Portrait

 

PADRE PIO
Le prêtre stigmatisé
 


Le 6 septembre 1968, Francesco Forgione, le capucin stigmatisé de San Giovanni Rotondo, une des figures les plus nobles et les plus pures de l'Église contemporaine, mourait en odeur de sainteté.

Pourtant ce moine dont la vie simple et exemplaire témoigne d'une foi et d'une bonté absolues, fut l'objet de nombreuses persécutions, non pas de la part des laïcs ou des matérialistes, mais surtout de la part des siens, de la hiérarchie de l'Église romaine.

Bien sûr, comme tout homme pieux, il ne fut pas épargné par les tentations terrestres ou les agressions du démon.

Durant des décennies, ce ne sont ni les athées ni le pouvoir civil qui le tourmentèrent, mais des prêtres de son Église, des supérieurs jaloux de ces étonnants charismes qui lui valurent une renommée universelle.

Aujourd'hui, plusieurs décennies ont passé, les passions se sont apaisées, et bien des protagonistes de ces pages désolantes qui appartiennent à l'histoire du catholicisme sont morts. Paix à leurs âmes. D'ailleurs, au plus fort de ses tribulations, Padre Pio leur pardonna par avance leurs mensonges et leurs insultes.

Enfance

Francesco Forgione, padre Pio en religion, naît le 25 mai 1887 à Pietrelcina, une pauvre mais digne bourgade de la province de Bénévent. Quatrième d'une modeste famille de paysans de huit enfants, il est de santé fragile. Sa mère, Maria-Giuseppa, lui donnera le prénom de François, en hommage au saint d'Assise pour lequel elle éprouvait une grande dévotion. Grazio, le père, pour subvenir aux besoins de sa famille, s'expatriera par deux fois, en Amérique puis en Argentine (certains disent l'Australie), sans réussir à y faire fortune.

Francesco est un petit être faible et souffreteux qui se tient la plupart du temps à l'écart de ses camarades, ne participant que rarement à leurs jeux. Pour aider ses parents, il mène chaque jour paître les brebis de la famille sur les collines rocailleuses des environs.

Un matin que sa mère travaille aux champs, on frappe à la porte. Devant lui apparaît un frère-quêteur, capucin à la longue barbe venu demander l'aumône pour les novices du couvent voisin. L'enfant ému lui donne sans réfléchir le peu d'économies de la famille.

Lorsque sa mère rentre à la maison, il le lui avouera d'une voix tremblante, ajoutant: «plus tard, je voudrais moi aussi devenir frère capucin, avec une longue barbe!»

Ses parents ne contrarieront jamais cette vocation. Ils iront jusqu'à se priver de tout pour lui payer des leçons, afin de permettre à leur fils d'entrer au séminaire. * [*Il n'existait pas encore d'école publique obligatoire en Italie du Sud, seule l'Église prodiguait un enseignement même aux plus pauvres].

Garçon peu expansif, plutôt timide, d'une nature introvertie voire renfermée, le jeune François ne recherche pour distraction que la prière, la méditation et l'observation de la nature. Dès le plus jeune âge, sa vie intérieure se peuplait de visions surnaturelles, il voyait la Sainte Vierge conversant avec le petit Jésus et avec son Ange gardien.

A quinze ans, en janvier 1903, son vœu est exaucé: grâce à un oncle archiprêtre, et au curé du village qui a remarqué sa profonde dévotion et la sincérité de sa foi, il entre comme novice au couvent des capucins de Morcone. En ce temps-là, la vie religieuse était la seule possibilité pour un jeune homme pauvre de poursuivre des études supérieures.

Novice

La séparation d'avec sa famille sera émouvante. A la gare, sa mère lui dira au moment des adieux: «Tu me déchires le cœur, mais n'y fais pas attention. Suis ta vocation et que saint François fasse de toi un saint...».

Francesco a l'immense joie de retrouver le fameux frère quêteur de son enfance sous les traits de frère Camillo, le portier du noviciat. A la fin du mois, Francesco Forgione prononce ses vœux temporaires et, revêtant la bure de l'ordre des capucins, devient Fratello Pio.

L'adolescent ne se trouve pas trop mal de la rude vie de novice. Bon dernier à sortir de la chapelle après les offices, il est toujours le premier levé le matin, et il montre un très grand zèle dans son apprentissage théologique. Ses supérieurs sont d'ailleurs très contents de lui.

Plus tard, pourtant, parlant de cette vie il avouera: «Il faut vraiment avoir la vocation pour y résister.»

Première rencontre avec le Démon

Première rencontre avec le Démon De 1904 à 1906 il complète ses études secondaires et de philosophie au couvent de San Elia a Pianisi. C'est là, qu'en attendant de prononcer ses vœux solennels, il entend le démon qu'il s'est donné pour mission de combattre, frapper à sa porte.

Frère Pio en prières est agenouillé dans sa cellule. Soudain, il entend un grand vacarme provenant de la cellule d'à-côté, celle de Frère Anastase. Il se lève aussitôt pour aller secourir son camarade qu'il croit dans le besoin. C'est alors qu'un énorme chien noir bondit sur lui.

Certains biographes disent que de la gueule ouverte de l'animal jaillissent de longues flammes nauséabondes et des borborygmes de souffrance entrecoupés de râles. Surpris par cette agression, Frère Pio ne doute pas un seul instant de la véritable identité de la bête: Satan. Tremblant de peur, il pousse de grands cris avant de tomber évanoui.

Lorsque ses frères capucins alertés le trouvent inanimé sur le sol de sa cellule, ils ressentent une âcre odeur de soufre et voient avec surprise la robe de bure de frère Pio déchiquetée en plusieurs endroits.

