Témoignage :
LA MAIN DE DIEU


Militaire de carrière, célibataire, je fus grièvement blessé lors d'une mission d'assistance au Tchad, au cours de laquelle ma jeep sauta sur une mine. Ramené en France par avion sanitaire, je subis plusieurs opérations à l'hôpital du Val de Grâce. Malgré des soins intensifs, les médecins déclarèrent qu'ils seraient contraints de m'amputer.

Bouleversé par cette perspective, je sombrais dans une profonde déprime. Trois jours avant l'opération, je reçus la visite du Père M., un vieil ami ecclésiastique que je n'avais pas revu depuis plusieurs années.

Mis au courant de mes malheurs, il s'agenouilla en toute simplicité au pied de mon lit et m'invita à prier avec lui pour que Dieu m'épargne cette épreuve. J'avais perdu la foi de mon enfance depuis bien des années. Sans être tombé dans l'athéisme, disons que je vivais sans pratiquer, dans la plus parfaite indifférence.

Le Père M. revint chaque jour, priant auprès de moi, ses mains posées sur les miennes. J'étais touché de ses visites, de sa foi ardente, mais malgré toute ma bonne volonté je n'arrivais pas à prier avec lui.

En tout cas ses visites calmèrent mes angoisses. Sa présence provoquait en moi un bien-être diffus. Le troisième jour, quelques heures avant que je passe sur le billard, le Père M. prit ma main et la posa sur ma jambe blessée, priant avec ferveur. En me quittant, il m'embrassa sur le front et me dit:

«Aie confiance, le Seigneur est avec toi!»

En salle d'opération

Lorsque je me retrouvai en salle d'opération en présence du chirurgien, de l'anesthésiste et des infirmières, je ne ressentis aucune anxiété. Contrairement à mon attente, je me sentais parfaitement détendu. Une fois les pansements défaits, ma jambe mise à nu, il se passa un phénomène curieux. La plaie infectieuse, gagnée par la gangrène, s'ouvrit et se vida naturellement de toute la sanie qui l'infectait. Surpris, intrigué même, le chirurgien renonça provisoirement à l'amputation. Il cureta ma blessure, la draina, fit établir un pansement. Puis il me soumit à de nouveaux examens. Vingt-quatre heures plus tard, il m'annonça que je garderais ma jambe et que j'allais guérir!

Bouleversé de joie, j'attendis avec impatience la visite de mon ami prêtre qui, lorsque je lui racontai ce qui s'était passé, ne fut pas étonné du tout.

Il me dit simplement: «Dieu t'a guéri.»

Un terrible accident

Quelques semaines plus tard, après une longue convalescence, comme je me retrouvais pour la première fois au volant de ma voiture, j'assistai à un terrible accident de la route.

Un jeune motard déséquilibré par un chauffard qui venait de lui couper la route, agonisait sur le bas-côté en attendant les secours.

D'instinct, je m'agenouillai auprès de lui, pris une de ses mains dans la mienne, et sans me soucier des badauds qui nous entouraient, je me mis à prier.

Au bout de quelques minutes, le blessé ouvrit le yeux et braqua sur moi un regard poignant.

L'ambulance arriva. Une civière emporta le jeune homme. Je ne pus me résoudre à abandonner le blessé. Comme dans un état second, je suivis le véhicule jusqu'à l'hôpital de Creil. Là, j'eus la joie de voir l'accidenté descendre librement du véhicule entre les deux secouristes, sans souffrance apparente.

Deux mois plus tard, ayant complètement récupéré mes forces et l'usage de ma jambe, je reprenais mon service. Je demandai à repartir en Afrique, ce qui me fut accordé.

En tournée d'inspection

Or, un jour, en tournée d'inspection dans une région infestée de rebelles, ma patrouille tomba sur une caravane suspecte que mes hommes contrôlèrent. Parmi les méharistes, un homme tremblant de fièvre délirait, recroquevillé sur son dromadaire.

Je le fis mettre à terre, l'examinai pour voir ce qu'il avait. Je ne décelai aucune blessure. Mais apparemment, la seule intervention de mes mains le calma. Cette aventure troubla le guide africain de notre patrouille qui dut la raconter à ses camarades. Dès lors, au moindre bobo, tous les Noirs vinrent me trouver pour que je les guérisse.

