Histoire des sciences divinatoires
 

 
VOYANTS - ASTROLOGUES
PROPHÈTES ET DEVINS
 

MOYEN-ÂGE ET RENAISSANCE



 
JÉRÔME CARDAN
en latin : Cardanus - En italien : Girolamo Cardano
(Pavie 1501 - Rome 1576)


Une vie tumultueuse


La vie tumultueuse de Jérôme Cardan est un véritable roman picaresque. Ce personnage haut en couleur et surdoué incarne à lui seul le génie de la Renaissance, époque à la fois turbulente, inventive, trépidante, glorieuse. Personnalité hors du commun, à multiples facettes, d'une vitalité puissante et d'une intelligence pleine de contradictions, il fut considéré comme l'un des premiers médecins de son temps.
Jacobus Aquaviva dit de lui :
«À la fois médecin et hypocondriaque, homme de science et astrologue, mathématicien et sorcier, philosophe mais inapte au bonheur, croyant fidèle à son Église mais jugé et condamné pour hérésie, sa principale obsession fut de passer à la postérité et le drame de sa vie, ses enfants.»


Une petite enfance malheureuse

Girolamo naît le 24 septembre 1501 à Pavie, rescapé d'une fausse couche. Enfant illégitime et non souhaité, il est le fils de Fazio Cardano (1445-1524) un vert quinquagénaire doué d'une vaste culture et bon mathématicien, et de Chiara Micheri, une veuve âgée de 30 ans mère de trois enfants qui moururent de la peste.

Jérôme vit donc le jour dans des conditions difficiles et lui-même rapporte dans sa passionnante autobiographie (Liber de propria vita), que sa mère eut recours à des médicaments abortifs pour se débarrasser de lui.

Mal aimé par ses parents, d'un physique ingrat et quelque peu difforme, souvent malade, le petit Jérôme fut souvent battu et traité comme un domestique.


Fazio Cardano, le père

Fazio Cardano n'était pas n'importe qui. Juriste et mathématicien connu, avocat célèbre, c'était un homme honorable et riche faisant partie des notables de la ville de Milan.

En plus de sa pratique du droit, Fazio s'intéressait aux sciences occultes, notamment à l'astrologie, dispensait des cours de mathématiques à l'université de Pavie et à la Fondation Piatti de Milan. Léonard de Vinci le consultera plusieurs fois sur des questions de géométrie.

Lorsque Chiara tomba enceinte de Jérôme, la peste ravageait Milan. Par prudence, le couple quitta la ville pour Pavie, où leur fils Girolamo naît le 24 septembre 1501. Lorsqu'elle apprend que l'aîné de ses trois enfants d'un précédent lit vient de mourir de la peste, la mère retourne à Milan, laissant Jérôme à son père.


Élevé à la dure

La petite enfance de Jérôme ne fut pas très heureuse. Chiara et Fazio vont vivre séparés durant plusieurs années et leur fils sera élevé à la dure par un père intraitable.

À partir de l'âge de 9 ans, Jérôme doit suivre son père dans ses nombreux déplacements, faisant office de valet. Fazio remarquant cependant que son fils est doté d'une intelligence peu commune il fait l'effort de lui apprendre le latin, le grec et les mathématiques. Au cours de leurs nombreux déplacements, il l'initia aux sciences occultes et partagea avec lui son savoir encyclopédique. Passionné par les études, Jérôme se prend à rêver d'une carrière académique.

Jérôme devenu l'élève, l'assistant et le factotum de son père est un adolescent fragile et souffreteux. Il avait de la peine à suivre l'increvable Fazio, toujours en voyage et à le seconder utilement en toute occasion. Et surtout, le jeune homme sentait croître en lui de grandes ambitions et souffrait de n'être que le larbin de son père. Il avait soif d'apprendre et voulait pousser ses études le plus loin possible.


Jérôme Cardan, l'étudiant

Fazio ne l'encouragea pas trop dans cette voie mais n'y fit pas obstruction. Lorsqu'il eut 17 ans, il lui facilita l'inscription à l'université de Pavie où il avait lui-même étudié la médecine cinquante ans auparavant, puis à celle de Padoue, lorsque la guerre éclata obligeant l'université à femer ses portes.