Maladie

En janvier 1907, frère Pio prononce ses vœux solennels au couvent de San-Elia après quoi il ira étudier la théologie à Serva-Capriola puis à Montefresco. Le 19 décembre 1908, il reçoit les quatre ordres mineurs dans la cathédrale de Bénévent, puis, deux jours plus tard, le sous-diaconat. La fin de ses études est à plusieurs fois interrompue par la maladie à laquelle les continuelles privations, jeûnes et mortifications qu'il s'infligeait n'étaient certainement pas étrangères.

Terrassé par de terribles quintes de toux, des accès de fièvre dépassant les 45 °, des évanouissements prolongés, de forts troubles de la vue laissant présager une prochaine cécité, Pio est envoyé à Naples par ses supérieurs pour se faire examiner par un excellent praticien. Le professeur Cardarelli ne lui donna guère plus de quelques mois à vivre.

Expérience spirituelle

Afin qu'il meure en paix, son provincial l'emmena avec lui au couvent de Venafro.

C'est là qu'une extraordinaire expérience spirituelle viendra illuminer et bouleverser la routine de sa vie simple et pieuse. Sans que ses camarades ou les pères capucins s'étonnent (ils sont habitués à sa mine souffreteuse et à son manque d'appétit), François va jeûner durant quarante jours, sans négliger pour autant ses devoirs religieux ou ses études.

Il prie toujours avec la même ferveur admirable, et ses méditations se prolongent tard dans la nuit. Durant plus de vingt et un jours son corps rejettera toute nourriture, ne gardant que l'hostie de l'eucharistie du matin, jusqu'à cet instant béni où, dans une vision extatique, lui apparaîtra le panorama complet de sa vie future avec ses souffrances, ses tribulations et ses immenses joies.

L'ordination

Considéré comme moribond, il supplie ses supérieurs de lui permettre de mourir prêtre, en obtenant pour lui les dispenses nécessaires.

C'est grelottant de fièvre qu'il passe un rapide examen théologique, avant d'être ordonné dans la cathédrale de Bénévent en présence de sa mère, le 10 août 1910, prenant définitivement le nom de Padre Pio de Pietrelcina.

Cette cérémonie transfigura le jeune prêtre malingre et souffreteux. Dans une lettre, il écrit: «Comme j'étais heureux ce jour-là, mon cœur était brûlant d'amour pour Jésus. J'ai commencé à goûter le paradis» Il fera ses débuts de soldat de Dieu en célébrant sa première messe dès le lendemain de son ordination, à l'église Santa Anna de Pietrelcina, la modeste bourgade qui le vit naître. Le bourg l'accueillit avec émotion et fierté, orphéon municipal en tête.

En ce temps-là, les Pouilles sont une région très pauvre dont la population misérable n'a que la religion pour consolation, et dont les seules "élévations" sont la messe et les fêtes religieuses.

Début de sa mission sacerdotale

Dès le début de sa mission sacerdotale, Padre Pio se distinguera des autres prêtres. Il célèbrera chaque matin la sainte messe à 5 heures, pour que tous ceux qui se rendent à leur travail puissent y assister.

Cette messe se révèlera très vite non comme une simple cérémonie rituelle imposée par le canon de l'église, mais comme un dialogue personnel entre Padre Pio et le Christ, souvent entrecoupé de longues extases mystiques au cours desquelles l'officiant revit dans sa chair la scène du Golgotha et le sacrifice de Jésus sur la croix.

Son originalité ne sera jamais vraiment comprise par les siens. La longueur de ses messes semble excessive à cette population laborieuse, excessif aussi pour ses confrères capucins le temps qu'il passe aux oraisons sous son fameux orme. Et que penser de ces interminables conciliabules, de ces colloques avec Dieu, de ces "ravissements", de ces extases mystiques, de ces contacts personnels avec le Christ. Que penser de ces nuits où le démon vient le torturer et de ses incessants corps à corps avec le diable? «Mais, disait-il, Jésus, sa Mère, le petit Ange [gardien] et saint François sont presque toujours à mes côtés... Jésus toujours généreux avec moi parvient même parfois, à me lever de terre et à me coucher sur mon lit.»


Stigmates

L'on dit que ce fut sous son orme que, pour la première fois, peu après son ordination, au cours de septembre 1910, Padre Pio constata les premières manifestations des stigmates, d'abord peu visibles, mais ressentis d'autant plus douloureusement dans sa chair. Ce ne sera qu'un an plus tard, le 8 septembre 1911, qu'il osera s'en ouvrir à son confesseur.

«Hier au soir il s'est produit un fait que je ne sais ni expliquer ni comprendre. Au milieu de la paume de la main m'est apparue une tache rougeâtre, ayant à peu près la taille d'une pièce de monnaie, accompagnée d'une forte douleur au centre. Cette douleur était plus sensible au milieu de la main et dure encore. Je ressens également un peu de douleur sous les pieds.

Ce phénomène se répète depuis un an mais s'était récemment un peu atténué. Ne vous inquiétez pas si je vous en parle seulement aujourd'hui, mais j'étais écrasé de honte. Même maintenant, si vous saviez quel effort j'ai dû faire pour vous l'écrire! J'aurais beaucoup de choses à vous dire, mais les mots me font défaut...»

