MOYEN-AGE ET RENAISSANCE


L'astrologie au temps de Frédéric II

 
Michel Scot (1170-1236) - Maître Théodore - Pierre d'Espagne
Juda ben Salomon Cohen - Jacob ben Abbamari - Al-Hanifi

 
MICHEL SCOT

 
On a rarement apprécié à sa juste valeur l'immense importance qu'avait l'astrologie au Moyen-Age. Au XIIIe siècle, la conception du «temps» était encore totalement liée à la foi. L'astrologie avait pour tâche de déterminer l'instant propice - notion qui sera occultée plus tard par la croyance en la Providence.

En ce temps-là, l'astrologie indissociable de l'astronomie, devait confirmer directement, à partir de ce qui est éternel, par la situation et l'évolution des astres, la nécessité métaphysique d'un événement donné survenant à un moment donné.

La plupart des esprits étaient alors «incapables de concevoir que les choses elles-mêmes pussent commander l'apparition de l'instant propice et lui conférer son sens éternel».

Dante lui-même s'assurait lors d'une circonstance importante, de la position des planètes, reliant de la sorte l'instant à l'éternité. Il était en cela très proche de Michel Scot qui affirmait que «les corps célestes n'étaient pas la cause des événements, mais leur signe, comme le cercle tracé à la porte d'une taverne n'est que le signe qu'on y trouvera du vin à l'intérieur.»

 
Michel Scot l'étudiant

Michel Scot, appelé aussi Michael Scotus, Michael the Scot, Schot ou Scott est né en Écosse vers 1170. Il voyagea beaucoup. Il étudia la théologie et les mathématiques à Oxford puis à Paris, il apprend la médecine et le droit à l'université de Bologne.

Docteur en théologie, sans doute ordonné prêtre, il se rend en Espagne où il apprend l'arabe, s'initie aux sciences occultes et perfectionne ses connaissances médicales.

A Tolède, où il se trouve vers 1210, il traduit de l'arabe en latin des œuvres d'Avicenne, d'Aristote et de l'astronome Alpetragius. En 1217, à Cordoue, il adapte l'œuvre d'Averroès. En l'an 1220 il est en Sicile où il devient l'ami et le conseiller du futur empereur Frédéric II dont il sera l'astrologue.

Dans son ouvrage Liber introductiorius, il décrit les diverses sortes de divination pratiquées de son temps. Afin d'imiter le tonnerre et les éclairs pour effrayer l'ennemi sur le champ de bataille, il réinvente la poudre de canon en mêlant salpêtre, soufre et charbon.

La légende affirme qu'il trouva la mort qu'il avait prédite: écrasé par la chute d'une pierre malgré le chaperon de fer qu'il portait pour se protéger.

 
Astrologue de l'empereur Frédéric II

L'astronomie et l'astrologie jouaient donc un grand rôle à la cour impériale. Un des sultans avait offert à Frédéric II ce précieux astrolabe qui, disait-il, était sur terre son bien le plus cher avec son fils et héritier Conrad.

Du sultan d'Égypte, il reçut un ouvrage d'astrologie arabe intitulé Le Livre des neuf juges. Son fils Manfred fit traduire plus tard un autre livre d'astrologie, le Centiloquium d'Hermès.

Michel Scot, enfin, composa, avec son Liber particularis et son Liber introductorius, une admirable encyclopédie de l'ensemble du savoir astronomique et astrologique de son temps.

Ce ne fut pas sans raison que Michel Scot passa pour l'astrologue par excellence du Moyen Age, et les villes italiennes furent bientôt inondées, elles aussi, de prophéties souvent apocryphes de ce savant comme, au temps de le Renaissance, la France des prophéties de Nostradamus.

Partout où il apparaissait, l'empereur était accompagné d'astrologues et de savants, et il est peu de choses que les princes italiens aient apprises aussi vite de l'empereur que l'emploi de l'astrologie.

Frédéric Il faisait-il réellement confiance à ses devins? Bien qu'il se soit souvent fait indiquer par ses astrologues l'heure favorable pour ses entreprises les plus importantes, comme par exemple la fondation d'une ville ou le début d'une campagne, il se peut qu'il ait pensé, à l'instar des princes de la Renaissance, que si les astres ne peuvent mentir, les astrologues, en revanche, en sont très capables.