Jérôme s'y consacra à l'étude de la médecine et des mathématiques, révélant des dons exceptionnels dans beaucoup d'autres domaines. Il fut brillamment reçu maître ès arts à Venise en 1524.


Mort de son père

Fazio mourut au cours de la même année, peu avant que Jérôme qui avait postulé pour le rectorat, n'obtînt ce poste.

Jérôme dilapida rapidement le petit héritage et se mit à jouer pour tenter de remonter l'état de ses finances. En peu de temps, il devint un maître aux jeux de cartes, de dés et aux échecs, occupation marginale mal considérée par la bourgeoisie locale mais qui lui permit néanmoins de subsister.

Élève brillant mais turbulent, frondeur et indiscipliné. Son franc-parler et son ouverture d'esprit déplurent dans ce monde rigide, quelque peu sclérosé, habitué à la soumission des étudiants à leurs maîtres, où l'autorité faisait loi. Souffrant d'une impuissance sexuelle dont il parle librement dans ses "Confessions", Jérôme ne fut pas un coureur de jupons comme l'étaient la plupart de ses camarades étudiants mais un joueur passionné.


Docteur en médecine

Malgré sa dissipation, Jérôme Cardan obtint son doctorat en médecine en 1526 et posa aussitôt sa candidature pour un poste de professeur à la faculté de médecine de Milan où vivait sa mère.

Après examen de son dossier, et malgré la renommée de son père, l'excellence de ses études et de ses titres, l'université refusa sa candidature. Sa vie sulfureuse, sa réputation de bagarreur, d'anticonformiste au caractère intransigeant, difficile, sa filiation illégitime ne plaidant pas en sa faveur.

Sans avoir d'autre choix, poussé par la nécessité, Jérôme alla s'enfermer dans un trou, Piove di Sacco (Saccolongo), village distant de 15 km de Padoue où il tenta sans grand succès de se faire une clientèle rentable.

Au XVIe siècle, l'université de Padoue soustraite à l'autorité ecclésiastique par la république de Venise, fut le foyer d'un intense mouvement philosophique et scientifique, très ouvert sur la nature, sur l'expérimentation, où enseignaient des médecins comme Harvey et le philosophe Pomponazzi (Pomponace). Jérôme participa avec enthousiasme à ce mouvement.


Nouvelle rebuffade

Appelé à Milan par sa mère, vers 1529, pour y tenter une nouvelle fois sa chance, Jérôme essuie un nouveau refus de l'université de Milan toujours pour les mêmes raisons : les circonstances obscures entourant sa naissance et sa réputation d'indiscipline. Il retourna à Saccolongo pratiquer une médecine de campagne et de terrain.


Mariage

En 1531, guéri de ses inhibitions, Cardan épousa Lucia, la fille d'un voisin, Aldobello Bandarini, capitaine de la milice, qui lui donnera deux fils, Giovanni Battista (1534), Aldo (1543) et une fille, Chiara (1535).

Ses honoraires de médecin de campagne ne lui permettaient pas d'entretenir correctement un ménage. Aussi, en avril 1532, il déménagea et s'installa à Gallarate près de Milan, postulant à nouveau mais sans succès une chaire à l'École de médecine.

Ne pouvant espérer gagner correctement sa vie grâce à son diplôme de médecine, Jérôme revint au jeu. Mais il semblait avoir perdu la main et ses affaires allèrent à un moment donné si mal qu'en 1533 il fut obligé de mettre en gage les bijoux de son épouse.

En quête d'une fortune qui se faisait bien attendre, les Cardan décidèrent de s'installer à Milan où il leur semblait plus facile de s'en sortir. Mais le pauvre Jérôme se débrouilla si mal dans toutes ses entreprises qui tournaient court, que sa famille vécut chichement, logée dans un taudis.


La chance lui sourit

Mais la chance, longtemps marâtre lui sourit enfin. En 1534, Cardan se vit confier le poste de professeur de mathématiques que son père occupait à la Fondation Piatti de Milan. Cette activité lui laissait suffisamment de temps libre pour exercer une médecine libérale en ville et il soigna avec succès quelques notables. Au cours de la même année, il fut nommé médecin attitré auprès du chapitre de Saint-Amboise.