Nouvelles visions

En 1912, Padre Pio bénéficie d'une nouvelle vision extatique:

«Je me trouvais à l'église en train de faire mon action de grâce après la messe, quand tout à coup je me sentis blesser au cœur par un dard de feu si vif et si ardent que j'ai cru en mourir. Me manquent les paroles appropriées pour vous faire comprendre l'intensité de cette flamme; je suis, de fait, incapable de m'exprimer. Le croyez-vous? L'âme, victime de ces consolations, devient muette. Il me semblait qu'une force invisible m'immergeait tout entier dans ce feu... Mon Dieu, ce feu! Quelle douceur!»

Années d'épreuve

Un des mystères de la vie de Padre Pio réside aussi dans ces longues années passées contre son gré, hors de son couvent. Années de maladie, de douloureuses épreuves, de méditation et de prières solitaires mais dont il s'inquiétait, d'autant que ses supérieurs considéraient d'un mauvais œil un si long séjour dans le siècle d'un de leurs moines. Ils envisageaient même de demander au pape la levée des vœux religieux de Padre Pio, ce qui pour lui eût été la plus terrible des humiliations.

Service militaire

En 1915, après l'entrée en guerre de l'Italie, Padre Pio comme tous les autres religieux en âge de porter les armes, se voit enrôlé dans l'armée. Malgré son mauvais état de santé - le capitaine-médecin du centre de recrutement diagnostiqua (sous toutes réserves) une tuberculose - il fut affecté à une compagnie sanitaire où il ne demeura que peu de semaines. Au mois de décembre, après un nouvel examen médical qui révéla une "infiltrations aux poumons", les médecins militaires lui accordèrent une permission de "convalescence" d'une année.

Padre Pio retourna à Pietrelcina et demande à être réintégré dans un couvent. Il passera quelques mois à celui de Santa Anna de Foggia où, le 26 juillet 1916, jour de la fête de sainte Anne, il rencontre le père capucin Paolino gardien du couvent de San Giovanni Rotondo, niché sur un haut plateau du mont Gargano. Voyant son confrère malade et souffrant de la chaleur, il lui offre de venir séjourner quelque temps dans la fraîcheur de la montagne. Padre Pio accepte l'invitation.

Au bout de huit jours, il retourne à Foggia et demande à son supérieur "l'autorisation de vivre à San Giovanni où Jésus m'assure que je serai mieux". Le 4 septembre, il regagne le couvent des frères capucins de Notre-Dame-des-Grâces de San Giovanni Rotondo. A l'expiration de son congé de convalescence, il se rend à l'Hôpital Militaire de Naples.

Voyant que son état ne s'est guère amélioré depuis un an, les médecins lui accordent un nouveau congé de six mois dont le document militaire stipule clairement: "ensuite attendre les ordres de l'autorité militaire". Ce congé expire en juin 1917. Conformément aux instructions du papier officiel, le capucin attend la nouvelle convocation militaire dans son couvent.

Or, pendant ce temps, l'autorité militaire le porte comme déserteur et fait rechercher partout le soldat Francesco Forgione. A Pietrelcina il y a belle lurette qu'on ne le connaissait plus sous ce nom-là. Cependant, un carabinier interrogeant par hasard une sœur mariée du moine apprend que son frère, Francesco Forgione, se trouvait à San Giovanni. Mais là-haut on ne connaissait pas davantage Francesco Forgione sous son nom de baptême, et il fallut du temps pour qu'on fît le rapprochement avec le padre.

Mis au courant, le moine se rendit à Naples où il n'eut pas trop de peine à démontrer sa bonne foi. Mais cela n'empêcha pas son incorporation puis, son errance de malade, de dispensaire en hôpital, crachant le sang et ne pouvant avaler de nourriture.

Le général Cadorna

C'est à cette époque que se situe un événement raconté par le bénéficiaire lui-même. Le 24 octobre 1917, une attaque surprise des Autrichiens et des Allemands ayant percé les lignes italiennes et causé le désastre de Caporetto (Kobarid) 40.000 morts, 90.000 blessés et 300.000 prisonniers du côté italien, le général Luigi Cadorna, commandant en chef et soldat valeureux, fut limogé.

Retiré au palais de Zara, à Trévise, très marqué par sa défaite, il décida d'en finir et, s'apprêtait à tirer le coup de revolver fatal, lorsqu'il vit soudain entrer dans son bureau un moine capucin qui le convainquit de ne pas attenter à sa vie. Une fois le religieux reparti aussi soudainement qu'il était apparu, Cadorna tança les gardes en faction, leur reprochant d'avoir laissé passer sans l'annoncer un moine inconnu de tous. Les soldats jurèrent leurs grands dieux qu'ils n'avaient vu personne entrer ou sortir!

Plusieurs années plus tard, le général voyant une photo de padre Pio dans un journal, reconnut le capucin qui lui avait sauvé la vie par des paroles de réconfort, un soir de novembre 1917.

Réformé

Le comportement souvent imprévisible et mystérieux de Padre Pio, certaines affections inexplicables telles que la température élevée de son corps lors des examens médicaux, finirent par intriguer les médecins.

Comment voulez-vous qu'un homme qui fait sauter les thermomètres avec des fièvres s'élevant jusqu'à 49 ° (authentique!), et connaît des extases mystiques de plusieurs heures dans une caserne, puisse s'accorder avec les exigences militaires?

D'où un nouveau sursis de quatre mois, au cours duquel il eut la joie de retrouver son père rentré d'Argentine après 7 ans d'absence.

Faute d'un diagnostic plus précis, Padre Pio sera réformé en mars 1918, pour «broncho alvéolite double avec forte présomption de tuberculose» et renvoyé chez lui pour qu'il puisse y mourir en paix.

