LE COSMOS VIVANT
Brève histoire de la Vie
AVERTISSEMENT AUX AVENTURIERS
DE LA PENSÉE
Ce livre est un message. Il répond
à quelques questions que se posent les «Aventuriers de la
pensée» (même les scientifiques) sur l'existence ou
la non existence de Dieu, sur la valeur de l'Homme, sur le sens de la Vie,
sur la signification de l'Univers.
La vie est matière et
esprit. Elle est par conséquent un phénomène physique
et métaphysique. Les scientifiques ne pourront donc répondre
à une interrogation sur la Vie que d'une manière prudente
et limitée, notamment quand ils parlent de Dieu, dont la notion
se lit en filigrane dans tous leurs ouvrages. Pourtant ils n'osent pas
et ne peuvent pas aller plus loin car seul le philosophe peut conclure
et proposer une explication globale de la Vie, de l'Univers dans ses deux
aspects complémentaires physique et métaphysique.
C'est à cette aventure
que sont conviés les lecteurs de cet essai.
Je tiens à rendre
hommage aux Maîtres dont la pensée m'a permis de préciser
certaines notions : Hubert Reeves, Rémy Chauvin, Albert Ducrocq,
Stephen Hawking, Trinh Xuan Thuan, Archibald Wheeler, notamment.
I
TOUTES LES FORMES DE LA VIE
J'ai passé ma petite enfance
à la campagne, dans un coin désolé de la Haute Marne
qui prend pourtant l'allure, dans mes souvenirs, d'un paradis terrestre.
Bercé par les cloches de l'église toute proche, par le bruit
profond d'une fontaine où les chevaux venaient boire, par les multiples
voix de la ferme où dominaient le chant des coqs et le cri triomphal
des poules pondeuses.
C'est de cette période, hélas
lointaine, que date sans doute mon amour pour toutes les formes de la nature.
Soixante dix ans vécus ensuite dans l'enfer bruyant des villes n'ont
pas émoussé mes sentiments. Je vais passer chaque fin de
semaine dans mon petit jardin de banlieue où poussent des herbes
folles et quelques arbres fruitiers. Je rencontre un rouge gorge ami qui
sautille autour de moi attendant que je remue des feuilles mortes sous
lesquelles il trouvera sa pitance.
J'ai besoin de ces herbes folles,
de ces gouttes de rosée, de ces arbres, de ces insectes, de ces
oiseaux pour me sentir lié à toutes les manifestations de
la Vie.
Déjà, dans ma Haute
Marne, j'avais fait une découverte fascinante, celle des vers luisants.
Ces humbles bestioles qui baladaient un fanal au bout de leur abdomen,
dans la nuit des prés, me remplissaient d'une sorte de crainte superstitieuse.
J'en avais mis une vingtaine dans un bocal et, le soir, je regardais ces
petites émeraudes phosphorescentes qui semblaient me transmettre
un mystérieux signal.
Séverine
Séverine, une jeune voisine
qui découvre le monde du haut de ses treize ans, vient rendre visite
à ce vieux bonhomme tranquille qui lui conte de merveilleuses histoires.
Elle pose à tout bout de champ les questions difficiles trottant
dans son esprit: pourquoi la nuit est-elle noire? Pourquoi les cafards
ont-ils plus de jambes que nous, pourquoi ne pouvons-nous pas voler comme
ce gros bourdon qui me passe devant le nez, pesant et attentif? Où
se tient le Dieu dont on parle au catéchisme?
Pour lors c'est la lumière
qui l'intrigue. D'où vient-elle? Des étoiles et du soleil
qui est aussi une étoile. Comment naissent les étoiles? Dans
de gros nuages très éloignés où des grains
minuscules tournent les uns autour des autres comme cet essaim de moucherons.
Séverine examine le nuage
d'infimes insectes qui palpite sans arrêt avec une rapidité
inouïe. Il faut sans nul doute un effort prodigieux d'imagination
pour passer de l'essaim tourbillonnant aux nuages interstellaires, mais
les jeunes esprits d'aujourd'hui sont bien plus savants que Platon et Aristote.
L'homme a fait plus de découvertes
dans les cent dernières années que pendant les vingt siècles
qui nous ont précédés. Le globe terrestre, parcouru
sans relâche en long et en large, perd les derniers mystères
qui lui restaient. Alors Séverine lève les yeux vers le ciel
et découvre l'immensité inquiétante du cosmos.
Au cur du problème
Vertige des grands nombres de l'infiniment
petit: le biologiste enseigne que l'Homme est fait de 30 milliards de milliards
de milliards de particules inanimées. Le philosophe répond:
ces particules sont peut-être élémentaires mais elles
ne sont pas inanimées puisqu'elles ont donné naissance à
la Vie et à l'Intelligence.
Il faut donc en conclure que la
matière, dès l'origine, était programmée pour
accoucher du vivant. Et le scientifique laisse tomber sa plume. Car nous
sommes d'un seul coup et sans préparation tombés au cur
du problème. Dieu ou pas Dieu? Ce livre est là pour le résoudre,
autant que faire se peut.
La hiérarchie absolue
- D'où venons nous? m'a demandé
encore Séverine.
- De la poudre des étoiles,
de l'eau des océans et du limon de la terre.
Séverine a plissé
ses jolis petits yeux et n'a pas répondu. Elle sent que le vieux
bonhomme a dit quelque chose de très profond et de très juste
qu'elle ne comprend pas très bien.
- Est-ce qu'on peut compter les
étoiles?
- Non, on peut évaluer leur
nombre dans un périmètre déterminé mais il
y en a des centaines de milliards, beaucoup plus que de boutons d'or dans
les champs derrière l'église. Mais tout se tient. De la poussière
à l'Homme, de l'Homme à l'étoile, de l'étoile
aux galaxies et des galaxies aux amas de galaxies il y a un lien continu,
une même raison d'être, ils sont faits de la même matière:
l'atome.
Pourtant, s'il est impossible de
calculer le nombre de tous les corps célestes, on peut les classer
par ordre d'importance réciproque, des plus grands aux plus petits
en se souvenant qu'ils se tiennent tous et réagissent les uns sur
les autres dans une mystérieuse dépendance.
Les plus grands sont les "super
amas" de galaxies. Si un savant interroge un ordinateur géant, la
machine se livre à des calculs gigantesques pour inscrire sur son
écran: dimensions de centaines de milliers d'années lumière
(1 année lumière = 10 000 milliards de kilomètres).
Dans la case au-dessous on trouve
les "amas de galaxies". L'ordinateur calcule sans hésiter: 10 fois
plus petites. Encore au-dessous: les galaxies. On lit sur l'écran:
2000 fois plus petites.
Puis c'est le tour des étoiles
moyennes. Ici le cerveau de métal hésite plus longuement
et traduit enfin: 1 million de milliards de fois plus petites. Et la Terre
par rapport aux étoiles moyennes?
Et l'Homme, dant tout cela
?
100 millions de milliards de fois
plus petite. Et l'Homme dans tout cela? L'écran clignote, se remplit
de chiffres et le savant qui commandait les calculs, découragé,
écrit: quantité négligeable.
C'est pourtant cette quantité
négligeable qui pèse les étoiles, calcule la vitesse
de la lumière, s'interroge sur l'espace et lève les yeux
vers le ciel pour demander l'explication de sa présence. Car il
se sent terriblement fragile, terriblement seul cet homme malgré
son arrogance et sa suffisance. Alors il tente de savoir. D'où vient-il?
Où va-t-il? Poussière
d'étoile, eau des océans, limon de la terre, cosmos devenu
vivant? Mais encore?