 
Mise à l'épreuve

Frédéric II ne cessait de les mettre à l'épreuve. Michel Scot lui avait recommandé: «Si vous voulez un bon conseil d'un homme sage, demandez-le lui à la lune croissante», et il lui avait remis en mémoire l'antique précepte médical qui veut qu'on évite de se faire saigner lorsque la lune se trouve dans le signe des Gémeaux.

L'empereur souhaita infliger un démenti à son astrologue. Un des jours indiqués comme funestes, il fit venir son barbier.

La saignée se passa fort bien, mais quand tout fut terminé, le barbier laissa tomber sa lancette par mégarde et sa lame perça le pied de l'empereur, ce qui lui donna une enflure dont il souffrit plusieurs jours.

Une autre fois, Frédéric aurait demandé à son astrologue quelle était l'exacte distance séparant son palais du ciel. Quel qu'ait été le sens de cette question, Scot aurait immédiatement calculé la distance.

Là-dessus, l'empereur éloigna le savant, fit abaisser par son architecte le dallage de la salle de son palais, où il avait posé cette question, de la largeur d'une main et, lorsque Michel fut revenu, il le pria de déterminer encore une fois la distance.

L'astrologue aurait aussitôt remarqué que le ciel s'était éloigné de la largeur d'une main ou que le palais s'était enfoncé d'autant.

Un autre jour, au cours d'une audience, il désigna à Michel Scot un noble de sa cour paradant au milieu d'autres courtisans, et demanda à son astrologue quel serait son destin. Scot troublé par le résultat de ses calculs, chuchota à l'oreille de l'empereur : «Je le vois périr sur l'échafaud». Or, cet homme avait trahi son souverain qui le fit bientôt condamner à mort.

Ces anecdotes sont révélatrices de la méfiance de l'empereur à l'égard non des choses, mais des hommes. Sa cohorte d'astrologues, comme son « harem », ne servait souvent que de décor à ses multiples entrées en scène: le mystère lui était aussi indispensable que la magnificence.

 
Juda ben Salomon Cohen

Les savants juifs d'Espagne et de Provence avec lesquels l'empereur entra en relation ou qu'il attira à la cour devaient satisfaire avant tout sa curiosité philosophique et astronomique et pas seulement son intérêt pour l'astrologique.

Les savants firent connaître à Frédéric II la philosophie juive qui, avec Maïmonide, était alors à son apogée. Il est fort possible que Frédéric II, dont on affirmait qu'il parlait neuf langues et en écrivait sept, ait connu aussi l'hébreu, puisqu'il fit traduire de nombreux ouvrages en cette langue.

Juda ben Salomon Cohen vint à la cour à l'âge de dix-huit ans et y consacra dix années à traduire des ouvrages d'astrologie hébraïques et à compiler une encyclopédie se rapportant aux œuvres d'Aristote, d'Euclide, de Ptolémée et de l'Espagnol Alpetronius.

 
Jacob ben Abbamari

Un autre juif figure comme secrétaire de Michel Scot, comme en Espagne, où il était également d'usage que des juifs collaborent avec des latinistes aux traductions d'ouvrages arabes. C'est de Provence qu'était originaire Jacob ben Abbamari, qui traduisit cinq livres de la Logique d'Aristote avec l'introduction de Porphyre et les commentaires d'Averroès.

À Naples, il entreprit une traduction de Ptolémée en hébreu et traduisit également les Éléments d'astronomie d'Al-Fargani. Ces travaux sont dédiés à l'empereur et se terminent avec le vœu que le Messie daigne venir sous le règne de Frédéric Il, cet « ami de la sagesse qui me fait vivre ».

Un tel vœu ne ressortit pas seulement à la rhétorique, attendu que, selon la chronologie hébraïque, l'année 1240 correspondait à l'an 5000 et que l'on comptait sur l'arrivée du Messie cette annéelà.