En 1536, il publie à Venise son premier livre: De malo recentiorum medicorum usu libellus puis son De subtilitate.

Une affluence de clientèle l'incite à appeler auprès de lui comme assistant, Lodovico Ferrari, un brillant élève issu d'une famille pauvre de Bologne. Cette association fut pleinement réussie.


Pamphlet

Mais le caractère ombrageux de Cardan ne lui permettait pas de jouir tranquillement de sa récente renommée. Rancunier, ruminant encore son échec au Collège médical de la ville, il publia en 1536 un pamphlet où il attaquait et se moquait des doctes médecins de la vénérable institution.

Il y disait, entre autres: « La réputation d'un médecin d'aujourd'hui ne vient pas des soins qu'il apporte à ses patients, ni des guérisons qu'il obtient chez ses malades, mais tient à ses belles manières et à son beau langage, à ses relations mondaines, à la livrée de ses domestiques, à la somptuosité de sa voiture, de ses vêtements, à son élégance, bref à tout ce qui est artificiel et sans valeur dans le domaine de la santé».

La publication de ce brûlot n'était évidemment pas le meilleur moyen d'amadouer ses confrères officiels et d'obtenir le poste de professeur qu'il convoitait. Pas surprenant donc qu'en 1537, sa candidature soit à nouveau rejetée. Mais la guérison du fils du sénateur Sfondrato lui valut de nouveaux clients fortunés.


La passion du jeu

Sa bonne connaissance des mathématiques lui donnait un net avantage sur ses partenaires, car il mit au point une martingale, une technique d'évaluation des chances lui permettant de gagner plus qu'il ne perdait. Mais cette passion l'entraîna sur une voie sans grand avenir, dans un monde interlope, dangereux et malsain.

Un jour qu'il se rendit compte qu'un des joueurs trichait éhontément lors d'une partie de cartes, son caractère impulsif l'amena à dégaîner le poignard qu'il portait toujours sur lui pour en frapper violemment son adversaire au visage.

Le jeu fut, durant de nombreuses années à la fois une drogue et une dépendance pour Jérôme et ce vice lui coûta beaucoup de temps, d'argent et salit sa réputation.


Recherches et travaux personnels

A côté de l'exercice de la médecine et de son enseignement qui le faisait vivre, Jérôme Cardan s'intéressait passionnément à de nombreux domaines scientifiques. Son nom est étroitement associé, dans le domaine mathématique, à ceux de Scipione del Ferro, Rafaele Bombelli, Niccolò Tartaglia, Ludovico Ferrari, ses compatriotes et contemporains italiens, auxquels le lièrent tantôt l'amitié dans une saine émulation, tantôt la rivalité et la rancune.

Le problème qui les rassemble est la résolution générale des équations polynomiales du 3e et 4e degré. Si la résolution de celles du 2e degré était banalisée depuis les Babyloniens puis Euclide, sur des cas particuliers, et avait été développée par Al Khwarizmi, les polynômes de degrés supérieurs semblaient défier les mathématiciens.


Enfin reçu à la Faculté de Milan

En 1538, enfin, il obtient, grâce à de puissantes amitiés, la licence d'enseigner de plein droit à Milan. Il doit aussitôt faire face à une cabale de ses principaux détracteurs. Suite à une campagne de calomnie où on l'accuse, en autres, de s'adonner à la magie et à la sorcellerie, - ce qui n'était pas faux - il se vit remplacé à l'Académie Piatti par Giovanni da Colla. Sa querelle des équations cubiques avec Tartaglia débute à la même époque.


Guérisons spectaculaires

En tant que médecin, Cardan obtint quelques guérisons spectaculaires que le bouche-à-oreille répandit à travers la ville si bien que sa renommée grandissante lui amena la clientèle inattendue de quelques grands malades, médecins officiels appartenant au Collège de la ville!

Souvent riches et influents, ses patients reconnaissants et leur famille permirent à Jérôme de rétablir ses finances et de monter un cabinet de consultation très fréquenté par la bourgeoisie et la noblesse de la cité.