Empédocle d'Agrigente enseignait
au 5e siècle avant le Christ que les aigrettes qui s'échappent
des mâts des navires les jours d'orage (les feux de Saint Elme) montent
vers le ciel pour y former les étoiles.
Un texte de l'ancien empire d'Egypte
raconte que "la création fut appelée par l'éveil d'un
enfant soleil à l'intérieur d'un lotus qui venait de fleurir
sur la butte primordiale à peine émergée des eaux."
Tout le monde n'est pas d'accord
Séverine compare les étoiles
à des lampes électriques braquées vers la terre.
Ce qui prouve, poésie mise
à part, que tout le monde n'est pas d'accord sur les formes de la
création. Aujourd'hui, où la science triomphante relègue
la philosophie aux vieilles lunes, on se fait une idée précise
de la naissance des mondes.
Attention toutefois de ne pas confondre
Cosmos et Univers. L'Univers étant l'aspect matériel de tous
les corps issus du Cosmos, issus de cette Energie fondamentale formidable
de nature inconnue et supérieure à toute chose.
L'Univers, c'est à dire planètes,
soleils, galaxies, a-t-il eu un commencement? Les astro-physiciens qui
sont gens de grand savoir répondent Oui sans hésiter. Et
c'est heureux pour la logique autant que pour la satisfaction de l'esprit
puisqu'il faut obligatoirement en toute chose un commencement et une fin.
Notre monde empli de drames, d'extases, de souffrance, de joie et de misère
pouvait-il naître autrement que dans la catastrophe? Non sans doute.
Ainsi nos astro-physiciens sont
aujourd'hui à peu près d'accord: un Big-Bang, une explosion
fantastique dont nous ne pouvons avoir aucune idée, marqua il y
a 15 milliards d'années la naissance de l'Univers. Une température
de centaines de milliards de degrés pendant un millionième
de seconde et la grande aventure commença. Où les choses
se compliquent pour la clarté de l'esprit c'est quand les mathématiciens
affirment, preuves à l'appui, qu'à ce moment-là, avant
la première seconde du Big-Bang, l'Univers avait une dimension nulle.
Avant le Big-Bang
Et plongeons 50 ou 60 milliards
d'années avant ce Big-Bang, au cur de cette énergie que,
faute de mot, nous appellerons Fondamentale. Il faut bien que cette énergie
de nature inconnue soit fantastiquement puissante pour avoir produit un
résultat pareil.
Pendant 50 ou 60 milliards d'années
elle donna naissance à des frémissements de matière,
des "bouffées de rayonnement", qui s'accumulèrent petit à
petit dans la bulle primordiale. On donnera le nom barbare de "quarks"
à ces particules sub-élémentaires qui possédaient
déjà des charges électriques. Elles se tassèrent
les unes contre les autres jusqu'à l'écrasement total. Certaines
- les hadrons - étaient plus fortes que leurs voisines et, lorsque
la limite de la résistance fut atteinte, le drame inévitable
se produisit, un déséquilibre brutal qui engendra l'explosion
formidable, extravagante, la fournaise où tous les noyaux étaient
fondus les uns dans les autres.
A ce moment là rien n'était
possible, l'extrême chaleur n'autorisait aucune combinaison. L'Univers
était opaque et fermé sur lui-même. Il fallut attendre
300.000 ans, un battement de cur à l'échelon cosmique, pour
que l'Univers, suffisamment refroidi et suffisamment vaste, laissât
jaillir la lumière aujourd'hui fossile qui allait signer sa naissance.
Lever de rideau
Les équilibres de la
Vie
Dès les trois premières
minutes après l'explosion, quand la température eut chuté
de plusieurs centaines de milliards de degrés, tous les acteurs
de la tragi-comédie étaient en place: les quarks, les électrons,
les neutrons, les protons... qui se conjuguaient joyeusement pour composer
tous les atomes de la matière. Etaient présentes également
dès la première seconde toutes les lois qui permettront de
gravir l'escalier de la complexité et rendre possible l'émergence
de la Vie.
Une remarque s'impose alors sans
plus attendre: si l'expansion de l'Univers avait été moins
brutale les atomes d'hydrogène se seraient transmutés en
fer. Même s'il n'est pas impossible de supposer une vie organisée
à base de fer, l'évolution trop rapide des étoiles
n'aurait permis aucune réalisation. Il faut donc, sinon admirer,
au moins noter tous les équilibres sans lesquels nous ne serions
pas là, sans lesquels aucune intelligence, aucune conscience n'aurait
jailli de la matière.
*
Au fur et à mesure que la
science tâtonne dans la nuit elle touche du doigt d'autres équilibres
sources de Vie. Si la gravité, entre autre chose, avait été
plus forte les mondes se seraient effondrés les uns sur les autres.
Les nombres essentiels comme la
taille de l'électron, sa charge électrique négative,
la masse du proton, sa charge positive et le rapport de ces masses entre
elles gouvernent l'Univers physique. La moindre différence n'aurait
pas permis aux étoiles d'évoluer et la Vie ne se serait développée
nulle part.
La force nucléaire qui règne
à l'intérieur du noyau de l'atome est 100 fois plus puissante
que la force électromagnétique qui retient les électrons
autour du noyau. Si la puissance de ces liens avait été supérieure,
même d'une différence infime, l'hydrogène, base de
la Vie, aurait disparu de l'Univers.
A l'inverse, si le lien nucléaire
avait été un tant soit peu plus faible, la plupart des atomes,
devenus radioactifs auraient empêché toute évolution
biologique. Et ainsi de suite pour la température, la densité,
l'homogénéité et l'interaction entre les particules.
Tous ces équilibres, sources
de Vie, sont trop dirigés, trop étudiés pour n'être
qu'une accumulation de hasards "providentiels". Mais alors qui les a étudiés,
qui les a dirigés? Pourquoi après avoir instauré des
lois si précises et si efficaces, le Cosmos-Dieu s'est-il arrêté?
Pourquoi a-t-il posé sa règle à calculs et sa table
de logarithmes et s'est-il endormi sur ses lauriers, s'abstenant ensuite
de toute intervention dans le fonctionnement de la machine? Etait-il si
fatigué?
"Quelle puissance occulte ordonne
aux charges électriques de s'attirer ou de se repousser ?" demande
Reeves. Weinberg répond "ne cherchez pas, l'Univers est vide
de sens" et Monod, autre nihiliste patenté laisse tomber ses
bras fatigués en murmurant avec Lévy-Strauss "l'Univers
est un hasard".
Justification du Big-Bang
La cosmogonie de Babylone 5000 ans
avant notre ère enseignait que "l'Univers était né
d'une sorte d'évolution mécanique de la matière à
partir d'un premier élément d'où tout était
successivement éclos".
Curieuse prémonition des
penseurs de ce temps-là.
Aujourd'hui le Big-Bang est un fait
acquis pour la grande majorité des astronomes. L'explosion a craché
la totalité de la matière qui devait constituer les galaxies,
les soleils et les planètes. Au moment de cette explosion tout le
futur Univers était comprimé dans une sphère infime
de sorte que toutes ses parties se trouvaient en contact les unes avec
les autres. Elles ont conservé cette caractéristique merveilleuse,
cette homogénéité primordiale. L'Univers est partout
présent à lui-même. Nous reverrons cette notion qui
défie les lois de la physique et fit le désespoir d'Einstein.
Il n'y a pourtant pas longtemps
que le Big-Bang est un fait acquis. Jusqu'à une époque récente
les astronomes enseignaient la "création permanente" d'un Univers
qui se détruisait et se recréait sans cesse dans les immensités
galactiques, comme l'oiseau Phénix de la fable. Idée élégante
que rien ne semblait devoir troubler.
