Témoignage :

LES LUKHUNS DE JAVA


 

 
Il y a quelques années, enquêtant pour un journal suisse, j'étais allé à Manille voir opérer les fameux "chirurgiens à mains nues"  dont la renommée avait fait le tour du monde. Une incroyable campagne de presse très bien orchestrée par un cabinet de communication américain, attirait là-bas par charters les malades incurables du monde entier.
Je fus l'un des premiers à dénoncer la supercherie et à dévoiler les méthodes de ces charlatans.
Aujourd'hui, une nouvelle vague de guérisseurs miraculeux attire en Indonésie des milliers de malades condamnés par la médecine officielle, souvent en quête d'un dernier espoir de guérison.
Il s'agit des LUKHUNS. Des guérisseurs spirituels.
De tout temps, chaque village indonésien avait son lukhun, sorte de sage local, intercesseur entre la divinité et les hommes, soignant et guérissant par la méditation et la prière. La tradition veut que les lukhuns détiennent également le pouvoir d'agir sur les éléments. Ce sont eux que l'on appelle pour faire venir ou suspendre la pluie, détourner un orage ou un cyclone tropical, protéger un village des démons ou du mauvais oeil, faire taire un volcan.
Avant de partir là-bas, je m'étais un peu documenté auprès des quelques Français qui en étaient revenus. Leurs avis semblaient pour le moins contradictoires. Deux enfants soignés par un célèbre lukhun de Jogjakarta ont vu leur cancer régresser spectaculairement. D'autres, après une amélioration passagère, ont constaté d'irréversibles récidives et ne gardent aucun espoir.
A Djakarta, un ami journaliste indonésien me présente au Dr. Batak qui étudia durant plusieurs années la médecine traditionnelle pour le compte du gouvernement. Son avis, très prudent, est que le phénomène lukhun est largement surévalué par la médiatisation internationale. Pour me permettre d'avoir une vue d'ensemble du sujet, le Dr. Batak me recommanda à son confrère, le Dr. Thomas Bolderdijk de Bandung qui dirige à l'université un groupe de recherche pluridisciplinaire sur la médecine empirique. Sous sa houlette, un physicien, des médecins, des psychologues, des pharmaciens examinent les vertus des plantes et les "pouvoirs" réels ou supposés des thaumaturges locaux, en testant leurs méthodes et vérifiant sur le terrain les résultats qu'ils obtiennent.
Ce fut en sa compagnie que je me rendis à Jogjakarta, dans le centre de l'île. Là, dans cette ville colorée où l'on parle vingt langues et où se mêlent vingt peuplades, il me fit rencontrer quelques lukhuns, des mages, des sorciers et autres empiriques. Comme je souffrais de douleurs vertébrales chroniques, et de lourdeurs aux jambes dues à une artériosclérose, il me serait facile de tester leurs pouvoirs réels sur moi-même.
Pour commencer, nous rendons visite au célèbre D.D.S., le lukhun réputé guérir le sida et le cancer. Dans sa maison transformée en clinique, je retrouve cinq Français en cours de soins. La méthode de S. est très simple. C'est la même utilisée, à quelques nuances près, partout dans le monde par tous les guérisseurs spiritualistes qu'ils soient chrétiens ou bouddhistes. Méditation, prière, concentration, plantes, imposition des mains. Dans les cas graves, il utilise une baguette de bois qui, l'aide, nous dit-il, à "condenser l'énergie divine". Je me soumets durant un quart d'heure à son "fluide" sans ressentir quoi que ce soit sinon une douloureuse crampe fessière. Durant une semaine, je subirai quotidiennement son traitement. Sans résultat.
En quittant S., je demande au Docteur Bolderdijk ce qu'il en pense.
- Il est difficile de faire des statistiques dans le milieu de la médecine empirique. En tous cas, au cours des deux mois que j'ai passés auprès de D.D.S. j'ai constaté qu'il guérissait totalement à peu près un malade sur dix. Pour ce qui est des cancers, j'ai observé 1 cas de guérison inexpliquée et plusieurs rémissions sur plusieurs milliers de patients. Quant au Sida, je préfère réserver mon opinion. C'est là une maladie imprévisible dont le cours prétendu irréversible, présente parfois des rémissions inattendues.
Rien de miraculeux donc, comme voudraient nous le faire croire les thuriféraires à gages.
B. poursuit:
- Mais, le problème reste posé. Même s'il n'y avait qu'une véritable guérison sur cent, il nous faudrait l'expliquer.
Nous rencontrons chaque jour plusieurs lukhuns dont quelques admirables charlatans.