D'autre part, Frédéric II jouissait d'un tel prestige auprès des juifs qu'un Miroir des mœurs hébraïque avait fait voisiner des anecdotes concernant l'empereur et certaines de ses paroles considérées comme exemplaires avec des actions et des propos célèbres d'Aristote, d'Alexandre le Grand, de Porphyre et de Théophraste. La cour de Palerme Après la mort du dernier roi normand, la Sicile fut plongée dans le chaos durant une trentaine d'années. L'activité littéraire artistique, généralement liée à la cour, cessa d'elle-même faute de mécenat, donc d'argent.

Kantorowicz affirme :

«Ce ne fut que lorsque Frédéric II, qui renouait dans tous les domaines avec les anciennes traditions, revint d'Allemagne dans son royaume sicilien, et plus encore après son retour d'Orient, que commença à la Grande Cour impériale une période d'intense activité intellectuelle dont les résultats ne furent guère inférieurs à ceux de Tolède.»

A la suite de la conquête de Constantinople par les croisés (1204), Byzance avait beaucoup perdu de son intérêt pour la culture. L'établissement d'un empire latin au Proche-Orient avait permis au domaine arabe de gagner en importance. Grâce à Frédéric II luimême, les études grecques reculèrent considérablement au profit des études arabes. L'empereur transmit à l'Occident par le truchement de nombreux savants ce qu'il avait appris lui-même, sans aucun intermédiaire.

 
Michel Scot et Frédéric II

Nous ignorons la date de la première rencontre entre Michel Scot et Frédéric II mais il semblerait que lors de sa visite à Bologne, à l'époque de son couronnement (1220), les deux hommes se connaissaient déjà et que le courant ait bien passé.

Au cours des années suivantes, le très cultivé Michel Scot, sera le savant le plus réputé de sa cour.

On sait peu de chose de la vie de cet Écossais. Il débuta sa carrière comme traducteur à Tolède, où il adapta de l'arabe en latin la Sphérique d'Alpetragius, en 1217. Trois ans plus tard, il apparut à Bologne. Il fut ensuite en relation épistolaire avec la Curie pontificale, qui le recommanda à l'archevêque de Cantorbéry. Vers 1227, on le retrouve à la cour de Frédéric II, dont il pourrait avoir fait la connaissance lors de l'entretien de l'empereur avec le mathématicien Leonardo Fibonacci de Pise.

Traducteur, astrologue, philosophe, mathématicien et devin, Michel Scot passait à l'époque pour un magicien et Dante l'imagine au fond de l'enfer, où il présente « ce maître en sorcelleries trompeuses et en magie » comme faux prophète de l'avenir, la face tournée vers l'arrière.

D'innombrables histoires merveilleuses et inquiétantes circulaient sur son compte et sur celui de l'empereur. On les retrouve encore dans les nouvelles et les recueils de contes fantastiques de l'époque romantique.

Comme Frédéric II, cet astrologue de la cour, que l'on surnommait le « second Apollon », inquiétait ses contemporains. On racontait aussi que, connaissant d'avance la façon dont il mourrait, il avait toujours porté un chaperon de fer, ce qui ne l'empêcha pas d'être tué par la chute d'une pierre, exactement comme il l'avait prévu.

Il mourut probablement en 1235, alors qu'il accompagnait l'empereur en Allemagne.

Le nom de Michel Scot figure en tête de beaucoup plus d'écrits qu'il n'en a réellement produit. Il est certain, toutefois, qu'il traduisit le Du ciel et le De l'âme d'Aristote avec les commentaires d'Averroès, ainsi qu'une compilation des écrits zoologiques d'Aristote, due à Avicenne, sous le titre de Liber animalium: Historiae animalium, De partibus animalium et autres traités - dix-neuf livres en tout. Cet ouvrage, dédié à l'empereur, comme presque tous les autres, fut le premier à transmettre à l'Occident la zoologie aristotélicienne.

En 1232, maître Henri de Cologne prit une copie de l'exemplaire impérial, qu'Albert le Grand utilisa peutêtre plus tard. On attribue à Scot, peutêtre à la légère, des traductions de la Physique et de la Métaphysique. Il est plus vraisemblablement l'auteur de quelques obscurs traités philosophiques tels que les Quaestiones Nicolai Peripatetici et une Philosophia systematica.