Mais les théories scientifiques
sont sans cesse remises sur le métier, l'une chassant l'autre. Quatre
découvertes ont brusquement tout changé: l'âge des
plus vieilles étoiles, l'âge des plus vieux atomes, la fuite
des galaxies et surtout une lueur fossile isotherme visible dans toutes
les directions.
Branle-bas de combat chez les astronomes
car cela voulait dire que l'Univers était en expansion permanente,
que les galaxies se fuyaient à une vitesse parfois proche de celle
de la lumière, qu'une lueur gigantesque s'était répandue
dans l'espace au moment ou peu après l'explosion, qu'il y avait
donc eu un commencement et que le commencement était bien ce fameux
Big-Bang dont on avait douté.
Mais cette solution semblait tellement
facile, tellement opportune que les scientifiques eux-mêmes n'osaient
pas trop s'y référer. Pourtant quand Hubble calcula la vitesse
de fuite des galaxies, quand Bell apporta la preuve de la lueur fossile
de la naissance, quand les plus vieilles étoiles et les plus vieux
atomes osèrent révéler leur âge, alors il n'y
eut plus de doute sur le drame qui ouvrait la voie à la grande aventure.
En réalité la création
est à double étage: le Big-Bang originaire sans quoi rien
ne serait et la naissance des étoiles dans les plaines inter-galactiques.
Notre système solaire, notre patrie, en est un exemple flagrant.
L'Univers naquit il y a 15 milliards d'années, notre groupe local
n'a que 4 milliards et demi d'années.
Cela veut dire que des étoiles
mortes par éclatement ont ensemencé en atomes lourds de vastes
espaces où les poussières stellaires se sont accumulées
pour former des nuages de plus en plus compacts, de plus en plus chauds
qui engendrèrent les soleils et les planètes. Ces systèmes
font partie de l'ensemble des galaxies mais ils vivent d'une existence
dont la durée est indépendante du reste de l'Univers.
Nous savons que notre système
solaire n'a que 10 milliards et demi d'années probables de vie et
que nous disparaîtrons inexorablement dans 5 milliards d'années
alors que l'Univers poursuivra sa course encore longtemps.
Identité de toutes
les parties de l'Univers
Ainsi toutes les particules élémentaires
d'où les atomes devaient sortir se trouvaient dans cette invraisemblable
purée qui brûla pendant quelques secondes à des centaines
de milliards de degrés. Puis, très vite, dès que la
chaleur le permit, la danse nuptiale des atomes, une centaine, commença
pour rendre compte de toutes les substances chimiques naturelles. C'est
le langage des atomes, le langage de la Vie, partout semblable dans l'Univers.
L'atome est véritablement la brique universelle, comme la cellule
sera la brique du monde animé.
Nous retrouverons d'ailleurs aux
divers échelons de l'organisation universelle, comme un leitmotiv
obsédant, cette identité profonde de toutes les parties de
l'Univers.
Les êtres vivants sont des
agencements de cellules, qui sont elles-mêmes des agencements de
macro molécules (protéines, acides nucléiques) qui
sont elles-mêmes des agencements de molécules plus petites
(acides aminés, bases nucléiques) qui sont elles-mêmes
des agencements d'atomes, qui sont eux-mêmes des agencements de nucléons
(protons, neutrons), qui sont eux-mêmes des empilements de quarks.
Nulle solution de continuité
dans cette chaîne impressionnante qui descend des étoiles
jusqu'à nous.
Quand l'Homme comprendra-t-il ce
message qui le lie à la création et fait de lui le frère
de toute chose comme l'acteur privilégié de la Vie?
Les champs où poussent
les étoiles
"Elles poussent comme dans la
prairie?" a demandé Séverine.
Exactement, elles sont ensemencées,
elles prennent forme elles grandissent et elles vieillissent, puis elles
meurent comme tout le monde. Si le Big-Bang ne paraît plus discutable
aujourd'hui, la création permanente n'est pas non plus une hypothèse
d'école puisque le grand nuage du Taureau contient des boules gazeuses
en train de se contracter, c'est-à-dire en train de former des systèmes
stellaires avec soleils et planètes. Des étoiles nouvellement
nées dans la constellation d'Orion illuminent doucement la chair
de la nébuleuse qui leur a servi de mère... sous le regard
ému des astronomes qui n'auront pas le temps de les voir évoluer.
"Les champs où poussent
les étoiles" n'est pas seulement une idée de la plus
haute poésie, c'est également la réalité. Les
poussières interstellaires qui masquent quelquefois par leur intensité
l'éclat des astres, sont composées de grains microscopiques
d'un millionième de millimètre comportant un noyau solide
de silicium, d'oxygène, de magnésium, de fer sous une mince
couche de glace.
On appelle ces étendues des
"terres fertiles de rencontre", et la glace explique l'eau présente
sous toutes ses formes dans les planètes, notamment dans la nôtre
où elle a constitué les océans.
Ces étendues poussiéreuses,
riches d'une vie encore potentielle, ne représentent toutefois que
cette création permanente qui s'accomplit lentement, silencieusement,
pourrait-t-on dire, dans les espaces inter- sidéraux.
Car, effectivement, tout s'est joué
d'abord dans l'explosion dramatique où l'Univers est né.
La totalité des lois physiques, les forces qui nous gouvernent et
le cadre où nous évoluons sont apparus simultanément
dans le même instant, l'instant zéro.
Les premiers grands rôles
Une légende de l'antiquité
indo-iranienne raconte que "le grand dieu Prajapati entretint pendant
1000 ans le feu du sacrifice d'où naquirent Ohrmazd, la lumière,
et Ahriman, les ténèbres. Avec eux naissaient aussi le Temps,
l'Espace, l'Intelligence et la Vérité, portés par
le dieu des tempêtes, le redoutable et tout puissant Vayu". Vision
prophétique ou intuition géniale? Les deux sans doute.
En effet le jet fulgurant où
brûlait la purée de quarks et de particules en tout genre
sonna l'entrée en scène des premiers rôles: la Matière
qui engendra l'espace, et l'horloge du Temps qui engendra la durée.
Dès ce moment le temps se mit à compter inexorablement les
secondes, les siècles et les milliards de siècles du destin.
Les premiers rôles apportaient
aussi dans leurs valises deux partenaires aussi grands qu'eux: la Vitesse
et la Lumière. Chacun avait appris sa partition et n'avait pas eu
besoin de répétition pour se donner la réplique.
Le Temps
"Je te donne tout ce qui sort
de la nuit, tout ce qui se produit au jour, je te donne les années
du soleil, les mois de la lune en joie". (Mythologie du royaume de
Méroé)
Le temps, fleuve sans retour comme
sans rivages, désespoir des hommes qui n'y voient qu'un principe
de destruction et de mort.
Immobiliser le temps, remonter le
temps, dépasser le temps, le gagner ou le perdre... rêves
insensés qui sont autant de révoltes dérisoires contre
l'invisible puissance.
Rien n'est possible quand l'assaillant
se trouve partout à la fois, insaisissable et présent. Cela
n'a pas empêché les hommes de le calculer, de le laminer dans
leurs ordinateurs, de l'enfermer dans des formules cabalistiques pour se
donner l'illusion de le domestiquer, l'illusion d'oublier que l'instant
présent, quand on y songe, est déjà le passé
et qu'on ne pourra jamais le saisir.
Seule parade, seul espoir, sinon
de vaincre l'ennemi, au moins de le contourner, de le battre sur son propre
terrain: la Vitesse. Car il existe entre la Matière, l'Espace, le
Temps et la Vitesse des liens indissolubles. L'espace n'existe que par
la Matière qui permet de le limiter et par la Vitesse qui permet
de le mesurer. Si l'un de ces éléments disparaît les
autres n'existent plus.
