épouse, et je me retrouve à Woisel, dans la Picardie profonde, entre Oisemont et Airaines. Je découvre une antique et grande ferme picarde un peu délabrée, avec une vaste cour boueuse et peu engageante, où rôdent, parmi les poules, les cochons et les canards, des dizaines de chats en liberté. Une femme sans âge, au visage ingrat, à l'élocution difficile, pauvre d'apparence, nous reçoit essuyant ses mains calleuses à son tablier.
Je la consulte pour un érythème fessier persistant et désagréablement placé près de l'anus, que je traîne depuis des années sans que les spécialistes consultés ne parviennent à m'en guérir.
Pas très causante, la fermière ne me demande pas qui je suis, ni qui m'envoie chez elle.
En entrant dans la cuisine de la ferme, d'une saleté repoussante, j'ai presque un haut-le-coeur devant l'odeur d'urine de chat qui me prend à la gorge. Je n'imagine pas du tout l'une des premières dames de la République venir se soigner là!

Un endroit repoussant

Ce lieu misérable me semble pourtant étrange. Seul luxe, si l'on peut dire, une antique cuisinière de fonte noire sertie de cuivre, dont la bonne chaleur tempère l'atmosphère humide. Sur les meubles, les étagères, le buffet, des chats nous épient. Il y en a partout.
Ici et là, des chandeliers croulant sous les stalagmites de cire gisent entre la vaisselle douteuse, des légumes et des fruits fraîchement cueillis, des écuelles sales, des statuettes sulpiciennes de sainte Thérèse, de sainte Bernadette, des crucifix, des casseroles.
J'explique à la brave paysanne l'objet de ma visite, lui dis le mal dont je souffre. Elle hoche la tête et me désigne une chaise sur laquelle je m'assois docilement. Elle s'agenouille devant moi et se met à marmonner des prières et des invocations dont je ne saisis pas le sens. Ensuite, installée entre mes cuisses, le visage penché vers mon bas-ventre, elle se met à me souffler sur la braguette de très près, le froid d'abord, puis le chaud. Je n'ose l'interrompre pour lui dire que ce n'est pas là que je souffre, qu'ici tout va bien, mais que c'est à mon derrière que le vilain érythème s'en est pris.
Quand elle se relève, après dix minutes de ce traitement, je me dis que, à part le folklore, voilà bien une visite pour rien. Je me console en songeant que même si mon mal demeure, j'aurais assisté à une cérémonie peu commune et visité un endroit pittoresque.

Je lui donne cent francs

Je demande à la guérisseuse ce que je lui dois. Elle me répond, bégayant et avalant les mots:
- C'que vous voudrez!
Je lui donne cent francs, plutôt par charité et pour nourrir ses chats, que pour la consultation probablement inutile.
Or, en arrivant à notre hôtel, je sens d'abord des picotements à mon bas-ventre, puis des brûlures. Je me déshabille, et je m'affole en voyant mon sexe et mes bijoux de famille rouges et enflés. Ils se couvrent de boutons, m'irritent, s'enflamment, si bien que complètement paniqué, je téléphone à Paris à mon neveu médecin et lui explique ce qui se passe. L'ami croit évidemment à une blague mais, comme j'insiste et l'implore, il me conseille d'aller à la pharmacie acheter une pommade à la cortisone pour réduire l'œdème, et de venir le voir le lendemain. Il me rassure toutefois, en me disant que ce ne serait probablement qu'une crise passagère et sans suite.
Mon épouse se rend à la pharmacie qu'elle trouve fermée. Nous sommes un samedi soir. Elle fonce à la ville voisine où la pharmacienne de service refuse de lui livrer le médicament sans ordonnance. Elle revient donc bredouille. Toute la nuit, pour me calmer, ma femme me fait des compresses au vinaigre.

Mon mal a disparu

Au petit jour, ma machine a repris sa taille normale, les bubons ont disparu et mon érythème fessier aussi.
Depuis, je n'ai plus jamais souffert de ce mal.
En retournant chez mes amis picards, quelques semaines plus tard, je leur raconte mon expédition chez la guérisseuse et ses conséquences. Ils ne sont pas surpris. Comme je voulais en savoir un peu plus sur cet étrange personnage, ils me disent que le père Barbier, son père avait été un guérisseur de renom, leveur de feu et rebouteux, que l'on venait consulter de très loin à la ronde. Il aurait transmis son don et ses secrets à sa fille avant de mourir.
- Mais tous ces chats?
- Elle les recueille et les nourrit. Les gens qui veulent s'en débarrasser arrivent en voiture et les balancent dans la cour de sa ferme où ils vivent en liberté avec les autres. Certains sont écrasés sur la route, et le vétérinaire du coin vient parfois stériliser les femelles pour ne pas voir ces bêtes envahir la région.
Il paraîtrait, selon de rares confidences, que la fille Barbier voit un rapport entre son don et la présence de ses chats autour d'elle.
Voilà! Je vous rapporte cette aventure comme je l'ai vécue, sans aucune enjolivure, mais je vous jure que c'est la stricte vérité.
Maurice V. Paris

 
Les guérisseurs traditionnels manipulent, imposent les mains, soufflent (le chaud ou le froid), font des passes, le tout sur fond de méditation et de prière. Ce sont en général des êtres simples et croyants, d'une bonté native, qui mettent leur pouvoir au service de leurs proches sans en tirer profit. Le plus souvent sincères, ils n'ont pas pris la grosse tête, affirment avoir hérité leur don d'un proche parent.

 

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