Le plus proche médecin se trouvant à plus de cinquante kilomètres de notre poste, je n'estimais pas faire une concurrence déloyale aux représentants de la Faculté.

Ma renommée de "toubib" amusa mes camarades blancs qui recoururent également à mes services, en plaisantant mon pouvoir!

Je l'expliquai par un passé de secouriste, des études de médecine avortées, car je ne pouvais décemment leur parler de la force de la prière ou de l'imposition des mains, sans me déconsidérer.

Bientôt, de tous les villages à la ronde, des malades vinrent me consulter, si bien que le capitaine de notre unité trouvant que cela faisait désordre dans un camp militaire, me fit muter dans la capitale.

La renommée acquise dans le bled me suivit, sans que j'y fusse pour rien.

Il me demande de guérir sa fille

Un jour, à N'Djamena, je reçus la visite d'un Marabout très célèbre qui me demanda de guérir sa fille. J'eus la chance de réussir ma mission simplement en lui touchant le front et en priant. Lors de l'incontournable cérémonie du thé à la menthe qui suivit, il me demanda, si, entre confrères, j'acceptais d'échanger quelques recettes de "guérisseur"!

Lorsque je lui avouai que je ne guérissais que par la prière et l'imposition des mains, il ne voulut pas me croire. Il resta convaincu que je refusais de partager mes secrets. Il me donna néanmoins, pour me remercier de la guérison de sa fille, un gri-gri enveloppé dans un sac de jute, qui sentait fort mauvais.

Un an plus tard, muté à Djibouti, je fus malgré moi à nouveau confronté à mon don de guérisseur.

Chaque fois que je touche une blessure...

Lors d'une patrouille de routine aux abords du lac Abbé, sur la frontière éthiopienne où l'on avait signalé des incursions d'insurgés Aoussas, je tombai sur un campement de Danakils. Là régnait l'horreur absolue. Hommes égorgés, femmes enceintes éventrées, enfants démembrés ou errant en état de choc. L'attaque devait être très récente. Avec mes hommes et le peu de moyens dont nous disposions, je m'occupai des survivants, avant même de poursuivre les tueurs.

Lors de cette intervention, je remarquai avec stupeur que chaque fois que je touchais une blessure, le sang s'arrêtait de couler, comme si mes doigts avaient le pouvoir de cautériser les plaies.

Tu es la main du Seigneur

Au cours d'une permission en France j'allai voir le Père M. et lui racontai mes "expériences" d'Afrique.

Il ne s'étonna pas du tout et me dit simplement: Dieu t'a guéri, il te donne maintenant le pouvoir de guérir les autres! Va et fais-en bon usage, tu es la main du Seigneur.

J'achetai une Bible que je lus chaque jour, j'allai à la messe dès que j'en avais l'occasion. Malgré toute ma bonne volonté je n'arrivais pas à croire vraiment.

De retour dans mon unité, j'eus chaque semaine l'occasion de mettre mon pouvoir de guérisseur à l'épreuve, si bien que ma renommée s'étendit au loin.

Je songeai même à démissionner de l'armée pour faire des études de médecine, ou m'installer en France comme "guérisseur".

Un médecin militaire rencontré au mess des officiers à Djibouti s'intéressa à mon cas. D'abord parfaitement incrédule, il établit un protocole d'investigations pour tester mon pouvoir. De nombreuses expériences de guérisons réussies sur des cas désespérés le convainquirent qu'il y avait quelque chose d'étrange en moi.

Un jour, à Obock, un violent incendie ravagea plusieurs bâtiments de la ville et occasionna des dizaines de victimes gravement brûlées. Le capitaine-médecin de la place fit appel à moi pour l'assister. Mon intervention fut spectaculaire et sauva d'une mort atroce plusieurs autochtones affreusement atteints.

Trois jours d'arrêts

Cet événement et la réputation louangeuse qui s'ensuivit me donnèrent un peu la grosse tête.

Je m'accrochai avec l'un de mes supérieurs qui ne voyait pas d'un bon oeil cette soudaine gloire d'un de ses subordonnés. L'algarade me valut trois jours d'arrêts et le transfert dans une petite unité basée entre Yabillou et Daddato près de la frontière, où je végétai plusieurs mois à faire le feu contre des irrédentistes. J'y fis la connaissance de R'jeb Hamadou, un marabout danakil très influent dans la région, qui avait la réputation de guérir les brûlures. Un de ses plus jeunes fils ayant été mordu par un serpent venimeux, je réussis à le guérir, alors que tout son corps était déjà paralysé.