Cependant lorsqu'ils sont unis dans
le Cosmos pour le meilleur et pour le pire, leur union fait circuler le
Temps à la vitesse de la lumière, la vitesse absolue de 300.000
kilomètres seconde. C'est la vitesse à laquelle nos images
s'évaporent dans l'espace, c'est la vitesse des grains de lumière
qui les portent aux confins de l'Univers.
Les grands télescopes de
Russie et d'Amérique viennent d'apercevoir des galaxies à
10 milliards d'années lumière. Cela veut dire que les rayons
lumineux provenant de ces astres lointains sont partis bien avant la création
du système solaire, à une époque où le nuage
originel voyait déjà ses atomes et ses poussières
se rapprocher pour entamer le tourbillon générateur de notre
Soleil.
Cela veut dire aussi qu'un voyageur
se déplaçant à la vitesse de la lumière, au
milieu d'images fuyant à la même vitesse que lui, aurait l'impression
de ne pas bouger.
Ainsi se trouve démontrée
sans effort excessif l'une des grandes théories d'Einstein: la contraction
du temps dans l'espace. Si nos lointains descendants veulent un jour quitter
le système solaire, ou même la Galaxie il faudra qu'ils trouvent
le moyen d'atteindre la vitesse de la lumière comme semblent le
faire certaines galaxies aux limites de l'Univers.
Jusqu'où peuvent aller les
rayons lumineux porteurs d'images? On sait par expérience, pour
les avoir vus, qu'ils atteignent sans fatigue 10 milliards d'années
lumière et on se demande ce qui pourrait les arrêter puisqu'ils
font partie du rayonnement cosmique. La théorie ne peut donc fixer
aucune limite à leur propagation sauf si l'Univers n'est qu'une
bulle gigantesque. Les rayons reviendraient ainsi sur eux-mêmes après
en avoir fait le tour.
Et Candide demanderait: Mais alors
que se passera-t-il quand ces images reviendront sur le lieu de leur départ
comme les Furies antiques revenaient hanter le sommeil des héros?
Rien non plus. Il ne se passerait rien puisque la réalité
d'où elles étaient parties aurait disparu dans les cataclysmes
qui accompagnent la fin des étoiles.
Fantaisie de rêveurs? Oui,
totalement, impérialement, avec ce charme somptueux des choses inutiles.
Mais une chose peut-elle être
inutile dans le Cosmos? Non, car elle ne serait pas. Seul l'esprit peut
se payer le luxe de l'inutilité parce qu'il n'est pas matière.
*
La technologie perce peu à
peu les secrets des éléments qui se laissent autopsier, radiographier,
mesurer, peser avec une immobile indifférence, jusqu'à complète
jubilation des savants et prudente satisfaction des philosophes.
Mais l'esprit humain, cette fonction
divine et diabolique jaillissant comme un feu d'artifice des milliards
de cellules nerveuses qui bâtissent le corps et le cerveau, cet esprit
humain qui fonctionne sans aucune déperdition d'énergie et
sans qu'aucun instrument ne soit jamais arrivé à en saisir
la moindre parcelle, cet esprit humain qui est sensation matérielle
avant de devenir Idées immatérielles, à quelle vitesse
voyage-t-il?
La réponse est un nouveau
mystère car il n'a pas de vitesse étant instantané,
c'est-à-dire installé dans la zone du zéro absolu
où tout commence et où tout finit.
Ceci nous ramène au mystère
que nous avons déjà évoqué:
L'Univers entier présent
à tout moment dans chacune de ses parties.
Notons en passant qu'Aristote, sans
doute le plus grand génie que le monde ait porté, assimilait
la vitesse au temps. Tout déplacement était pour lui une
accumulation de l'entité élémentaire appelée
mouvement.
Nous ne suivrons pas les mathématiciens
dans leurs appréciations fumeuses sur le temps cosmique, le temps
psychologique, le temps imaginaire... Pour nous, humains dont la permanence
est mesurée, le temps est partout le même dans sa relativité
généralisée. Il est élastique, se dilate ou
se rétrécit selon le mouvement de l'observateur et la quantité
de matière qui se trouve à proximité. Donc Aristote
disait juste une fois de plus:
«Le temps est la Vitesse
et la Vitesse est la Lumière.»
- C'est peut-être pour ça,
estime Séverine, que les grandes personnes voient le temps filer
entre leurs doigts comme l'eau du torrent".
- Oui, et il file d'autant plus
vite que l'on vieillit!
Les forces
L'Univers ne pourrait pas s'étendre
et vivre sans les forces primordiales qui le soutiennent et le dirigent.
Ces forces ont jailli ensemble au premier instant et elles poursuivront
imperturbablement leur besogne qui ne s'arrêtera qu'à la fin
des temps.
Ces déesses tutélaires
sont au nombre de quatre, les quatre piliers de la création. Si
l'un d'eux s'effondrait tout retournerait au néant. C'est d'abord
la gravitation universelle qui tient les mondes suspendus dans l'espace
et oblige Séverine à se baisser 50 fois par jour pour ramasser
les objets qu'elle a fait tomber.
C'est ensuite la force électromagnétique
qui retient les électrons autour du noyau de l'atome. Puis c'est
la force nucléaire faible qui préside à la désintégration
des atomes et à la radioactivité.
C'est enfin la force nucléaire
forte qui assure la cohésion des éléments du noyau
de l'atome.
L'intensité relative des
quatre forces a été réglée d'une façon
si précise qu'un petit plus ou un petit moins dans leurs paramètres
n'aurait pas permis à la machine de se mettre en route. Un chercheur
a calculé que l'Univers physique s'explique par des constances fondamentales
au nombre d'une quinzaine, toujours les mêmes quel que soit le coin
de l'Univers observé: gravité, force nucléaire, vitesse
de la lumière, taille des atomes, masse des particules élémentaires...
Qu'un seul de ces nombres varie et c'est le chaos. Gruhier reconstitua
l'évolution de l'Univers sur ordinateur et conclut "il s'en est
fallu de presque rien pour que ça ne marche pas du tout".
Mais le Grand Architecte pouvait-il
se tromper? Non sans doute puisque le programme était de produire
un jour la Vie et la Conscience.
Le Dieu-des-origines ne jouait pas
aux dés.
L'antimatière
Tarte à la crème des
auteurs de science-fiction, point d'interrogation des astronomes, le problème
de la matière et de l'antimatière a dominé les premiers
instants de l'explosion. Pourquoi la matière et pas l'antimatière,
pourquoi + et pas - ?
Chaque particule a son antiparticule
dans laquelle elle s'annihile en rayonnement. La purée originaire
comportait autant de quarks + que de quarks Ð, mais dans la fournaise,
pour une cause qui restera à jamais inconnue, 1 milliard d'anti-électrons
allaient s'opposer à 1 milliard plus un d'électrons. Il y
aura donc toujours par milliard, 1 électron de plus dans la bataille
cosmique. Le reste n'est plus que lumière et énergie.
C'est cet électron qui fait
que l'Univers matériel existe sous la forme que nous lui connaissons.
Si le contraire s'était produit, nous vivrions dans des anti- mondes
avec des protons négatifs et des électrons positifs, mais
rien ne serait changé à nos problèmes. De sorte que
nos télescopes ou nos radio télescopes sont dans l'impossibilité
de déterminer s'il n'y a pas dans le vaste Univers des galaxies
d'antimatière. La seule chose importante est de connaître
la densité moyenne de l'Univers.