San Giovanni Rotondo

Padre Pio de Pietrelcina remonte dans son cher couvent de San Giovanni Rotondo, qu'il ne quittera plus physiquement, sauf pour de rares absences, jusqu'à sa mort, 52 ans plus tard. Il retrouve Notre-Dame-des-Grâces quasiment désert. A un moment donné, il fut le seul religieux restant avec le gardien, le père Paolino, partageant à deux toutes les tâches domestiques en plus des messes, des confessions et de l'enseignement aux élèves du colleggetto.

Pendant ce temps, les luttes intérieures, le combat avec Satan se poursuivait sans relâche. «Ses attaques sont violentes et continues: cet infâme apostat veut arracher de mon cœur ce qu'il y a de plus sacré en lui : la foi. Le jour il m'assaille à toutes heures et en tous lieux? la nuit, il perturbe mon sommeil».

Au printemps 1918, le conflit mondial n'est toujours pas terminé. La grippe espagnole ravage l'Italie et San Giovanni Rotondo qui a déjà livré un lourd tribut à la guerre, se voit durement frappée. On dénombre près de 300 morts dans le secteur. Padre Pio et ses frères capucins ne sont pas épargnés par l'épidémie.

Le temps des visions


A la Fête-Dieu, le 30 mai 1918, le padre perçoit en lui, au moment de l'offertoire, une espèce d'inexplicable "souffle divin", ce que les théologiens appellent "une touche mystique". «En cet instant fugace, je me suis senti terriblement secoué et une terreur extrême me paralysa au point qu'il s'en fallût de peu que je ne perdisse la vie. Puis un calme complet succéda à cette sensation qui m'avait touché dans la partie la plus intime et la plus secrète de mon âme».

Ce jour-là Padre Pio "s'offrit tout entier au Seigneur, en victime expiatoire pour les pécheurs, et pour que finisse la guerre".

C'est à cette période fatidique que la "mystérieuse créature, armée d'une épée lumineuse", fait une nouvelle apparition au couvent après plusieurs années.

Voici le récit qu'en fait le padre, dans une lettre adressée le 9 septembre 1918, à son directeur spirituel:

«Le soir du 5 août j'étais en train de confesser un enfant, lorsque soudain je fus pris de saisissement à la vue d'une créature surnaturelle dont la vision me subjugua et me terrorisa. Elle tenait à la main une longue lance à la pointe incandescente. L'apparition me frappa violemment et je ressentis une douleur insupportable dans mon âme. Sous la douleur fulgurante qui me terrassa, je gémis. Je me sentais mourir. J'ai prié le garçon de se retirer, parce que je me sentais si mal que je n'avais pas la force de poursuivre la confession.

Ce martyre dura sans interruption durant plus de 36 heures. Ce que j'ai souffert durant ces heures terribles est indicible. Je me sentais blessé jusqu'au cœur, ma pauvre chair était meurtie par cette chose qui mettait mes entrailles à feu et à sang. Depuis ce jour, je suis blessé à mort. Au plus intime de mon âme la blessure est toujours ouverte et me tourmente continuellement.

Est-ce une nouvelle punition que m'inflige la justice divine? En tout cas voilà la vérité sur ce que je viens d'endurer et que j'endure encore. Jugez vous-même si je n'ai pas toutes les raisons d'être dans une angoisse extrême.»

Padre Pio, qui est l'humilité même, ne comprend pas tout de suite la portée de cet événement mystique. Il est troublé, torturé. Il craint une fois encore d'être le jouet et la victime du démon, comme il le fut jadis au séminaire. Il n'ose croire à une faveur du Seigneur! Il est trop humble, trop modeste, trop dévoué à son sacerdoce pour imaginer un seul instant que le Seigneur l'eût choisi, lui, entre tous les autres, pour une mission, et quelle mission: le rachat, par le don de son amour et de sa souffrance, des péchés de tous ceux qui refusent le sacrifice de Jésus!

Le Séraphin

L'envoyé du ciel, le "Séraphin", - comme l'appellera plus tard le Padre -, lui apparaît à nouveau, le matin du 20 septembre 1918. Cette fois il imprimera douloureusement dans la chair du capucin, ces mêmes stigmates qui lui furent administrés symboliquement quelques années auparavant. Mais cette fois le sang ruissellera chaque jour des cinq blessures infligées aux mains, aux pieds et au côté de Padre Pio, rappelant le martyre du Christ. Et ce martyre, chaque jour renouvelé, durera 50 ans.

Un mois plus tard, dans une lettre au père Paolino, qui le surprit à saigner, dans sa cellule même, il fera le récit de cet événement:

«J'étais dans le chœur, à me recueillir et prier, après la célébration de la sainte messe, lorsque je fus surpris par un engourdissement proche du sommeil. Après les immenses souffrances des dernières semaines, mes sens semblaient apaisés et mon âme elle-même avait retrouvé le calme et une sérénité parfaite. Soudain, je vis apparaître devant moi, le mystérieux personnage qui était venu me tourmenter le 5 août au soir. Mais cette fois, la vision était terrifiante: de ses mains, de ses pieds et de son côté le sang ruisselait en abondance.

J'ai de la peine à exprimer ce que je ressentis à cet instant. Je me sentais mourir. Je serais probablement mort si le Seigneur n'était venu soutenir mon cœur qui bondissait dans ma poitrine. La vision s'effaça et je m'aperçus que le sang ruisselait de mes mains, de mes pieds et de mon côté blessés. Imaginez mon supplice! Et ce supplice se poursuit presque quotidiennement. De la blessure du cœur le sang s'écoule continuellement, surtout du jeudi soir au samedi.»