La semaine suivante, le Dr. Bolderdijk m'emmène dans un village niché au coeur des rizières en terrasses, sur les contreforts du volcan Merapi. Le paysage est d'une beauté à couper le souffle. La population aimable. Partout des enfants souriants, au regard souvent pathétique.
A l'entrée du village, nous rencontrons un "gamelan", groupe de percussionnistes jouant du kendang et de la sesando, sortes de mandolines primitives. Précédé d'une troupe de gamins, les musiciens accompagnent notre voiture jusqu'à la modeste demeure de M.L.V., un vieux sage considéré comme un saint. On le dit capable de guérir, de détourner les tempêtes, de prédire le temps, et de chasser les démons. Il soigne ses patients à l'aide de l'eau pure d'une source volcanique, de tisanes de simples et par la prière et l'imposition des mains. Musulman, très croyant, il fait chaque année retraite dans une cabane de la montagne où il jeûne, prie et médite dans la solitude et le silence, plus près d'Allah dont il prétend tenir son pouvoir. Des dizaines de patients défilent chaque jour dans la minuscule pièce aux murs et au sol de terre, où il officie. Des médecins de la région lui envoient les cas incurables. D'après B. V. guérit un malade sur 6, et plus particulièrement les maladies de la peau. Son intervention ne soulage pas mes jambes et ne me libère pas de ma sciatique.
A Salatiga, mon cicerone m'entraîne chez un sorcier madurais, un tharpy, qui, selon lui a le don de nouer et de dénouer les aiguillettes, de rendre les femmes stériles ou fécondes par la seule force de sa volonté.
Dans le coeur de la vieille cité malaise, nous rencontrons un petit homme noir et maigre, aux yeux vifs, qui nous fait entrer dans un taudis plein d'enfants exubérants, parmi lesquelles de ravissantes gamines évoluent avec grâce. Le sorcier nous entraîne au fond d'une cour encombrée de mille marchandises en désordre au milieu de cages contenant des coqs noirs, des serpents, des scorpions, des chauve-souris. Il s'enferme avec nous dans une sorte de véranda très claire, curieusement meublée d'un divan sculpté recouvert de soie vierge et d'un magnifique secrétaire malais d'ivoire et d'ébène, véritable pièce de collection.
L'homme ne parlant pas un mot d'anglais ou de français, le toubib se fait notre interprète.
Je lui demande une preuve de son pouvoir.
Avant même que mon ami n'ait traduit mon désir, le tharpy me fixe de ses yeux noirs. Incapable de soutenir son regard, je lève instinctivement le bras pour m'en protéger et, ressens comme une commotion. Durant plus d'une minute, je reste le bras en l'air, à demi replié, sans pouvoir l'abaisser.
Lorsque, enfin, l'homme détourne les yeux, mon bras retombe inerte le long de mon corps.
Troublé par cette expérience, la gorge sèche, j'ai une envie irrésistible de boire quelque chose. Sans même que j'eusse à manifester mon désir, une des fillettes entrevue tout à l'heure, nous apporte un plateau avec du thé. La gamine est très belle. Le sorcier me regarde. Au même instant, comme je bois avidement une gorgée de thé brûlant et très parfumé, je sens une formidable envie génésique sourdre de mes lombes. Je me sens très excité par cette petite merveille de sensualité qui me sourit avec une innocente effronterie.
Le tharpy prononce quelques mots à l'adresse du Dr. Bolderdjk qui rougit.
Mon ami murmure, peinant sur les mots:
- Il vous dit que si vous voulez, la petite vous appartient ! Elle est saine !
Je suis surpris par cette offre directe et quelque peu barbare. Mais complètement subjugué par la beauté de la gamine, et sentant ma virilité dans un état d'excitation gênant, je rougis à mon tour, incapable de prononcer une parole.
Le tharpy parle alors à la fillette et emmène le Docteur pour nous laisser seuls.
Dès que la porte s'est refermée la gamine s'occupe de moi avec la simplicité et le savoir faire d'une hétaïre de métier.
Mais, à peine m'eut-elle dévêtu et s'est-elle allongée sur le divan m'offrant la splendeur de son corps que, malgré l'envie terrible que j'ai d'elle, mon arme retombe molle et flasque.
Compatissante et dévouée la petite s'évertue à me ranimer par de savantes caresses, mais rien n'y fait. Je reste coincé!
J'abrège le récit de cette aventure dont je n'ai pas lieu d'être très fier... Disons qu'après une demie heure de carence absolue, je vais me rhabiller. C'est alors que le visage du tharpy apparaît au milieu du feuillage de la véranda. Gêné, je veux baisser les yeux, mais son regard brillant m'hypnotise littéralement durant quelques secondes et, immédiatement, mon rameau reprend tournure et redevient branche, me permettant d'honorer la mignonne.