La densité "critique" est
de 3 atomes d'hydrogène par mètre cube. S'il y en a plus,
la gravité est assez forte pour arrêter un jour l'expansion
de l'Univers qui commencera alors une énorme récession pour
revenir au point zéro de sa naissance.
Coup d'il sur l'atome
Regard sur l'infiniment petit
"Entre les étoiles du
ciel et les poussières qui dansent dans le rayon de soleil il n'y
a aucune différence de structure et la moindre de ces poussières
est aussi admirable que Sirius car la merveille dans tous les corps de
l'Univers est l'infiniment petit qui les forme et les anime." (Anatole
France)
Cet infiniment petit est l'incontournable
atome déjà prévu il y a 2400 ans par la pensée
des Grecs dont il était un argument logique plus que mathématique.
Puisque, en levant les yeux on plongeait dans l'infiniment grand, il devait
exister à l'autre bout de l'échelle un infiniment petit.
De sorte que depuis Démocrite
l'atome, l'insécable, l'indivisible, garda son intégrité.
Et puis vinrent pour lui les jours de malheur. On se mit à la disséquer,
à l'autopsier, à le mutiler en morceaux de plus en plus petits
jusqu'à ce souffle infime qu'on dénomma quark comme s'il
jaillissait du chapeau d'un magicien.
Entre l'atome et le quark, les savants
montrent du doigt une bonne centaine de particules subélémentaires
qui valent bien la peine de vous être présentées, au
moins pour quelques unes. Elles ont nom neutrinos, axions, photinos, higgsinos,
purgons, maximons, newtorites... etc etc. Et le plus beau de l'affaire
c'est qu'elles n'existent, en dehors du neutrino, que dans les calculs
et dans le cerveau des physiciens.
Va te cacher, Socrate, toi qui affirmais
que tous les problèmes doivent se résoudre par la réflexion.
Quoi qu'il en soit, la brique de
l'Univers, l'atome, est si infime qu'on peut en ranger 10 millions sur
un millimètre. Il y en a 1 million de milliards de milliards dans
un centimètre cube d'eau . Calculez si vous le pouvez ce que cela
représente à l'échelle du soleil, cette modeste boule
de 600 000 kilomètres de diamètre. Entre parenthèse
cela explique que le soleil puisse rayonner chaque seconde en énergie
4 millions de tonnes de matière sans en être incommodé
le moins du monde.
Si vous voulez une représentation
plus pratique imaginez un ballon de football (le noyau de l'atome) au milieu
de la place de la Concorde à Paris et des billes (les électrons)
tournoyant autour à 100 mètres de là, les uns et les
autres étant soudés par les rayonnements qu'ils émettent.
Séverine s'est inquiétée
"quoi, l'atome, le matériau de l'Univers, l'unique élément
des mondes, la brique de toute matière, n'est-il que du vide ?".
Oui mais ce n'est pas un vide ordinaire où il n'y aurait rien, c'est
un vide où des myriades de particules chargées d'énergie
se croisent, s'attirent et se repoussent à des distances phénoménales,
produisant des interactions variées, des champs magnétiques
si puissants qu'il en résulte un ensemble d'une cohésion
formidable. Quand on touche un bloc de granit on imagine difficilement
le vide électromagnétique où baignent les particules.
Pourtant, si solide qu'il soit,
l'atome peut subir des mutilations dans le nombre de ses électrons,
ou, plus grave, dans son nucléon (protons, neutrons). Un seul proton
arraché d'un noyau de mercure transformera, transmutera ce noyau
de mercure en noyau d'or. De quoi faire rêver tous les alchimistes
de la terre (il y en a encore) qui cherchent depuis Synésius la
réalisation du Grand Oeuvre, la "poudre de projection" ou l'or philosophal.
Il est d'ailleurs troublant de penser que les alchimistes du Pharaon travaillaient
déjà sur le mercure, le corps le plus voisin de l'or, à
un proton près... comme s'ils savaient. D'autre part si, par suite
d'une excitation quelconque, du choc avec une autre particule, par exemple,
l'électron est arraché provisoirement de sa trajectoire familière,
il regagnera sa place dès que possible. Mais il ne pourra le faire
qu'en se débarrassant de l'énergie perturbatrice qu'il avait
emmagasinée. Il émettra alors un rayonnement sous la forme
d'un jet de lumière, le photon.
Tout cela est d'ailleurs moins mystérieux
qu'on ne le pense, il n'y a qu'à contempler les éclairages
publicitaires où la danse des photons dans un tube d'hydrogène
à basse pression s'épanouit en une superbe lumière
rouge.
Pour en finir (provisoirement) avec
cette question du vide qui hanta l'esprit du sage silencieux des Sakyas,
Bouddha, revoyons d'autres nombres gigantesquement petits qui ajouteront
encore à notre modestie et enrichiront l'inventaire de nos connaissances:
les cellules, qui ne dépassent pas le centième de millimètre,
comptent des milliards de molécules qui renferment chacune des milliers
d'atomes. Ces atomes sont constitués eux-mêmes de vibrations
d'énergie à l'échelle du 10 millionième de
millimètre. Le noyau est à l'échelle du 100 milliardième
de millimètre. On est bien obligé de conclure que la Vie
avec ses joies et ses souffrances, débouche incompréhensiblement
sur le vide. Et c'est le moment d'évoquer une stance célèbre
du Bradhatamsaka: "Tout ce que l'homme tient pour réel est comparable
à une étoile, à la flamme d'une lampe, à une
bulle d'eau, à un rêve, à un éclair, à
un nuage".
Les secrets du Grand Sorcier
Devenus par la force de leur intelligence
les trublions de l'Univers, les hommes de science passent leur temps à
regarder par le trou de la serrure du laboratoire du Grand Sorcier, le
Cosmos-Dieu, pour saisir les secrets qui voltigent entre les cornues. Chaque
fois qu'ils y parviennent ils en font une loi inscrite au livre de la Vie.
Il peut paraître fastidieux mais il n'est pas inintéressant
d'en dresser un tableau rapide puisque c'est l'inventaire même des
connaissances humaines:
- Loi de Penrose sur la contraction
de la matière.
- Loi de Planck fondant la mécanique
quantique de l'infiniment petit.
- Loi de Bohr sur la position des
électrons autour du noyau.
- Loi de Gell-Mann sur les quarks.
- Loi d'exclusion de Pauli (deux
particules semblables ne peuvent occuper ensemble la même position).
- Loi de Dirac sur l'électron
et son double.
- Loi de la densité quarks-antiquarks
à la naissance de l'Univers.
- Loi de Chandrasekhar sur la formation
des trous noirs.
- Lois fondamentales établissant
la taille, la charge électrique et le rapport des masses du proton
et de l'électron. (la plus infime modification de ces valeurs aurait
condamné les étoiles à ne pas brûler et par
conséquent à ne servir à rien, même pas aux
lampes électriques de Séverine).
- Choix du taux d'expansion initial
au moment du Big-Bang pour éviter tout effondrement qui aurait ramené
l'Univers au point zéro dans les plus brefs délais.
Inventaire non exhaustif que les
savants, qui se relaient devant le trou de la serrure, s'emploient activement
à enrichir.
Il me vient une idée saugrenue
comme les aime Séverine. Si l'on peut voir dans le laboratoire,
entre les creusets et les cornues, c'est que le Grand Sorcier le veut bien,
c'est qu'il n'a pas volontairement voilé le trou de la serrure pour
ne pas désespérer les savants. De fait chaque bribe de vérité
surprise dans le clair obscur des alambics est saluée comme une
victoire et couronnée du Prix Nobel, la plus haute instance du tribunal
de l'intelligence.