Reconnaissant de mon intervention, il m'apprit comment marcher indemne, pieds nus sur des braises rougeoyantes, ou saisir sans danger un fer incandescent dans ma paume. Je parvins à l'imiter sans difficultés. Une nuit de pleine lune, il me fit assister à une étrange cérémonie rituelle: la préparation à l'état de guerrier de l'un de ses jeunes fils, Aksoum.

Initiation d'un guerrier

Après qu'il lui eut fait absorber un breuvage dont il ne me dit pas la composition, mais dont je soupçonnai que ce fût une drogue stupéfiante, Hamadou le fit allonger nu sur une natte où le garçon parut sombrer dans un profond sommeil. Accroupi au-dessus de son corps immobile, le marabout pratiqua de longues passes de ses mains décharnées, psalmodiant des invocations ou des prières en langue saho. Cela dura des heures. Après quoi il réveilla l'adolescent et ses femmes qui dormaient dans la case d'à côté. Il oignit le corps de son fils d'une huile parfumée et le revêtit d'une djellaba blanche sous les you-you stridents des femmes voilées.

Au petit matin, quelques hommes du clan, armés jusqu'aux dents de vieilles pétoires, de dagues-poignards trilames et de sabres, se mirent à cheval et se lancèrent dans une fantasia autour d'Aksoum debout au milieu des guerriers, adossé à un vieil arbre desséché.

Durant plus d'une heure les cavaliers tournèrent autour du jeune homme, tirant sur lui à bout portant, le frappant de leurs lames, apparemment sans le blesser. Sous la mitraille et la fureur des coups, Aksoum ne broncha pas et ne manifesta pas le moindre sentiment de peur.

Dolom

«Tu vois, mon fils est "dolom", me dit le Marabout. Il ne craint plus ni le fer ni les balles!»

Comme j'exprimai mon incrédulité, il appela l'un des cavaliers, fit placer son fils contre un mur de terre. Sur un signe du Marabout, l'homme déchargea son arme à trois reprises sur l'adolescent avant que je ne lui ordonne d'arrêter le feu!

Je courus vers Aksoum, souriant, indemne. Derrière lui, trois impacts de plomb avaient fait de gros trous dans la terre battue, juste à l'endroit où il était adossé.

A ce jour je n'ai encore pu m'expliquer ce prodige.

Un mois plus tard, nous étions en 1977, l'indépendance du territoire des Afars et des Issas me ramena en France.

Démobilisé

Démobilisé après avoir servi durant 20 ans dans l'armée, je m'installai dans le midi de la France. L'inactivité me pesa. Pour m'occuper, j'étudiai en autodidacte le magnétisme, la radiesthésie et les sciences occultes. A plusieurs reprises j'eus l'occasion de guérir des brûlures, des gangrènes avancées ou d'autres maladies.

Un jour, en pleine montagne, lors d'une excursion solitaire, je découvris au fond d'un ravin, un vieux berger provençal qui pratiquait encore la transhumance. Blessé à la suite d'une chute dans les rochers en voulant récupérer une brebis égarée, il avait la jambe fracturée en plusieurs endroits.

Lorsque je lui proposai d'aller chercher des secours dans la vallée, il me dit que ce n'était pas nécessaire, qu'il était lui-même rebouteux. Sur ses indications je réduisis ses fractures, imposai mes mains sur son membre douloureux et j'eus le plaisir de le voir guéri en moins d'une journée. Le soir même, il marchait sans traîner la jambe.

Intrigué par ses connaissances empiriques, je demeurai plusieurs semaines dans la montagne à ses côtés, vivant aussi frugalement que lui, couchant à la dure. Au hasard des villages des Hautes-Alpes qu'il traversait avec son troupeau et ses chiens, il soignait les malades avec des simples, réduisait les fractures, guérissait les animaux, tout cela gratuitement. Au cours de nos longues veillées il m'enseigna son art. L'homme était attachant, si passionnant, que je ne me lassais pas une seconde en sa compagnie. Il savait par coeur les étoiles, y lisait l'avenir, connaissait toutes les plantes utiles.