Sa réputation avait atteint de tels sommets que des propositions honorifiques lui parvenaient de toutes parts. Appelé au chevet des rois et des grands de ce monde, Cardan privilégia sa liberté et son indépendance, refusant par deux fois d'entrer au service du pape Paul III tout en acceptant de soulager les souffrances de Michel-Ange. De même renonça-t-il à l'offre alléchante de Charles de Cossé, lieutenant général de François Ier. Têtu, n'aimant pas l'échec, Cardan postula pour la troisième fois une chaire à la Faculté de médecine de Milan.


1538 : l'année du triomphe

Admis en son sein sur la pression de personnes haut placées, l'Université dut revoir sa position et offrir une place honorable à Cardan parmi les siens.

Il fit paraître un ouvrage de mathématiques Practica arithmeticè et mensurandi singularis "La pratique de l'arithmétique et calculs simples" dont le succès fut immédiat.

Ce fut le début d'une carrière prolifique d'écrivain de vulgarisation scientifique traitant de sujets les plus divers, allant des mathématiques à la plus haute philosophie, en passant par la confection des médicaments, l'astronomie, l'astrologie, la théologie, la géologie, les probabilités, la mécanique.

Toujours en 1539, Cardan approcha Tartaglia, devenu célèbre en gagnant un concours sur la résolution des équations du 3° degré et lui arracha son secret. Développant le raisonnement de son confrère, il réussit à appliquer la méthode à toutes les équations du 3° degré puis à résoudre les équations du 4° degré avec l'aide de Ludovic Ferrari son associé.

En 1540, Cardan démissionna définitivement de la Fondation Piatti et son assistant Ferrari récupéra le poste. Cette fois Jérôme eut le sentiment d'avoir brillamment réussi.

De 1540 à 1542, Cardan continuera à se livrer à sa passion : le jeu. "Il jouait aux échecs toute la journée" sans abandonner pour autant ses recherches et ses travaux personnels où il laissait libre cours à son inventivité.

C'est à cette époque qu' il remplace par une lentille le sténopé, "petit trou" de la chambre noire décrite en 1515 par Léonard de Vinci, cette chambre noire qui lui permettait de dessiner les perspectives avec exactitude et sera trois siècles plus tard un des éléments clé de la naissance de la photographie.


La suspension du carrosse impérial

En 1541, Jérôme Cardan équipe le carrosse impérial de Charles Quint d'une suspension composée de deux arbres dont le mouvement de roulement devait éviter qu'il ne basculât. Lors de cette visite de l'empereur, il eut l'honneur de porter le dais de Charles Quint à son entrée à Milan, en tant que recteur du Collège des médecins de Milan.

En 1543, il refuse le poste de médecin de Sa Majesté le roi du Danemark mais accepte une chaire à l'université de Pavie, puis enseigne par intermittence à celle de Padoue jusqu'en 1551.

1544 paraît son De sapientia, réflexions sur le monde social, le progrès des techniques, la religion.


En 1545, Cardan publia son fameux Ars magna ouvrage à l'origine de son différend avec Tartaglia dans lequel il donna les méthodes de résolutions des équations du 3° et 4° degré. Accusé de plagiat, il se fâcha à mort avec Tartaglia.

En fait, Jérôme apprenant que Scipione del Ferro avait devancé Tartaglia dans la résolution des équations du 3e degré il estima qu'il pouvait publier la méthode malgré la promesse faite à son confrère de ne pas la divulguer.

Lucia son épouse mourut en 1546. Cardan ne semblait pas trop désolé de cette disparition, étant plus intéressé par son travail et la gloire qu'il convoitait depuis la publication de ses livres dont plusieurs étaient devenus des best-sellers. Tout à ses travaux, Jérôme négligea l'éducation de ses deux fils.

Vers 1550, il inventa le mécanisme à qui la postérité donnera son nom : le cardan.


Le plus grand médecin du monde

Recteur de la faculté de médecine, appelé consulté par des célébrités, Cardan acquit la flatteuse réputation de "plus grand médecin dans le monde".

Cardan reçoit encore plusieurs offres de la part de souverains européens, soucieux de recevoir les meilleurs soins.
John Hamilton, l'influent archevêque de St Andrews à Édimbourg, souffrait d'asthme depuis dix ans mais la fréquence et l'importance de ses crises s'accentuaient d'année en année.