Aujourd'hui on s'occupe fiévreusement
des "singularités" de l'espace, les "trous noirs" qui proviennent
de l'effondrement d'une étoile massive. Il y a des modes dans la
vie intellectuelle des savants. L'un d'entre eux, le plus grand peut-être,
Stephen Hawking, successeur de Newton, vient de semer la perturbation en
estimant que les trous noirs n'étaient pas si noirs que cela, qu'ils
rayonnaient même de l'énergie et pourraient, à condition
de savoir s'y prendre, servir de centrale nucléaire à la
Terre. Il reconnaissait toutefois que ça n'était pas pour
demain et que, de toute façon, on n'avait pas les moyens financiers
pour le faire.
Du coup l'attention de ceux qui
pensent - et Dieu sait s'il y en a - est focalisée sur les singularités
de l'espace désignées sous le nom de trous noirs. Ce terme
me paraît si laid que je propose de lui substituer celui de "Soleils
noirs" beaucoup plus poétique et pas mieux adapté.
- Qu'est-ce qu'un Soleil noir?C'est
une longue et passionnante histoire.
Séverine sait que les perles
sont plus ou moins grosses ou plus ou moins petites. Les perles qui brillent
dans le ciel nocturne sont aussi de tailles diverses et certaines, les
énormes, brûlent la chandelle par les deux bouts.
Elles consomment leur réserve
d'hydrogène avec une voracité en rapport avec leur grosseur.
Une étoile moyenne comme notre Soleil, vivra en tout 10 milliards
d'années (le Soleil est juste au milieu de sa vie). Une étoile0
100, 1000, ou 100.000 fois plus grosse ne vivra que quelques millions d'années.
Quand elle aura épuisé
son hydrogène, son hélium, son carbone, elle s'effondrera
sur elle-même jusqu'à devenir une "naine blanche" avec un
rayon de quelques milliers de kilomètres et une densité atteignant
la centaine de tonnes au centimètre cube. L'un de ces astres moribonds
tourne autour de Sirius, le joyau de nos nuits.
Les soleils noirs
Si la naine blanche poursuit son
effondrement elle produira une étoile de neutrons, d'un rayon de
10 kilomètres et d'une densité de plusieurs centaines de
millions de tonnes au centimètre cube. Puis le champ gravitationnel
à sa surface deviendra si intense qu'aucune matière ne pourra
plus s'en échapper. Comme la lumière est de nature autant
corpusculaire qu'ondulatoire, elle sera piégée, elle aussi,
et l'objet céleste disparaîtra à jamais comme dans
une trappe intérieure. C'est ce que les astronomes appellent la
"censure cosmique".
Il est possible d'ailleurs que les
cataclysmes qui se produisent au centre des galaxies, là où
les étoiles sont tassées les unes contre les autres, engendrent
de ces Soleils noirs dont la fonction cannibale serait de dévorer
les astres imprudents, avec leurs planètes, attirés par eux.
Certaines équations de la
Relativité généralisée d'Einstein semblent
envisager qu'il y ait dans les trous noirs des "trous de vers" qui permettraient
aux astronautes imprudents de ressortir dans une autre région de
l'Univers. Mais ceci est de la super science-fiction permettant de donner
droit de cité aux fameux OVNI.
Il faut voir la jubilation des astro-mathématiciens
quand ils mesurent, soupèsent, parlent des Soleils Noirs. Ils alignent
des pages d'équations truffées d'intégrales pour savoir
s'ils sont ronds, s'ils tournent sur eux-mêmes, quelle est leur densité,
leur âge, s'ils sont chevelus ou lisses, s'ils ont un horizon, s'ils
peuvent s'effondrer encore davantage, s'ils rayonnent de l'énergie...
- "Et ça veut dire quoi ?"
a demandé Séverine.
Cela veut dire beaucoup de choses.
Les équations de nos savants n'évoquent rien, en effet, pour
le commun des mortels, heureusement, car elles préfigurent l'avenir
qui sera peut-être un jour le nôtre, quand les temps seront
révolus, l'image lointaine de la catastrophe où sera engloutie
toute matière.
Partis d'un Big-Bang il y a 15 milliards
d'années, il est vraisemblable que l'Univers finira par un Big-Back
dans 10 puissance 30 milliards d'années. A cette date en effet tous
les protons, support de la matière, se seront transformés
en rayonnement. L'Univers sera retourné au zéro de sa naissance.
Mais nous avons le temps d'y penser.
- Alors ça n'est pas la peine
de nous faire du souci!, a dit Séverine.
Semer les atomes de la Vie
Toutes les étoiles ne finissent
pas en Soleils noirs. Certaines, les plus massives, sont désignées
pour le plus fantastique des feux d'artifice. Elles explosent, tout simplement
comme un gigantesque pétard en une fraction de seconde. Le cur
de l'astre n'est plus constitué que par un noyau de fer de quelques
kilomètres de diamètre sous une densité de 10 tonnes
au millimètre cube. L'agitation de l'objet devient vertigineuse,
la masse rebondit sur le noyau de fer et c'est la dislocation titanesque,
lumineuse comme un milliard de soleils. C'est la supernova.
Justement en l'an de grâce
1054 une supernova illumina le ciel de Chine. L'astronome-astrologue de
l'Empereur rendit compte aussitôt à son souverain de cet événement
considérable, expliquant que l'étoile était venue
spécialement pour annoncer des récoltes abondantes. Il y
eut grandes réjouissances dans le céleste empire, puis l'éclat
de l'astre pâlit et disparut. La chronique n'a pas révélé
si les récoltes avaient comblé les espérances.
Cependant l'implosion d'une supernova
n'est pas un incident mineur dans l'immensité de l'espace. Il répond
à une stratégie particulière du Grand Sorcier. On
sait aujourd'hui que le Big-Bang, dans son extrême brutalité,
n'avait pas permis la fabrication d'atomes lourds. Or ces atomes lourds
sont nécessaires pour que l'Oeuvre s'accomplisse, pour que les phénomènes
cosmiques deviennent de plus en plus complexes pour aboutir enfin à
la Vie et à l'Intelligence. De sorte que l'implosion d'une supernova
rejette bienheureusement dans l'espace tous les atomes lourds qui manquaient
et qu'elle a forgés au cours de sa nucléosynthèse.
Si des supernovae explosent, ce
n'est pas pour réjouir l'astronome de l'Empereur de Chine, ou tous
les autres astronomes (il y eut les mêmes phénomènes
en 1572, en 1604 et le 24 février 1987) c'est parce qu'il le faut,
c'est parce que cela correspond à la nécessité d'ensemencer
les champs où vont pousser les futures étoiles... pour que
vous puissiez un jour vous poser la question et comprendre que le Grand
Sorcier n'avait rien oublié. Encore une loi que nous devrons ajouter
aux autres.
La masse cachée
Pour en finir avec nos Soleils noirs,
leur détection et leur prospection n'est pas uniquement fantaisie
de savants. Leur connaissance correspond au souci de mesurer la "masse
cachée" qui représente 80 à 90 % de l'Univers connu.
En effet si la densité de l'Univers est supérieure à
3 atomes par mètre cube, l'Univers pourrait être "fermé",
c'est-à-dire que la gravité l'obligerait un jour à
stopper son expansion et à commencer une récession qui le
reconduirait au point zéro.
Autrement dit les calculs établissent
"indiscutablement" que les galaxies s'arrêteront un jour de fuir;
qu'elles se regrouperont et prendront le chemin de la contraction. C'est
la théorie de la Relativité généralisée
qui l'affirme. Et Stephen Hawking, nageant dans ses équations comme
un poisson dans l'eau, remarque avec humour que les êtres revivront
les évènements passés qui seront devenus les évènements
de l'avenir... à moins qu'ils ne vivent leur vie à l'envers,
commençant par la vieillesse pour finir à la naissance. J'envierai
alors mes descendants lointains.
