Morts vivants
 JUAN CACERES


Sayyid ben Ahmed, pêcheur d'éponges

En 1982, un jeune Yéménite, pêcheur d'éponges, descendit à cent mètres de profondeur avec des bouteilles d'oxygène comprimé sans azote près de l'Ile Kamaran en Mer Rouge.

 
Ayant découvert un gisement d'une richesse telle qu'il n'en avait jamais vu auparavant, il s'attarda un peu trop au fond, malgré les signaux de la corde de rappel que ses fils restés à bord de la barque secouaient sans succès. Victime de l'ivresse des profondeurs, Sayyid demeura dans le coma pendant plus d'une heure, gisant recroquevillé sur le sable.

 
Lorsque Muhammad, l'aîné de ses fils, plongeur comme lui, bravant tous les risques, le retrouva, il respirait encore faiblement. Observant scrupuleusement les paliers de décompression, comme son père lui avait enseigné, il le ramena à la surface. Mais là, malgré plusieurs heures de bouche à bouche et de massages cardiaques, Sayyid fut considéré comme mort et ses fils le ramenèrent à terre, à la nuit tombante.

 
Cette région de la Mer Rouge est très pauvre et mal pourvue en équipements sanitaires, et en médecins réanimateurs. Devant ce corps rigide, froid, bleui, ne respirant plus, ne donnant plus aucun signe de vie apparente, le vieux toubib assisté du cadi constatèrent sa mort et consignèrent le décès du pêcheur.

 
Selon la coutume musulmane Sayyid devait être enseveli au plus vite.

 
Les femmes du petit village le veillèrent jusqu'à minuit dans sa petite maison. Ses deux femmes et leurs enfants les relayèrent jusqu'à l'aube.

 
Mais quelle ne fut pas leur stupéfaction lorsque, au lever du jour, Sayyid se releva soudain de sa couche, rota, toussa, éternua et cracha abondamment avant de réclamer à boire.

 
Une fois satisfait, il urina dans la cour avant de se recoucher pour dormir vingt-quatre heures d'affilée.

 
En moins d'une semaine, Sayyid ben Ahmed fut remis sur pied. Après un mois de convalescence, il retourna pêcher l'éponge ou le corail en compagnie de ses deux fils, jusqu'au jour où il estima qu'ils étaient aptes à prendre sa place à la plongée. Il les accompagnait sur les lieux de pêche, demeurant en surface dans la barque familiale, pendant qu'ils opéraient au fond.

 
A l'âge de cinquante ans, comme tout musulman qui se respecte, Sayyid effectua à pied le pèlerinage de la Mecque et revint mourir dans son lit, quinze ans après son accident dont il ne reparla jamais.
Pierre Genève

 


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