Cette nouvelle apparition ravive son trouble. Il se ronge intérieurement, cherche à comprendre, mais ni ses dévotions ni ses prières n'apportent de réponse précise à ses doutes.

Il a très peur de mal interpréter sa vision. Comment oserait-il imaginer que Jésus lui ait envoyé son ange pour lui infliger les propres stigmates de sa divinité, pour le rendre semblable à Lui? Penser cela, n'était-ce pas le pire blasphème? Non, cela ne pouvait être qu'une nouvelle tentative du Malin, de Satan, pour le tenter! En marquant douloureusement sa chair des blessures du Christ, le démon ne voulait-il pas le faire pécher par orgueil?

D'ailleurs dans l'émouvant récit qu'il fait lui-même de cette journée fatidique, il ajoute:

« Mon père, je meurs à la fois de ce supplice physique qui me rend exsangue, et du trouble profond de mon âme. Jésus, qui est la bonté même, me fera-t-il la grâce d'ôter de mon cœur la confusion que j'éprouve à cause de ces signes? Je le supplie que Sa miséricorde éloigne de moi non pas le supplice, la douleur, mais le désarroi qui me torture plus encore que la souffrance...»

Il a honte

Padre Pio a honte de ce qui lui arrive. Il dissimule le mieux possible ses souffrances et les signes trop visibles de son martyre. Il couvre ses mains de mitaines sauf pendant la messe, au cours de laquelle les manches de sa soutane cachent ses blessures.

Mais, avec la fin de la guerre, les moines rescapés et démobilisés sont rentrés au couvent. Et, malgré le secret qu'il s'est imposé et dont il demande le respect à ses proches, l'affaire est bien vite ébruitée et, dès le printemps de 1919, un journaliste italien d'Il Giornale d'Italia, consacre un article à cet étrange capucin stigmatisé du couvent de Notre-Dame-des-Grâces, perdu sur les plateaux inhospitaliers du mont Gargano.

D'autres journaux reprennent l'information, la déforment, l'exagèrent et bien vite la nouvelle "sensationnelle" fait le tour du monde. Malgré la règle immuable de l'Eglise catholique de cacher les dons, les faveurs, les grâces accordées par Dieu à ses serviteurs et à ses saints, la célébrité de padre Pio sera immédiate et sa renommée immense.

Aussitôt des milliers de pauvres gens déferlent vers le modeste ermitage du mont Gargano pour voir les blessures de Jésus infligées au saint homme et se confesser à lui afin d'obtenir la rémission de leurs péchés.

A partir de là, c'est un véritable délire qui s'empare des journaux qui publient des témoignages de miracles fantastiques, de guérisons incroyables, d'événements surnaturels.

De sérieux ennuis

Mais cette publicité, souvent de très mauvais aloi, vaut bientôt de sérieux ennuis au pauvre frère capucin. D'abord de la part de la hiérarchie de l'Eglise qui ne voit pas d'un très bon œil un phénomène qui lui échappe totalement. Ensuite de la part des autorités civiles, à qui le désordre occasionné par le déplacement de ces milliers de pélerins dans une des régions les plus pauvres du pays, pose de sérieux problèmes.

Aussi, par un matin de juin 1919, les carabinieri royaux envoyés sur ordre du ministère par le préfet de Foggia, arrivent au couvent pour enquêter sur cette affaire qui inquiète en haut lieu.

L'ordre de mission stipule entre autres: «...que l'on prenne les mesures d'hygiène rendues nécessaires par l'affluence de tant de monde, venant de pays infectés par la variole et peut-être aussi le typhus, ainsi que par le fanatisme des croyants, lesquels se pressent autour du religieux, qui est affecté d'une grave tuberculose pulmonaire, et ramassent les crachets sanguinolents qu'il émet.

Il faut fournir un service décent de sécurité publique, par l'envoi de renforts de gardes et de carabiniers, d'autant plus que les fanatiques, incités par ceux qui ont tout intérêt à maintenir cette industrie abjecte, utilisent depuis quelques jours des menaces flagrantes et occultes pour intimider ceux qui sont d'un avis contraire*.» (* Enrico Malatesta: Padre Pio, un prêtre sous le poids de la Croix, Editions François-Xavier de Guibert 1993).

Polémique

Comme lors de toutes les affaires de ce genre, la polémique fit bientôt rage entre ceux qui croyaient à la sainteté de Padre Pio et ceux qui criaient au scandale et à l'imposture. Certains en vinrent même aux mains, l'on échangea des horions, des invectives et des coups entre adversaires!

Enquêtes

Entre 1919 et 1920, les enquêtes médicales et les visites des supérieurs se succèdent. Quelques sommités de la Faculté et des pontifes délégués par la Curie romaine examinent les stigmates du père et établissent de longs rapports. Quelques-uns sont très favorables à Padre Pio. Ils font état de sa simplicité, de sa foi, de sa modestie, de son obéissance.

Les docteurs Romanelli et Festa constatent avec humilité que toute leur science ne parvient pas à expliquer le phénomène de ces blessures profondes, qui ne s'infectent pas, qui ne cicatrisent pas, de ce sang qui s'écoule limpide des 5 plaies du moine. Ils n'ont pas de réponse scientifique à proposer. Le Dr. Romanelli remarque aussi l'odeur suave qui émane du stigmatisé et des linges qui ont touché ses blessures, alors que normalement, le sang se corrompt vite et sent plutôt mauvais!

