Morts vivants
 JUAN CACERES


 HIBERNATION

La science a démontré que l'on pouvait faire pousser des graines ayant séjourné dans les glaces depuis plusieurs millions d'années, que l'on pouvait réactiver des pollens enfouis au fond des cavernes depuis des centaines de milliers d'années. Certains micro-organismes, comme des amibes plongées dans un bouillon de culture tempéré, ont miraculeusement repris vie, après dix millions d'années de repos.

 
Aujourd'hui, le grand espoir des chercheurs et archéologues qui prospectent la calotte glaciaire, notamment celle de la Sibérie orientale, est de découvrir un jeune animal, mammouth ou tigre des neiges, et de le ramener à la vie.

 
En effet, les animaux retrouvés dans des congères, notamment les mammouths, nous offrent des tissus présentant encore toutes les caractéristiques de la vie. La détérioration cellulaire est relativement faible. La congélation du liquide interstitiel, la modification des membranes sans altération du cytoplasme ni modification des noyaux, la visibilité des nucléoles laissent espérer une possible résurrection.

 
Après plusieurs millions d'années, ces performances remarquables obtenues par la nature grâce à la congélation rapide et spontanée d'animaux, soit blessés, soit saisis par les glaces, donnent à penser qu'une véritable congélation profonde d'un organisme sain permettrait une survie de ses tissus vivants pendant une durée indéfinie et un réveil possible par un dégel soigneusement étudié.

Juan Caceres

Prenons maintenant le cas de Juan Caceres, déclaré mort à la suite d'un accident de la route survenu en 1977 à Séville. Transporté dans son village natal proche de cette ville, il fut laissé exposé à l'intention de sa famille pendant une demi-journée, avant la mise en bière et l'inhumation.

 
Juan avait été percuté la nuit par un autocar, et après son transport à l'hôpital où l'on avait diagnostique une importante hémorragie interne provoquée par la rupture de la rate et du pancréas, à la suite d'un choc de plein fouet à l'abdomen. Le décès constaté, il avait été déposé dans un casier réfrigéré de la morgue en attendant la fin de l'enquête.

 
Il y resta cinq jours, dans une température ambiante de - 6 à -7° avant d'être transféré par convoi mortuaire jusqu'à son village, pour l'ultime préparation précédant l'inhumation. Juan a raconté par la suite comment à la sortie de la morgue, le lent réchauffement de l'atmosphère le ramena à lui comme s'il émergeait d'un rêve.

 
Il prit bientôt conscience qu'on le transportait dans un récipient dont il ignorait encore qu'il s'agissait d'un cercueil. "C'était assez frais, mais plutôt agréable, mais je ne parvenais à bouger ni un orteil ni un cil. J'avais encore le cerveau embrumé. Pourtant, lorsque je fus sorti de la boîte, que mes yeux entrouverts dans la pénombre reconnurent où je me trouvais, je finis par me rendre compte qu'on effectuait ma toilette funèbre avant mon exposition sur le lit de famille. Les cris, les prières et les lamentations qui montaient de la pièce voisine où se tenaient les pleureuses me firent comprendre que si je ne parvenais pas à me manifester, je risquais d'être enterré vif.

 
Allongé sur le lit conjugal comme paralysé, étendu dans son linceul et vêtu de son costume de mariage qui lui allait encore malgré ses soixante-sept ans, Juan vit avec angoisse les membres de sa famille passer devant lui, au grand complet, à la lumière vacillante des bougies, récitant les prières du dernier voyage.

 
Prisonnier d'un état second, il ne parvint pas à évaluer le temps passé entre son retour à la maison et l'instant où on lava son corps une dernière fois car il avait fait ses besoins sous lui et l'odeur était incommodante.

 
A ce moment, il espéra que son entourage s'étonnerait que cinq jours après son présumé décès, sa barbe poussât encore si vigoureusement et que ses sphincters fonctionnassent toujours par intermittence. Malgré ses efforts, il ne parvint pas à émettre le moidre son, le plus petit signe pour alerter ses proches.

 
Les femmes de peine accomplirent leur travail, changèrent le drap souillé de son linceul, le lavèrent, le parfumèrent, l'habillèrent, sans qu'il mesurât le temps qui s'écoulait, sans doute une journée entière.

 
Il ne souffait ni de la faim, ni de la soif. Il lui semblait assister à la projection d'un film. Juan, modeste propriétaire terrien, mais à son aise, fut même le témoin d'une discussion animée entre ses enfants et sa femme, au sujet du partage de ses biens. Il confiera plus tard à un ami que ses proches ne semblaient pas tellement regretter son départ.