Les médecins de la cour du roi de France et de l'empereur d'Allemagne appelés à son chevet ne parvinrent pas à le soulager.

Désespéré, John Hamilton proposa une somme importante à Cardan s'il acceptait de venir en Écosse. Cardan accepta l'offre du prélat et quitta Milan le 23 février 1552.

Mais il s'y rendit par le chemin des écoliers, prenant son temps, visitant en route d'autres clients célèbres qui avaient fait appel à lui. On signala son passage à Genève, à Bâle, à Paris, en Hollande, à Londres avant qu'il ne parvienne à Edimbourg le 29 juin pour examiner l'Archevêque.

Cardan fut à la hauteur de sa réputation et soulagea immédiatement son illustre patient qui, par la suite, guérit complètement.

A son retour en Italie, Cardan enseigna dans les facultés de médecine de Milan, Pavie, Bologne tout en recevant en consultation une clientèle huppée qui le rendit riche et célèbre.


L'horoscope du Christ

Comme la plupart des savants de l'époque - nous l'avons vu - Cardan croyait à l'astrologie et s'y adonnait. Mais, dans ce domaine, il n'eut pas la plume très heureuse !

En 1554, il publia son Commentaire à l'Astrologie judiciaire de Ptolémée. Ce traité était accompagné de douze exemples d'horoscopes dont celui de Cardan lui-même, celui de son père, de ses fils, de sa fille et celui de Jésus.

En opérant ce sacrilège, Cardan laissait croire que le Christ était soumis à l'influence du mouvement des planètes comme tous les hommes et tout ce qui vit la terre. Le Christ ne serait donc pas différent du commun des mortels.

"Cette publication ne lui valut rien de bon," nous dit son biographe, "et ne fournit que plus de munitions à ses ennemis et à ses détracteurs qui l'accusaient de ne pas savoir bien distinguer entre la science et la magie."

Cartan dressa également l'horoscope d'Edouard VI, le jeune roi d'Angleterre, à qui il prédisait une longue vie, et qui mourut hélas peu après, à l'âge de seize ans.

Pour prévenir les inévitables railleries, Cardan invoqua une erreur de calcul. Après avoir calculé une seconde fois, il trouva "que ce prince avoit eu raison de mourir comme il avoit fait et qu'un moment plus tôt ou plus tard sa mort n'auroit pas été dans les règles" affirma-t-il sans rire.

La carte du ciel de son fils Aldo n'était pas plus convaincante: Jérôme lui prédisait génie, gloire et richesse.

Mais nous allons voir plus loin, ce qu'il en advint.


Expériences paranormales

Précurseur de l'OOBE (out-of-body experiment), Jérôme Cardan vécut, vers 1556, quelques expériences curieuses de transe extatique au cours desquelles il sentait son corps et son esprit se dédoubler. Tout en demeurant lucide et conscient, il voyait son double venir s'asseoir en face ou à côté de lui, immobile, et, durant tout le temps que durait ce dédoublement, il ne souffrait plus de la goutte qui le torturait quasi constamment.

Médium à transe, comme le fut plus tard Swedenborg, le docteur Cardan transposa ce phénomène de transe en pratique médicale et l'utilisa pour soigner des patients dont la souffrance était devenue insupportable, sans qu'ils perdent connaissance.

Affirmant qu'il était capable de se mettre à volonté en état de dédoublement, il précise : «Je ressens alors dans la région du cœur une séparation qui se propage dans tout le corps comme si l'âme s'en allait, comme si une petite porte s'ouvrait sur l'infini. Cela commence dans la tête, principalement dans le cerveau, et se transmet à toute l'épine dorsale, et je sens que je suis en-dehors de moi-même.»

Cardan raconte aussi comment il vit à plusieurs reprises des "êtres" apparaître à travers le mur de son cabinet de travail. Il identifiait ces êtres comme des "habitants d'un autre monde".

Vers 1556, Jérôme Cardan vécut quelques expériences curieuses de transe extatique au cours desquelles il sentait son corps et son esprit se dédoubler. Tout en demeurant lucide et conscient, il voyait son double venir s'asseoir en face ou à côté de lui, immobile, et durant tout le temps que durait ce dédoublement, il ne souffrait plus de la goutte qui le torturait quasi constamment.