Les rapports médicaux du Dr Bignami et du Dr Merla, par contre, et surtout les rapports ecclésiastiques du père Gemelli, spécialiste en mystique, et de Mgr Gagliardi l'évêque de la circonscription, s'acharnent à démontrer une origine hystérique ou nerveuse de ces plaies, parlent d'autosuggestion et de supercherie.

Pour cela, ils déforment des faits, en passent d'autres sous silence, avancent quelques contre-vérités voire même de flagrants mensonges. Interrogé sur son propre cas, Padre Pio, a une explication sereine:

«Tout ce que Jésus a souffert dans sa Passion, je le souffre moi aussi, pour autant que cela soit possible à une créature humaine. Et ceci malgré mon peu de mérite et par Sa seule bonté... »

La polémique ne reste pas longtemps confinée dans un cercle étroit de spécialistes, elle devient très vite politique et médiatique. Les passions se déchaînent entre athées et croyants, matérialistes et catholiques, francs-maçons et calotins, communistes et fascistes!

Les invectives fusent de part et d'autre, provoquant un énorme succès de curiosité populaire. Mais la controverse se déroule aussi entre clercs de l'Église. La jalousie de certains religieux envers ce pauvre moine mystique, dont les stigmates attirent quotidiennement vers la petite bourgade des centaines de visiteurs et de riches offrandes, se mue en haine tenace. D'ignobles calomnies se colportent ainsi dans le secret des sacristies.

Des miracles quotidiens

Pourtant, cette homérique dispute ne franchit que très assourdie les portes du couvent de Notre-Dame-des-Grâces où Padre Pio dit chaque jour la messe, confesse des centaines de pénitents, bénit les pélerins de plus en plus nombreux, enseigne et catéchise les enfants. Les grâces qui lui sont accordées par le ciel, les miracles sont quasi quotidiens. La rumeur publique rapporte des faits tout à fait étranges, des guérisons inouïes, des conversions merveilleuses.

Le 14 octobre 1920, après des élections municipales gagnées par la gauche, des désordres sanglants se produisent devant l'Hôtel de Ville de San Giovanni, et tournent à la tragédie. Les communistes voulant hisser le drapeau rouge au balcon à la place du drapeau italien, les carabiniers interviennent, mais un des leurs est tué durant l'échauffourée. Leur riposte est très vive et les manifestants abandonnent 14 morts et plus de 20 blessés sur la place.

Les journaux de gauche traitèrent Padre Pio de fasciste pour avoir soutenu l'ancien maire et béni la bannière tricolore des anciens combattants avant de faire prier l'assistance pour l'âme de ceux qui étaient morts sur le champ de bataille!

Mais ce drame, s'il relance la controverse, ne tarit pas l'enthousiasme des pélerins et des admirateurs de Padre Pio. La menace qui pèse sur le moine vient uniquement des siens, des plus hautes autorités ecclésiastiques, du Vatican même.

Des décisions sévères

En effet, le 22 janvier 1922, le pape Benoît XV qui avait à plusieurs reprises témoigné son estime pour Padre Pio, meurt, et Achille Ratti lui succède sous le nom de Pie XI. Quatre mois après son avènement, les cardinaux inquisiteurs réunis au Saint-Office délibèrant sur "le cas Padre Pio" prennent une série de mesures visant à lui imposer des restrictions et à le placer sous observation. Décisions sévères et profondément injustes, que le Saint Père avalise dès le lendemain.

Padre Pio ne doit plus "célébrer la messe à heure fixe, ni donner sa bénédiction au peuple. Il ne doit, pour aucun motif, montrer les soi-disant stigmates, ni en parler à quiconque, ni les offrir au baiser de ses fidèles". Padre Pio doit en outre "cesser toute correspondance à l'exception de celle entretenue avec sa famille, il doit refuser de répondre aux lettres qui lui sont adressées par des personnes dévotes demandant des conseils, des grâces ou pour tout autre motif". Toutes communications même épistolaires avec le père Benedetto, son directeur spirituel lui sont désormais interdites, et il lui est même ordonné d'en changer. On suggère aux Capucins que le moine soit éloigné de San Giovanni Rotondo et envoyé en haute Italie.

Obéissance et silence

Ces mesures vexatoires, tout à fait inattendues, font l'effet d'une bombe au couvent de Santa Maria della Grazie. Bien qu'il en soit profondément meurtri, Padre Pio choisira comme toujours l'obéissance et le silence.

Forts de ce premier succès à son encontre, le petit gang organisé de ses ennemis, menés par Mgr Gagliardi archevêque de Manfredonia, le père Gemelli et quelques chanoines de San Giovanni Rotondo, parmi lesquels les chanoines Miscio et Prencipe, repartent à l'attaque.

A Rome, au cours d'une réunion du Consistoire, en présence de nombreux cardinaux et évêques, l'archevêque affirmera sous la foi du serment:

«J'ai vu moi-même Padre Pio se poudrer et se parfumer, et, lors d'une visite au couvent j'ai découvert une bouteille d'acide nitrique avec laquelle il provoque ses stigmates et une bouteille d'eau de Cologne pour les parfumer. Padre Pio est un possédé du démon et les moines de San Giovanni Rotondo sont une bande d'escrocs.»

D'autres rumeurs furent lancées, tout aussi ignobles ou fantaisistes, sans que le Padre accepte de se défendre publiquement.

Interdit de messe publique

Le 31 mai 1923, un décret du Saint-Office aggrava les mesures précédentes, interdisant à Padre Pio "toute messe publique" et réitérant l'ordre aux capucins de placer le moine dans un autre couvent.

Cet acte officiel de l'Eglise publié dans l'Osservatore Romano fut repris par de nombreux journaux de la Péninsule.

