Par le passé, des personnages
célèbres ont été le jouet du phénomène
type "Doppelgänger". Goethe affirme, avoir vu un jour qu'il était
sous le coup d'une violente émotion, s'avancer vers lui, son "double"
vêtu d'un costume gris perle. Vers la fin de sa vie, Guy de Maupassant
prétendit qu'à plusieurs reprises son "Double" vint s'asseoir
en face de lui, dans son cabinet de travail, alors qu'il était en
train d'écrire. Hallucination, phantasme ou phénomène
paranormal ?
ÉMILIE SAGÉE
Émilie Sagée fut elle
aussi victime du phénomène de dédoublement du type
Doppelgänger. Le cas de cette institutrice dijonnaise, née
en 1813, est à la fois différent et plus étrange encore.
En 1845, le directeur d'un
pensionnat huppé pour jeunes filles nobles des environs de Riga
(Lettonie), engage Émilie Sagée alors âgée de
32 ans, comme préceptrice de français. La jeune Française,
vive, enjouée, intelligente et très sociable plaît
d'emblée tant à son directeur qu'à ses jeunes élèves.
Mais, au bout de quelques semaines, les jeunes pensionnaires se confient
des histoires folles à son sujet, racontant qu'elles ont vu leur
professeur de français au même instant, en plusieurs lieux
différents. Ces rumeurs finissent par venir aux oreilles des autres
enseignantes avant de remonter jusqu'à la direction.
Au début, les collègues
de travail d'Émilie ne prêtent pas attention à ce que
leur disent leurs élèves, traitant leurs commérages
de fantasmes.Mais l'affaire se complique lorsqu'un soir le chef des jardiniers
du domaine aperçoit la préceptrice se promenant dans le parc
à l'heure du dîner alors que toute la maisonnée, professeurs
et élèves, sont sensés se trouver au réfectoire.
Curieux de cette anomalie, l'homme entre dans le bâtiment, pousse
la porte de la salle à manger et y voit la Française en train
de dîner paisiblement à la table des professeurs.
Il retourne aussitôt
vers le parc où il découvre à nouveau la jeune femme
marchant à sa rencontre, un livre à la main, le croisant
sans répondre à son salut.
L'affaire se corse
L'affaire se corse encore le jour
où, l'institutrice étant en train d'écrire à
la craie une fable de La Fontaine sur le tableau noir, une de ses élèves
alerte ses compagnes qui, se retournant, aperçoivent Mademoiselle
Sagée sagement assise dans la dernière rangée de pupitres
de la salle!
Selon le témoignage
des domestiques de l'institution, ce "double" inquiétant va se
manifester à de nombreuses reprises au cours des mois qui suivent.
Son comportement devient de plus en plus imprévisible. Ainsi, tandis
qu'elles s'affairent à des travaux de broderie dans une salle du
rez-de-chaussée, sous la surveillance de l'un de leurs professeurs,
les pensionnaires observent par les fenêtres, les allées et
venues de leur préceptrice de français dans le parc. A un moment donné, leur surveillante s'absente. Elle est aussitôt
remplacée par Émilie (ou son double), assise immobile et silencieuse.
Les jeunes filles voient pourtant par les porte-fenêtres ouvertes, la véritable Émilie ou son sosie, évoluer lentement dans
l'allée proche, le visage pâle, le pas hésitant, en
proie à une grande fatigue.
Frissonnant d'une peur délicieuse
devant ce mystère qui les trouble, quelques pensionnaires s'enhardissent,
quittent leurs places, entourent la jeune femme qu'ils ont sous la main,
la touchent sans qu'elle proteste. Son corps n'offre qu'une faible résistance
à leurs doigts qui s'enfoncent à travers ses vêtements
et ses chairs comme s'ils ne rencontraient que du vide.
L'étrange créature
ainsi traversée de part en part se dissipe lentement sous leurs
yeux avant de disparaître comme elle était apparue...
Cette expérience incroyable
met les adolescentes en émoi. N'osant pas en parler à leurs
professeurs, c'est avec des frissons et des trémolos dans la voix
qu'elles racontent l'histoire à leurs gouvernantes ou à leurs
parents en l'enjolivant de mille détails troublants. Devant de tels
faits, niés par la direction, certaines familles retirent leur progéniture
de l'internat. Aux vacances d'été, il ne reste qu'une dizaine
d'adolescentes sur les quarante-deux que l'institution comptait en début
d'année.
Des sornettes
Le directeur de l'École qui
n'a jamais assisté personnellement au phénomène et
qui ne croit pas à ces sornettes décide pourtant de se séparer
d'Émilie Sagée. Pour en avoir le coeur net, il la convoque
dans son bureau et l'interroge sur ces choses bizarres qui lui sont rapportées
à son sujet. Émilie avoue que ce n'est pas la première fois
qu'elle doit changer d'employeur à la suite de tels faits. Mais
elle jure qu'elle n'y est pour rien.
Une des élèves
d'Émilie rapporta quelques mois plus tard cette curieuse affaire au célèbre
parapsychologue russe Alexandre Aksakof et lui permit de rencontrer l'institutrice.
Aksakof rendra visite à Émilie à de nombreuses reprises,
allant jusqu'à la recommander pour un poste de préceptrice
dans une noble famille russe. Il restera en contact avec elle jusqu'en
1850, année où l'on perd définitivement sa trace suite
à un événement tragique.
Devenue dame de compagnie
d'une riche douairière qui l'avait prise en affection, Émilie
semblait enfin avoir retrouvé le calme et la sérénité.
Hélas, en son absence,
sa protectrice fut retrouvée morte dans son palais. Des témoins
dignes de foi affirmèrent avoir vu Émilie sortir de la demeure
la nuit même du décès de sa maîtresse, alors
qu'elle prétendait s'être trouvée cette même
nuit à la résidence d'été de la comtesse, à
quatre cents verstes de Saint Pétersbourg, ce que confirmèrent
l'intendant et le régisseur du domaine.
Phénomène authentique
Une chose semble certaine : Émilie
Sagée était sincère et incapable de mystifier son
entourage. Dans quel intérêt l'eût-elle fait? Quant
à son "double", elle ne parvenait pas à le contrôler
et ne décelait sa présence semble-t-il qu'en éprouvant
une énorme fatigue, et devant les visages effarés des personnes
de son entourage.
Un argument joue en faveur
de l'authenticité du phénomène et de la sincérité
de la jeune femme : le témoignage d'une de ses anciennes élèves.
Celle-ci lui rendit visite chez la parente où elle vivait et observa
que ses enfants semblaient s'être habitués depuis belle lurette
à l'idée d'avoir deux "tantes Émilie", l'une joyeuse,
volubile et dynamique, l'autre figée et silencieuse... (Marc Schweizer)