Je te confie sa flamme.

Un jour il me dit: «Ma lampe va s'éteindre! Je te confie sa flamme.» Je ne compris pas tout de suite ce qu'il voulait dire par là. Le lendemain, il ramena son troupeau dans la vallée, répartit le cheptel entre les différents propriétaires venus à sa rencontre avec leurs chiens. Comme il semblait très fatigué et n'avait pas de véritable maison, je l'emmenai chez moi où il mourut trois jours plus tard sans bruit, sans douleur apparente, comme s'éteint une bougie. Ses dernières paroles furent pour me léguer ses chiens, sa besace contenant une vieille bible, sa pipe, des sachets de simples et son pendule.

L'annonce de mon retour, après plus d'un mois d'absence, me valut plusieurs visites. Dès lors tout se précipita. Je connus une chance insolente. J'eus bientôt tellement de consultants que je décidai de m'installer officiellement à mon compte. Le bouche à oreille fonctionna à merveille. Sans que je le sollicite, l'argent afflua. Les médias alléchés claironnèrent mes louanges et répandirent ma gloire au loin.

La grosse tête

J'eus bientôt, je l'avoue, la grosse tête. J'achetai une Mercedes somptueuse, me fis construire une villa de luxe avec piscine, passai d'une fille à l'autre. Cela dura plusieurs années.

Mais très vite je sentis que les guérisons à la chaîne, l'imposition des mains sur commande et les attaques d'abord sournoises puis diaboliques du fisc amoindrissaient mon fluide. Je n'avais plus le même punch, la même sûreté de diagnostic, le même pouvoir de guérison.

Une nuit, je rêvai du Père M. mon vieil ami prêtre. Je le vis dans une soutane blanche, immaculée, qui me dit: Dieu t'a guéri, Dieu t'a donné le pouvoir de guérir les autres mais tu en fais mauvais usage. Prie et repens-toi, sinon ton pouvoir ne sera plus que poussière.

Ce rêve me laissa comme un malaise. Il m'obséda. Je vous l'ai déjà dit il y avait longtemps que j'avais perdu la foi. Mais, lorsque j'imposais les mains sur un blessé, sur un malade, je me retrouvais dans un état second, habité par une puissance inconnue, une force bien réelle. Certes, il y avait belle lurette que je n'accompagnais plus de prières mes gestes de thérapeute.

A partir de là, tous mes actes de "guérisseur" ne furent plus que des placebos. Je sentais bien que je ne guérissais plus, que le pouvoir de "voir" la maladie m'échappait. Malgré cela les clients affluaient et je faisais le simulacre, exigeant des honoraires de plus en plus élevés.

Une mauvaise passe

Il y a trois ans maintenant j'entrai dans une mauvaise passe. D'abord le fisc me tomba dessus, me notifia un redressement ruineux et fit saisir ma maison. Puis ce fut le tour de l'ordre des médecins de me traîner en justice. Pour échapper à tous ces ennuis, je m'expatriai en Italie où, pour me renflouer, j'acceptai d'apparaître en vedette dans une émission télévisée. Un accident dramatique - une grave erreur de diagnostic en direct sur un malade qui mourut quelques minutes après mon intervention inefficace - abrégea les souffrances du malade et mit un terme à ma nouvelle carrière.

Aujourd'hui je vis en Afrique, de ma modeste retraite d'ancien militaire, et j'aimerais trouver un éditeur qui accepte de publier le récit de ma vie.

Raymond Colomer - Casablanca

 
Il existe plusieurs "écoles" de guérisseurs. L'école matérialiste affirme que seul le fluide vital (appelé aussi fluide magnétique ou animal) guérit. Tout homme le possède peu ou prou. Si 1 personne sur 1000 développe naturellement un influx assez fort pour agir efficacement sur ses semblables, chacun de nous peut le développer par l'apprentissage.

L'autre école, dite spiritualiste, prétend que l'univers entier, les hommes, les animaux et les plantes forment un "grand tout" créé par Dieu. Pour influer sur son semblable, pour le guérir, l'homme qui est à la fois matière et esprit, doit faire appel aux forces spirituelles, seules puissances capables de venir à son secours. Et cet appel, cette demande d'intercession, s'appelle "prière".

 
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