A partir du 25 juin, sur ordre du provincial, Padre Pio dut désormais dire la messe dans la chapelle intérieure du couvent, fermée à clé, sans aucun assistant et il sera interdit de confession. Cette dernière mesure fut pour lui la plus dure. Car il se considère avant tout comme chargé d'âmes, comme confesseur.

La réaction vint des fidèles qui, à plusieurs reprises, manifestèrent par milliers pour réclamer la levée des interdits et empêcher que l'on exilât le père.

Entre 1924 et 1931 quatre autres décrets du Saint-Office seront publiés à l'encontre du saint homme, l'isolant le plus complètement possible de ses fidèles. Les dix années de son «exil intérieur» seront exemplaires. Il ne se révoltera jamais contre l'injustice, il pardonnera à ses ennemis le mal qu'ils lui font, se soumettra toujours aux ordres et aux décrets pris à son encontre, dans la plus parfaite obéissance.Interdit de messe publique

Ses amis prennent sa défense

Pourtant, ses amis - il en avait beaucoup - ne restaient pas inactifs. Il y eut de nombreuses pétitions, délégations, publications, rassemblements pour prendre sa défense, tant auprès du Vatican que des instances provinciales.

L'un après l'autre ses ennemis connurent l'opprobre du scandale ou même les foudres de la justice. Mais tout se passa comme si une volonté plus haute imposât à Padre Pio ce long et silencieux martyre.

La levée des interdits n'intervint en effet qu'en 1933, lorsque le pape Pie XI, le même qui les avait avalisés 10 ans auparavant et maintenus jusque là, déclara: "Padre Pio a été réintégré et ultra".

Trente années d'épanouissement

Vinrent alors trente années de magnifique épanouissement, au cours desquelles Padre Pio put enfin donner le meilleur de lui-même au service du Christ, par le témoignage de sa foi, de sa vie exemplaire et des grâces surnaturelles dont il était le dépositaire. Mais son nom répété et invoqué par mille bouches, sa photo publiée dans tous les journaux du monde, le fait que des milliers d'hommes et de femmes venus de partout voulaient le voir, le toucher, se recommander à ses prières et se confesser à lui, ne lui tourna jamais la tête.

Les Groupes de Prières

Par son charisme, ses guérisons, ses dons de bilocation et de voyance - il lisait dans les âmes - il parvint à convertir des milliers de gens dont il transforma la vie. Par sa volonté au service de Dieu et de son Eglise, il réalisa deux œuvres magnifiques: les Groupes de Prières dont le pape Pie XII avait lancé l'idée au début de la guerre.

Padre Pio reprit cette idée forte et réussit à lui donner l'impulsion nécessaire pour créer un véritable renouveau spirituel, suscitant chez les jeunes le réveil de l'honneur catholique.

Autre succès, dont il rêvait depuis des lustres, la création d'un Hôpital moderne à San Giovanni Rotondo qui en était dépourvu. Dès 1925, il avait esquissé et réalisé un avant-projet qui n'était que le brouillon de celui qu'il allait enfin réaliser. La Casa sollievo delle Sofferenza, l'un des plus beaux hôpitaux du monde et des mieux équipés, (inauguré en 1956) entièrement payé par les dons des fidèles, fut aussi la cause indirecte d'une seconde période de persécutions dont Padre Pio fut l'innocente victime.

Le «banquier mystique» par qui le scandale arrive

Cette douloureuse affaire débuta peu après la Seconde Guerre Mondiale, lorsque Jean-Baptiste Giuffré, un obscur employé de banque, eut l'idée de lancer une fantastique "œuvre" financière pour la bonne cause des congrégations religieuses.

Le principe était d'adapter aux temps modernes la vieille tradition des frères mendiants, qui jadis allaient à travers villes et campagnes quêter dons en nature ou oboles en numéraire. Leurs modernes successeurs, franciscains et capucins, iraient quêter auprès de leurs ouailles non de la farine, des œufs ou quelques modestes piécettes, mais des prêts libellés en millions de lires, honnêtement rétribués d'un bon intérêt. Contre cet argent, remis entre les mains de Giuffré qui se proclamait sans rire "Banquier de Dieu", les rabatteurs en soutane recevaient eux aussi de gros intérêts en tant qu'intermédiaires.

En cette époque d'après-guerre où les besoins de construction et de reconstruction étaient très importants, Giuffré offrait aux évéchés, aux congrégations, aux ordres religieux qui avaient quelques projets immobiliers ou d'aménagement cette proposition astucieuse et alléchante: "vos frères quêteurs habitués à recueillir des dons auprès des fidèles, leur proposeront en plus désormais des placements d'argent moyennant un intérêt raisonnable."

Les sommes ainsi recueillies seront confiées à sa banque qui versera aux moines et aux prêtres devenus ses courtiers, un intérêt annuel de 40 à 100 % sur ces dépôts.

Giuffré s'engageait également à exécuter lui-même les montages financiers nécessaires aux travaux projetés par les religieux, sur lesquels il prélèvera évidemment au passage de substantielles commissions.

Le "banquier mystique" parvint ainsi à inoculer aux moines mendiants le goût de la finance et du luxe, et à leurs supérieurs cette "maladie de la pierre" et des affaires véreuses qui sont la gangrène de l'Eglise moderne.

Plusieurs congrégations, une dizaine d'évêques, des centaines de frères quêteurs se laissèrent tenter par cette fantastique arnaque. Ils récoltèrent ainsi, avec zèle et ferveur, auprès de leurs fidèles et naïves ouailles, plusieurs dizaines de milliards de lires (équivalant à des millions d'euros d'aujourd'hui).