Mais la théorie ne s'arrête
pas en si bon chemin, elle prédit que le point zéro sera
le départ d'une nouvelle aventure en tous points semblable à
la précédente. Les leptons, hadrons et autres quarks musclés
commenceront leur écrasement, la température montera à
des centaines de milliards de degrés et ce sera un nouveau Big-Bang
projetant la matière dans tous les azimuths... afin que 15 milliards
d'années plus tard, sur certaines planètes privilégiées,
des "quantités négligeables" se posent des questions et regardent
par le trou de la serrure du Grand Sorcier.
J'aime assez cette vision des choses
qui correspond à mon tempérament et à celui de Bouddha
(excusez-moi) dans l'excellent résumé qu'en donne André
Barreau: élément permanent, immuable, éternel dans
les êtres ni dans les choses. Tout n'est qu'ensemble de phénomènes
physiques, biologiques ou psychiques en perpétuelle transformation.
l'Univers lui-même n'échappe pas à cette loi car il
se crée lentement, se stabilise, se détruit puis disparaît
dans un gigantesque cataclysme pour se recréer ensuite spontanément,
et ainsi de suite tout au long du temps, lequel est aussi éternel
que l'espace est infini".
J'ai horreur des gens qui se prennent
au sérieux. Cela prouve d'abord qu'ils manquent d'intelligence.
Heureusement Stéphen Hawking n'est pas de ceux-là. Spécialiste
des trous noirs, celui qu'on appelle le mort vivant, celui qui n'est plus
qu'une tête pensante ne pouvant s'exprimer que par ordinateur, a
passé sa vie à les étudier. Pourtant il écrit
sans fausse modestie "j'ai beaucoup travaillé sur les trous noirs
et tout sera balayé s'ils se confirme que les trous noirs n'existent
pas !" Etonnant, non?
Car les singularités de l'espace
ne font pas l'unanimité dans le monde scientifique. Eddington, autre
grand, l'un des trois spécialistes à maîtriser la théorie
de la Relativité généralisée, nie tout sec
la réalité des trous noirs!
- Qui faut-il croire? m'a demandé
Séverine.
L'apparition de la vie
Toutes les pulsations de l'Univers
battent dans le cur des vivants.
"Sophia, la sagesse, ultime émanation
d'un être suprême pur esprit et tout de lumière, s'éprit
un jour de la matière. Elle engendra à l'insu de son père
un être qui, à son tour, créa le monde où nous
vivons" (Légende de l'Egypte ancienne)
La Vie, résultat d'une foule
d'opérations électriques, physiques et chimiques, repose,
en dernier ressort, sur des échanges d'électrons.
Le Grand Sorcier, ou le Subtil Ingénieur,
comme l'appelle Rémy Chauvin, a jeté dans sa marmite six
éléments principaux: le soufre, le chlore et le phosphore
pour fournir les électrons, le sodium, le potassium et le magnésium
pour les recevoir, des molécules hautement spécialisées
intervenant à des moments précis, le tout saupoudré
d'hydrogène, d'oxygène, de carbone et d'azote, soit une trentaine
d'éléments qui cuisent à feu doux. A feu doux n'est
d'ailleurs pas le mot qui convient pour caractériser le début
d'une Vie si triomphante qu'elle en oublie ses origines. On ne peut qu'imaginer,
dans les vagissements de la jeune Terre, les minuscules formations ballottées
par les vagues géantes d'un océan à peine refroidi,
frappées par le vent et la foudre, luttant désespérément
contre la dilution et trouvant quand même la force de construire
autour d'elles une membrane protectrice, embryon d'une cellule vivante,
c'est-à-dire du plus extraordinaire laboratoire qui se soit installé
sous le soleil.
Car l'existence est une immense,
persistante, angoissante quête de l'énergie pour vivre, survivre
et se reproduire. Capter des électrons ou mourir faute d'en avoir
trouvé. Aucune autre alternative.
A ce stade ultra primitif, les gouttelettes
ne disposaient encore d'aucun moyen chimique, d'aucune machinerie leur
permettant de synthétiser, c'est-à-dire de fabriquer les
éléments nutritifs dont elles avaient besoin. En suspension
dans le bouillon de culture ou collées au fond à la recherche
d'un abri, elles dépendaient étroitement de l'environnement.
Lorsque le milieu ambiant contenait
suffisamment de matières énergétiques directement
assimilables comme les phosphates, ces gouttelettes s'en nourrissaient
et en prospéraient jusqu'à donner naissance à une
gouttelette fille. Elles bornaient alors leur ambition à recevoir
ce que le destin leur envoyait et à chercher refuge contre l'hostilité
des éléments.
Les argiles, précisément,
et surtout les micas, par leur formation en feuillets silicatés,
leurs nombreuses charges électriques, offraient ce bastion idéal
où les gouttelettes pouvaient se concentrer et fabriquer les acides
aminés dont allait dépendre l'édifice complexe de
la matière vivante.
Puis ces organismes primitifs proliférèrent
à tel point que se posa le problème des ressources. Alors
apparut un autre procédé permettant de trouver cette énergie
si nécessaire: la photosynthèse grâce à laquelle
les organismes vivants capturent le rayonnement solaire pour fabriquer
les molécules de la Vie. Cette photosynthèse utilisa d'abord
l'hydrogène sulfuré puis tout simplement l'eau dont les ressources
étaient inépuisables.
L'opération merveilleuse
L'opération électrochimique
de la photosynthèse mérite qu'on s'y arrête une seconde
car elle représente un sommet de l'intelligence de la nature.
La molécule de chlorophylle
se présente sous la forme d'une pince tenant entre ses bras un atome
de magnésium. Lorsqu'un photon lumineux touche l'extrémité
d'un bras il libère un électron puis saute sur l'autre bras,
créant ainsi le courant électrique qui va casser la molécule
d'eau.
Et l'opération merveilleuse
se reproduira des milliards et des milliards de fois, toujours aussi simple
et efficace. C'est la perfection qui ridiculise nos machines les plus sophistiquées.
Casser les molécules grâce aux rayons solaires pour les combiner
au gaz carbonique et fabriquer ainsi des sucres, éléments
énergétiques de base en libérant de l'oxygène
qui s'échappe dans l'atmosphère.
Ainsi des populations de cellules,
aux quatre coins de la Terre, dans le ciel, sous les eaux, dans les roches,
poursuivaient la solution du problème qui accompagnera la Vie jusqu'à
la fin des temps: résister à la destruction et transmettre
la Vie. La plupart des essais ne subsistèrent que le temps d'un
éclair. D'autres allèrent un peu plus loin et un autre problème,
le troisième, aussi gigantesque que les deux premiers, se posa avec
une acuité sans cesse grandissante: comment garder les essais victorieux,
c'est-à-dire les formes qui ont résisté aux agressions
du milieu et comment les transmettre aux descendants? En d'autres termes,
comment assurer la reproduction fidèle des cellules qui ont pu survivre
parce qu'elles étaient le mieux adaptées.
Un milliard d'années après
la formation du globe les cellules sans noyau prolifèrent. Partout
leurs cohortes victorieuses s'organisèrent, modifiant de fond en
comble les conditions qui avaient permis l'éclosion de la Vie. La
respiration chlorophyllienne entoura peu à peu la Terre d'une couche
d'ozone. La troisième phase de l'évolution des cellules vers
une organisation plus efficace allait commencer.