Voilà! Je vous raconte cela comme je l'ai vécu.
Un autre jour, sur les pentes du Merbabu, entre les cultures de caféiers et les forêts de Tek, dans une jolie vallée verdoyante, nous rendons visite, dans son château-monastère en ruines, au "prince" Rongowarsito. C'est un svelte quadragénaire, au beau visage lunaire abrité sous un turban de soie. Ce descendant en ligne directe de la dynastie des princes de Surakarta, vit six mois en ermite dans sa thébaïde, et six mois en concubinage au milieu de six femmes jeunes, ses disciples, à qui il enseigne les secrets de l'art divin et millénaire de la Knèse.
Ce fut là, dans cet étonnant bâtiment de vieilles pierres sculptées de dieux et de dragons, burinées par le temps, envahi par une végétation exubérante où errent en liberté araignées géantes et serpents, que Rongo m'initia à ce massage ongulaire jadis réservé aux dieux, que nos occultistes pédants appellent pompeusement la Knésothérapie.
Je dois avouer que, lorsque nu, allongé sur une table tressée de feuilles de bananier je sentis crisser sur ma peau les dix ongles magiques à l'agilité diabolique, je ne doutai plus des vertus de cette thérapeutique. Sous les directives du maître, Srivyja, la plus douée de ses élèves, me gratta ainsi durant plus d'une heure, effleurant de la corne finement polie de ses ongles les parties les plus sensibles, me plongeant dans un bien-être absolu. Ici pas de gesticulation ostentatoire ni de transe hystérique mais la plus exquise des sciences digitales, la chaste et pure résonance vibratoire communiquée par l'ongle à l'épiderme.
Après trois séances de ce traitement, réalité ou illusion, je ne ressentais plus de lourdeur dans mes jambes ni de douleurs vertébrales.
Avant de reprendre l'avion, je retournai voir D.D.S pour prendre des nouvelles de ses patients français dont j'avais fait la connaissance à l'aller.
L'un d'eux était mort, deux étaient repartis guéris, quant aux deux autres le lukhun me dit qu'ils étaient venus le consulter trop tard. Je retrouvai l'un d'eux échoué sur le grabat d'un guérisseur de dixième ordre, plus malade que jamais et sans argent, ayant laissé tout son pécule aux charlatans de la ville. Le Dr. Bolderdijk parvint à le faire hospitaliser, en attendant un hypothétique rapatriement sur la France avec l'aide du consulat.
Dans l'avion, mon ami indonésien me montra un papier sur lequel il avait noté le nom de quelques médicaments occidentaux que le célèbre lukhun me priait instamment de lui envoyer dès mon retour en Europe. (!!)
Avant de nous séparer, le Docteur m'emmena dans son bureau où il me laissa prendre connaissance des statistiques de son groupe d'études des médecines traditionnelles.
Elles ne prouvaient rien ni pour ni contre le pouvoir des lukhuns. A côté de quelques miracles indiscutables, ? mais quel médecin n'a pas connu dans son service de guérisons inattendues et inexplicables? ? que d'échecs !
Pourtant, je n'avais pas rêvé, le sorcier tharpy de Salatiga m'avait bien immobilisé le bras, noué puis dénoué l'aiguillette ! Et les ongles magiques de Srivyja avaient bien chassé mes douleurs vertébrales et allégé mes jambes !
J'en conclus, bien malgré moi, que derrière tout cela il y a quelque chose, que ce quelque chose agit de manière imprévisible, mais que l'on ne sait pas du tout ni quand, ni comment, ni pourquoi ça marche !
Roland D. - Vevey

 

Le nouage et le dénouage de l'aiguillette sont deux très anciennes pratiques sorcières consistant, selon divers procédés magiques, à inhiber la virilité de l'homme ou à lui rendre ses vertus. Aujourd'hui, c'est en général aux sexologues que l'on s'adresse pour rétablir le bon fonctionnement d'un appareil génésique défaillant, mais les sorciers sont encore très sollicités pour nouer l'aiguillette!
La Knésothérapie est l'adaptation moderne de l'antique onuxothérapie pratiquée dans les maisons closes chinoises et par les geishas japonaises. Elle consiste en séances de grattage rituel pratiqué sur tout le corps, mais plus particulièrement sur les "noeuds" des "méridiens" où circule l'énergie vitale. Cette art thérapeutique fut l'ancêtre du massage chinois et de l'acupuncture.
 
 


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