 
Lorsque les croque-morts se présentèrent, au lendemain matin de cette journée épouvantable, et alors que Juan essayait toujours vainement de remuer la tête, un doigt ou un orteil afin de signaler qu'il était vivant, les préposés à son inhumation le soulevèrent allongé sur son linceul, l'étendirent au fond du cercueil capitonné de parade pour son ultime présentation à l'église. Ce cercueil d'apparat prêté par le service local des pompes funèbres serait remplacé par un simple cercueil de chêne avant son ensevelissement.

 
Par chance Juan mesurait 1,92 mètre. Or ce cercueil richement décoré, qui datait de vingt ou trente ans, avait été conçu pour des personnes plus petites, et on dut replier ses jambes pour l'y faire entrer, et incliner sa tête un peu de travers contre un petit coussin.

 
Sa position ne satisfaisant pas les croque-morts, ils décidèrent tout simplement de lui casser les jambes pour raccourcir son cadavre. Au premier coup de marteau qui fracassa un tibia, le pauvre homme hurla enfin. Dans la terreur générale, alors qu'il avait la jambe fort endommagée par ce coup violent, Juan parvint à se hisser hors du cercueil, enjambant le rebord, et à se laisser tomber sur le sol.

 
Les témoins stupéfaits finirent par comprendre et à réagir. Des femmes accoururent, lui donnèrent à boire du vin de messe, puis on le réconforta à même le sol avant qu'un médecin présent à la cérémonie lui administre les premiers soins nécessités par son état.

 
Juan se remit parfaitement. Après quelques semaines de convalescence il reprit ses activités. Ses relations avec sa femme et ses enfants se rétablirent.

Mais il se vengea de l'hôpital, des pompes funèbres, des croque-morts, en refusant de payer leurs prestations. Il ne voulut jamais accorder d'interview à quelque journaliste que ce soit. Les médias friands de telles affaires, n'obtinrent de lui pas d'autres détails que ceux qu'il avait confiés à ses proches.

 
Juan revenait de loin. Maintenu durant plusieurs jours dans un froid glacial, subir des coups et blessures infligés au "mort" pour le faire tenir dans un cercueil, il y avait de quoi désespérer de la vie...

 
Sans doute le froid conserve et son hibernation a-t-elle été sa chance.

Sayyid ben Ahmed, pêcheur de corail

En 1982, un jeune Yéménite, pêcheur d'éponges, descendit à cent mètres de profondeur avec des bouteilles d'oxygène comprimé sans azote près de l'Ile Kamaran en Mer Rouge.

 
Ayant découvert un gisement d'une richesse telle qu'il n'en avait jamais vu auparavant, il s'attarda un peu trop au fond, malgré les signaux de la corde de rappel que ses fils restés à bord de la barque secouaient sans succès. Victime de l'ivresse des profondeurs, Sayyid demeura dans le coma pendant plus d'une heure, gisant recroquevillé sur le sable.

 
Lorsque Muhammad, l'aîné de ses fils, plongeur comme lui, bravant tous les risques, le retrouva, il respirait encore faiblement. Observant scrupuleusement les paliers de décompression, comme son père lui avait enseigné, il le ramena à la surface. Mais là, malgré plusieurs heures de bouche à bouche et de massages cardiaques, Sayyid fut considéré comme mort et ses fils le ramenèrent à terre, à la nuit tombante.

 
Cette région de la Mer Rouge est très pauvre et mal pourvue en équipements sanitaires, et en médecins réanimateurs. Devant ce corps rigide, froid, bleui, ne respirant plus, ne rdonnant plus aucun signe de vie apparente, le vieux toubib assisté du cadi constatèrent sa mort et consignèrent le décès du pêcheur.

 
Selon la coutume musulmane Sayyid devait être enseveli au plus tard le lendemain matin.

 
Les femmes du petit village le veillèrent jusqu'à minuit dans sa petite maison. Ses deux femmes et leurs enfants les relayèrent jusqu'à l'aube.

 
Mais quelle ne fut pas leur stupéfaction lorsque, au lever du jour, Sayyid se releva soudain de sa couche, rota, toussa, éternua et cracha abondamment avant de réclamer à boire.

 
Une fois satisfait, il urina dans la cour avant de se recoucher pour dormir vingt-quatre heures d'affilée.

 
En moins d'une semaine, Sayyid ben Ahmed fut remis sur pied. Après un mois de convalescence, il retourna pêcher l'éponge en compagnie de ses deux fils, jusqu'au jour où il estima qu'ils étaient aptes à prendre sa place à la plongée. Il les accompagnait sur les lieux de plongée, demeurant en surface dans la barque familiale, pendant qu'ils opéraient au fond.

 
A l'âge de cinquante ans, comme tout musulman qui se respecte, Sayyid effectua à pied le pèlerinage de la Mecque et revint mourir dans son lit, quinze ans après son accident dont il ne parla jamais.
Pierre Genève

 


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