Cardan transposa ce phénomène de transe en pratique médicale et l'utilisa pour soigner des patients dont la souffrance était devenue insupportable, sans qu'ils perdent connaissance.

1557 : parution de De rerum varietate. Dans ce complément de son De subtilitate, Cardan recherche l'unité du monde au moyen de l'astrologie (déterminisme astral).

Tout étant signe de cette unité, il écrit en 1559 un traité de divination par la forme des traits du visage - la métoposcopie, ancêtre de la physiognomonie.


Malheurs domestiques

Parvenu au sommet de la gloire, il fut durement frappé dans son affection filiale.

Son fils aîné, Giambatista (Jean-Baptiste), promu docteur en médecine en 1557, épousa secrètement Brandonia Di Séroni, une garce effrontée qui l'avait embobiné et n'en voulait qu'à son argent. Avec la complicité de sa famille, elle le faisait chanter, le conduisant irrémédiablement à la ruine.

Cardan soutint financièrement son fils bien qu'il n'ait pas été consulté avant ce mariage qu'il aurait évidemment réprouvé.

Le couple vécut dans la demeure des Di Séroni, parents de Brandonia aussi infâmes que leur fille, complices dans les sordides manœuvres d'extorsion de fonds exercées à l'encontre de Jean-Baptiste et de Jérôme. Brandonia se moquait publiquement de son mari, allant jusqu'à affirmer qu'il n'était pas le père de ses trois enfants.

Lassé d'être trompé et escroqué, Jean-Baptiste empoisonna sa femme sur un coup de colère, alors que, circonstance aggravante, elle se remettait d'un nouvel accouchement. Après son arrestation, Jean-Baptiste avoua son crime sous la torture.

Jérôme Cardan fit appel aux meilleurs avocats, mais au procès, le juge décréta que pour que son fils ait la vie sauve, Cardan devait se réconcilier avec les Di Séroni et leur payer le prix du sang.

Les beaux-parents de son fils exigèrent une somme tellement extravagante que Cardan fut dans l'impossibilité de la réunir.

Jean-Baptiste eut la main gauche tranchée avant d'être exécuté dans sa prison, le 13 avril 1560.

Jérôme Cardan ne se remit jamais de ce coup du sort. Jamais il ne se pardonnera de n'avoir pu éviter les terribles souffrances de son fils préféré. Le souvenir de ce désastre le hanta constamment jusqu'à la fin de ses jours.


Ombrageux et agressif

1561 : De utilitate ex adversis capienda. (essai sur le crime).

En ce temps là, l'opinion publique n'était pas tendre pour la famille d'un meutrier. Cardan dut quitter la ville et alla postuler un poste de professeur de médecine à Bologne, qu'il obtint en 1562 grâce à la protection du cardinal Borromée.

Mais devenu ombrageux et agressif, Jérôme Cardan ne fut jamais bien accepté par ses pairs. Ses manières arrogantes et son humeur batailleuse d'écorché vif le déservirent et lui créèrent de nombreux ennemis.

Il faut dire que son caractère était devenu exécrable. Par exemple, la manière dont il s'y prit pour humilier un vieux professeur de médecine devant ses élèves, en soulignant avec hargne les erreurs involontaires que le vieil homme faisait dans ses conférences, fut jugée infâme.

Les collègues de Cardan essayèrent de le faire renvoyer en propageant des rumeurs sur sa manière d'enseigner, ses pratiques sorcières et divinatoires, son impiété et sa vie dissolue.


Cambriolé par Aldo, son propre fils

Cardan, nous l'avons vu plus haut, n'eut pas plus de chance avec son autre fils, Aldo. Son cadet, se révéla un fieffé voyou, ivrogne, joueur et paresseux, vivant d'expédients, fréquentant volontiers la pègre.

Dans son autobiographie Cardan avoue ses heures de profonde tristesse et d'abattement.

«D'abord, ce fut mon mariage, deuxièmement, la mort cruelle de mon fils, troisièmement l'emprisonnement, quatrièmement l'ignoble caractère de mon plus jeune fils ».

En 1569, Aldo jouait tout ce qu'il possédait, ses affaires personnelles et l'argent de son père espérant entrer bientôt en possession de son héritage.