Dans un premier temps, tout marcha fort bien. Ce fut l'euphorie tant chez les moines que chez les architectes et le "banquier de Dieu".

On commença à bâtir des dizaines d'édifices religieux, on dota les couvents les plus pauvres d'un parc automobile et électro-ménager, on modernisa les bureaux, les cuisines et les réfectoires, on organisa des fêtes, des jubilés. Bref, on dépensa tant et plus que l'on croyait cette manne céleste inépuisable.

Pour trouver toujours plus d'argent à placer avec usure à la "Banque du Bon Dieu", ces braves et opulents ecclésiastiques lancèrent des souscriptions publiques, des emprunts faramineux, organisèrent de véritables groupes de pression (pour ne pas dire "rackets") puis, leurs brebis tondues et des rumeurs fâcheuses les ayant rendues prudentes, ils allèrent jusqu'à investir l'argent des congrégations, des diocèses et des œuvres sociales des paroisses!

Bien entendu, au cours des années fastes, Giuffré tenta par évêques interposés d'attirer les capucins de San Giovanni Rotondo dans la combine, eux qui voyaient affluer pour leur œuvre des sommes très importantes en provenance du monde entier.

Mais Padre Pio fit longtemps la sourde oreille. En tentant de soustraire son œuvre à ce scandaleux trafic, indigne de l'Eglise, il s'attira du coup l'inimitié voire la haine des prélats usuriers, tels Mgr Bortignon, évêque de Padoue, qui s'endetta pour des milliards de lires.

Lorsque début 1957, le Pape mit en garde les évêques et les supérieurs des congrégations, leur interdisant toute collaboration avec Giuffré, le mal était fait.

Pressentant une catastrophe financière

Le 4 avril 1957, pressentant une inévitable catastrophe financière, Pie XII releva Padre Pio de son vœu de pauvreté, lui permettant de mettre tous les biens de l'œuvre de la Casa à son nom personnel, à l'abri des prédateurs.

Ainsi, la Casa fut épargnée par l'énorme krach, faisant plus de 25.000 victimes, où sombrèrent en 1958 tous les religieux imprudents. L'ordre des Capucins figurait en bonne place des congrégations les plus compromises et les plus touchées par cette triste affaire.

Les Congrégations se trouvèrent mises en demeure de rembourser des dettes dépassant souvent de dix fois leurs capacités de paiement. Les fidèles affolés réclamaient évidemment la restitution des dépôts faits aux moines, et les Capucins ne purent résister à la tentation de puiser dans la caisse de la Casa Sollievo pour éponger leurs déficits.

Comme Padre Pio refusait obstinément tout détournement des offrandes des fidèles destinées à son œuvre au profit des religieux magouilleurs, les évêques et les supérieurs impliqués dans ces spéculations hasardeuses, Mgr Bortignon en tête, se mirent à faire pression sur le moine et à le diffamer.

Trois mois après le krach de Giuffré, Pie XII meurt et le falot Jean XXIII lui succède. En octobre, Mgr Bortignon et sa mafia, attaquent les Groupes de Prières et l'œuvre de Padre Pio devant le nouveau pape qui, tel Pie XI couvrit, par lâcheté ou par ignorance, les plus honteuses machinations conduites à l'égard du stigmatisé, sa quasi séquestration et les plus vils détournements de fonds aux dépens de son œuvre.

Pour Padre Pio, le pontificat de Jean XXIII fut terrible. Le Pape fut-il complice des voleurs d'offrandes et des espions sacrilèges, ou simplement mal informé? Privé de messe publique, du droit sacré pour un prêtre de confesser ses fidèles, séquestré et drogué par des brutes en soutane qui allèrent jusqu'à placer des micros dans sa cellule et son confessionnal, honteusement spolié, le saint moine fut heureusement libéré en 1963, par l'arrivée sur le trône de St Pierre du Cardinal Montini devenu Paul VI, à qui il avait prédit, en 1959, qu'il succéderait à Jean XXIII.

Maladie et souffrances

Amoindri physiquement par ses souffrances et la maladie, éprouvé moralement par les persécutions de ses frères religieux et leurs supérieurs dévoyés, Padre Pio vécut les dernières années une paix relative. Son œuvre terrestre, la Casa Sollieva della Sofferenza était à l'abri des prédateurs, léguée au Saint Siège par un testament certes arraché par Jean XXIII, alors même que le saint moine l'avait spontanément offerte quelques années auparavant à Pie XII qui l'avait refusée.

Quant à son œuvre religieuse, les dizaines de milliers de fidèles qui suivaient ses prédications et son enseignement, les milliers de Groupes de Prières disséminés à travers le monde, les centaines de guérisons miraculeuses accomplies au nom du Christ, ne témoignaient-ils pas de l'efficacité de ses prières et de sa foi?

Le plus remarquable dans cette vie sainte et héroïque, fut son immense bonté qui le poussa à prier pour ses persécuteurs et à souffrir en silence les pires humiliations, sans jamais se révolter, et dans la plus parfaite obéissance à son Eglise.

A la fin de l'été 1968, Padre Pio, très affaibli, rongé par la maladie et qui ne se déplace plus qu'en chaise roulante, voit ses stigmates disparaître lors de sa dernière messe. Ce sera l'ultime miracle de sa vie qui en est pourtant riche. Le 23 septembre, il expire doucement, sans bruit, le visage serein, un rosaire entre les mains. Son corps repose dans la crypte de l'église Notre-Dame-des-Grâces, de son couvent.  
 

Marc Schweizer
Science & Magie (1993)

 


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