La cour de Sicile connaissait d'autres traités d'Aristote: outre la Rhétorique et la Météorologie, l'Éthique à Nicomaque, tandis que la Politique ne sortit de l'oubli que plusieurs dizaines d'années plus tard. En revanche, il y avait de plus en plus de pseudo-écrits aristotéliciens à la cour.

Plus tard, le roi Manfred fit traduire en latin pour la première fois le traité De domo, qui avait déjà été traduit en hébreu sous le règne de Frédéric, et offrit la Grande Morale à l'université de Paris.

Frédéric lui-même cite dans son livre de fauconnerie la Mécanique pseudo-aristotélicienne. Le traité intitulé Problèmes, qu'un érudit vivant en Grèce avait traduit de la langue était dédié à l'empereur; on connaissait aussi probablement la prétendue Théologie, ou le De la royauté d'Aristote.

 
Maître Théodore

Un autre savant, maître Théodore, confectionna pour l'empereur un extrait du Secretum secretorum, ouvrage également attribué à Aristote. Comme Michel Scot, il portait le titre de philosophe de la cour, et il a probablement obtenu la fonction de l'Écossais après la mort de ce dernier et, plus tard, il reçut même un fief.

Alors que Michel Scot avait représenté l'esprit de l'Espagne tolédane, Théodore incarnait plutôt celui de l'Orient arabe. Il était probablement originaire d'Antioche; on disait qu'il avait étudié à Bagdad et à Mossoul avant d'être envoyé à l'empereur par le « Grand Calife », sans doute Al-Khamil d'Égypte (1236).

Il ne manquait pas d'occupations: pendant quelques mois il fut employé comme astrologue, chargé d'établir les horoscopes pour l'empereur, et comme secrétaire pour assurer la correspondance avec les souverains arabes.

L'empereur le consultait très souvent, pour connaître l'heure propice à une entreprise ou le caractère d'un homme à qui il souhaitait confier un poste ou avec qui traiter une affaire.

Il fut envoyé comme ambassadeur à Tunis. Comme savant, il eut à traduire un traité de chasse arabe. Enfin - activité moins intellectuelle, mais non moins importante il eut à préparer pour la cour de la confiture de violettes dont l'empereur lui donna l'ordre d'en envoyer à Pierre des Vignes qui était malade.

 
Pierre d'Espagne

Pierre d'Espagne se désigne à son tour, dans un traité de médecine, comme un disciple de maître Théodore. Nous savons peu de choses de sa personne, pas plus que de celle de deux autres hommes qui portent également le titre de «philosophes de la cour», maître Jean de Palerme et maître Dominique, qui était sans doute espagnol.

Une seule anecdote subsiste de Pierre d'Espagne, astrologue de Frédéric II, que nous conte Ben Hamoun. Le souverain ayant reçu en cadeau deux jeunes et ravissantes jeunes filles Circassiennes envoyées par son ami Al-Khamil, il pria son astrologue de dresser l'horoscope de ces deux beautés.

Pierre d'Espagne effectua ses calculs et ne leur trouva aucun avenir. Leur thème se révéla bizarrement muet, comme si elles n'existaient pas. Or, le jour même de leur arrivée à la Cour, les deux esclaves furent emportées par le choléra.

 
Al-Hanifi

Le sultan Al-Khamil, sachant que le souverain tenait l'astrologie et les mathématiques en très haute estime, avait aussi envoyé à l'empereur Al-Hanifi, mathématicien et astronome.

Frédéric II mit Al-Hanifi à l'épreuve, lui posant comme il en avait l'habitude quelques questions pièges, examen dont le savant se tira avec honneur.

L'une de ces questions et sa réponse restèrent dans la mémoire de ceux qui les avaient entendues:
- Combien existe-t-il de dieux dans l'univers?
- Le nombre que vous déciderez, Majesté!
Les savants de la cour étaient d'ailleurs tous mathématiciens - n'était-ce pas indispensable pour l'accomplissement de leurs tâches astronomiques?

 
(Pierre Genève - 2005)

SOURCES:
Kantorowicz : Frédéric II
Riffard Pierre A. : L'Ésotérisme
Benoist-Méchin : L'empereur Frédéric II

  LIRE
Éditions EUREDIF
Marc Schweizer : Histoire de la Divination
Moyen-Age et Renaissance

 
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Dernière mise à jour 25/02/2005

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