Comme la mort de son père tardait, Aldo, aidé d'Eufomia, le secrétaire et ancien élève de Cardan, entra par effraction dans la maison de son père et lui vola plus de trois cents livres d'argent et des pierres précieuses. Aldo fut banni et Eufomia condamné aux galères.

Très meurtri par ce cambriolage, Cardan porta plainte contre lui et Aldo fut banni de Bologne (1566). Mais le fils indigne se vengea et dénonça son père au tribunal de l'Inquisition comme sorcier et hérétique.

Arrêté sur ordre du Saint-Office en 1570, Cardan fut poursuivi pour avoir établi l'horoscope du Christ et divulgué des pratiques de sorcellerie dans un ouvrage de démonologie qui sentait le soufre, ainsi que pour un éloge de Néron.

Avant d'être jugé, Cardan passa plusieurs mois en prison. Libéré sous caution de mille huit cents écus d'or, mais interdit d'enseignement, de publication de ses travaux et radié de l'université de Bologne, Jérôme Cardan revenait à la case départ.

Mis en demeure d'abjurer, le 28 février 1571, il se soumet sans résistance aux exigences de la Sagra Congregazione, qui lui interdit désormais de publier quoi que ce soit et lui enjoint de détruire 120 manuscrits restés inédits.

Un autre malheur vint assombrir les vieux jours de Jérôme, sa fille Chiara qui se prostituait, mourut de la syphilis.

Fanfaron, provocateur né, assoiffé de notoriété et de célébrité, Cardan faisait feu de tout bois pour faire parler de lui et c'est ce qui le perdit.


Indulgence du pape Grégoire XIII

Sur les conseils du cardinal Giovanni Morrone (son accusateur au tribunal de l'Inquisition) Jérôme part pour Rome implorer l'indulgence du pape (1572). Grégoire XIII l'accueille chaleureusement, lui pardonne ses excès, l'engage comme médecin personnel et le fait bénéficier d'une pension.

En 1575, il est admis comme membre du collège des médecins de Rome.

A l'âge de 75 ans, Jérôme entreprend la rédaction en latin de son autobiographie De propria vita où il dévoile sans modestie ni pudeur les épisodes les plus scabreux de sa vie, espérant perpétuer ainsi son nom et obtenir une place dans l'Histoire.

Mais il meurt le 20 septembre de l'année suivante avant que cet onvrage, témoignage précieux sur l'Italie de la Renaissance ne soit publié. Il ne le sera à Paris qu'en 1643 et à Amsterdam en 1654. Une traduction allemande parut en 1914 et une française, de Jean Dayre, en 1936.

Elle vient d'être rééditée, accompagnée d'une importante préface d'Étienne Wolff et d'un appareil critique minutieux. De propria vita peut est considérée comme la première véritable autobiographie publiée en Occident.


Une mort annoncée

Des auteurs prétendent que Cardan aurait prédit avec exactitude la date de sa mort. D'autres affirment que Cardan se serait suicidé le 21 septembre 1576 à Rome en se laissant mourir de faim, afin que sa prédiction astrologique soit confirmée par les faits. En effet, Cardan souhaitait ardemment que son nom passe à la postérité.


Homme libre

Homme libre flirtant avec la libre pensée, habitué aux coups de gueule, aux coups durs et aux provocations, il semble étrange que Cardan ait néanmoins toujours accordé son soutien inconditionnel à l'Église et reçu d'elle et de ses hauts dignitaires, aide et protection dans les moments les plus tragiques de son existence.

Mathématicien, médecin, savant illustre en son temps, Jérôme Cardan n'a pourtant guère laissé à la postérité que son nom, attaché à sa découverte d'un système de transmission mécanique.

L'invention ingénieuse destinée à rendre les lanternes et les boussoles indépendantes des mouvements du navire a depuis lors trouvé son utilité dans d'autres domaines, telle la construction automobile. André Citroën, l'a notamment rendue célèbre à travers la traction avant à "cardans" encore utilisée de nos jours.
Pierre Genève


SOURCES:
  Étienne Wolff,
De vita propria autobiographie de Cardan,
Richard Garnett, Giuseppe Benedetti

Leornardo Machado
Encyclopedia Universalis


  Dernière mise à jour: mai 2004


 

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