La cellule vivante, petite
bête intelligente
Si l'apparition de la Vie sur terre
s'est faite en un temps record il en fallut cinq fois plus pour passer
de la phase élémentaire des cellules sans noyau au merveilleux
laboratoire des cellules à noyau. Près de deux milliards
d'années de tâtonnements pour fabriquer et mettre au point
la machinerie qui confond aujourd'hui notre imagination.
De quoi s'agit-il? De copier les
formations d'acides aminés qui, en survivant, ont démontré
leur efficacité. Mais, reproduire fidèlement ces molécules
musclées pour en doter les cellules filles est un problème
considérable qui suppose un appareillage technique parfaitement
au point pour éviter la moindre erreur aux conséquences incalculables.
Il faut d'abord disposer de la matière
première dont sont composées ces molécules. Il faut
ensuite trouver l'énergie qui permettra la mise en marche et le
fonctionnement de tous les rouages. Il faut, après, disposer d'un
photocopieur qui prendra l'image et l'empreinte des éléments
à reproduire. Il faut encore disposer d'un atelier d'assemblage
où ces éléments seront construits, puis les transporter
à la place exacte qu'ils doivent occuper dans les chaînes
de protéines et les rubans d'acides nucléiques. Il faut ensuite
des ouvriers qualifiés, des chimistes, des ajusteurs, des dessinateurs,
des électroniciens, des conducteurs... qui travailleront sans relâche,
en complète intelligence, connaissant parfaitement les gestes qu'ils
doivent accomplir, quand ils doivent les accomplir (l'horloge moléculaire)
et l'endroit où ils seront accomplis.
Ceci pour réaliser la chaîne
qui vient du Cosmos et aboutit au vivant.
Non cette histoire n'est pas un
conte de fée. Elle ne doit rien à Merlin l'enchanteur et
si les termes employés, les images proposées, semblent appartenir
à l'aimable fiction, c'est pourtant la traduction, populaire mais
scrupuleuse, de ce qui se passe dans le tréfonds de la matière
vivante.
Ajustons tout de même notre
microscope, car nous débouchons sur la troisième conquête
de la vie: la transmission héréditaire.
Dans les cellules que nous connaissons
aujourd'hui, la mémoire de l'hérédité repose
sur deux brins d'A.D.N. (Acide Desoxyribonucléique) complémentaires
l'un de l'autre, enfermés dans un noyau. Les deux brins, torsadés
l'un autour de l'autre (la double hélice), comportent exactement
les mêmes éléments, de sorte que, quand ils se sépareront
pour former deux cellules distinctes, le même programme passera dans
les cellules filles.
Le partage du travail
Les brins d'acides nucléiques,
les A.D.N. ne pouvaient pas tout faire, stocker l'information et réaliser
des copies de cette information. D'autres molécules s'en chargèrent.
La copie de la molécule à
reproduire est portée dans de véritables ateliers d'assemblage,
les ribosomes, par les soins diligents d'un A.R.N. messager (Acide RiboNucléique).
Le ribosome se charge de construire en vrai la copie apportée par
le messager. Il y a 20 catégories d'acides aminés dont chacune
possède une forme caractéristique que le ribosome respecte
rigoureusement et qui permettra l'appariement ultérieur. La construction
achevée, un A.R.N. de transfert la porte à la place qu'elle
doit occuper. Et les mêmes opérations se reproduisent jusqu'au
terme fixé par le maître d'uvre, le brin d'A.D.N., qui possède
tout le programme à exécuter.
Vu de plus près, l'A.D.N.
est constitué par une agglomération de grains particuliers,
les gènes, fixés sur des supports, les chromosomes, qui sont
la mémoire et le commandement suprême des opérations
cellulaires.
Ajoutons que l'énergie nécessaire
à tout cela est fournie par des usines miniatures de production
d'électricité, les mitocondries, grâce à des
phénomènes d'oxydoréduction.
L'imagination, autant que l'intelligence,
restent confondues par cette ingéniosité qui, d'échecs
en réussites, a conduit les gouttelettes primitives aux organismes
actuels. Savoir qui a précédé l'autre, des acides
aminés, des enzymes ou des acides nucléiques, est le problème
de l'uf et de la poule! La nature a suivi, ici comme ailleurs, sa méthode
habituelle, allant du simple au composé, des acides aminés
dont elle connaissait déjà la fiabilité, aux éléments
complexes qui suivirent peu à peu.
Ingéniosité, technique,
science... aucun terme n'approche la vérité. Le Russe Oparine,
père incontesté et respecté des recherches sur l'origine
de la vie, observant les gouttelettes primitives dans son laboratoire de
Moscou, disait: "Regardez bien, voilà d'où nous venons".
En fait, les plus austères
savants, les moins vitalistes, sont obligés de parler d'information,
de copie, de débrouillage conceptuel, de contrôle, de code,
de lecture, de transcription, de déchiffrage, de traduction, comme
on parlerait des opérations intellectuelles d'un être vivant.
Car c'est bien d'un code génétique qu'il s'agit, c'est-à-dire
d'un ensemble de règles, d'un système de symboles permettant
de construire un langage. Dans la cellule vivante, l'information, la somme
de toutes les expériences antérieures, les "modèles
de survie", et la volonté de les reproduire, se retrouvent dans
les bourrelets microscopiques composant les brins torsadés d'A.D.N.:
les gènes. La lecture en est faite par les A.R.N., messagers le
long de ces brins et, lorsque la construction est achevée, les deux
brins se séparent. La cellule peut alors se scinder en deux pour
que le cycle continue.
L'horloge moléculaire
Aussi bien l'étonnement ressenti
devant de telles merveilles se mue en stupéfaction quand on se rend
compte que chacune des cellules qui composent le corps entier (il y en
a des centaines de milliards dans celui des animaux supérieurs)
renferme dans ses brins torsadés d'A.D.N., tout le programme du
développement complet de l'être considéré.
Cela veut dire que chaque cellule
possède le plan précis et détaillé des constructions
que devront réaliser toutes les cellules. Chaque cellule renferme
tous les plans des autres cellules et sait par conséquent ce que
doivent faire toutes les autres cellules. Cela veut dire aussi qu'un certain
nombre seulement de gènes fonctionnent dans chaque cellule et ne
fabriquent que ce qui concerne la cellule en question. Les autres gènes
sortent de leur inaction seulement quand la nécessité d'exécution
du programme l'impose.
Comme les gènes se sont constitués
au cours de milliards d'années, les cellules gardent fidèlement
l'échelonnement de leur construction au cours du temps, dans une
horloge moléculaire dont la mémoire ne se trompe jamais.
Les gènes, gardiens du programme, ne déclencheront les opérations
successives que dans le strict respect de l'horloge moléculaire
en se rappelant le moindre détail de leur construction passée.
Un code pour tous les vivants
Une série de conclusions
s'imposent. Tout d'abord l'association acides nucléiques-acides
aminés constitue, comme disent les spécialistes, le dogme
impérial de la biologie. Rien de vivant ne peut exister en son absence.
En second lieu, le code génétique
est le même pour toute la matière vivante, qu'il s'agisse
d'une bactérie, d'une algue bleue ou de l'Homme. L'universalité
du code génétique est la découverte la plus impressionnante
de la biologie contemporaine. C'est la preuve irréfutable que les
vivants, dans leur totalité, quelles que soient aujourd'hui leurs
dissemblances, de l'humble mousse à l'humanité triomphante,
viennent d'un ancêtre commun.
N'importe quelle cellule de n'importe
quel être vivant comprend le message transmis par un A.R.N. messager,
quelle que soit son origine et se met à fabriquer sans erreur la
chaîne des protéines définie par le message.
A ce niveau de la matière
vivante il n'y a plus, ou il n'y a pas encore, d'espèces différenciées.
Les A.R.N. de transfert et les enzymes d'une bactérie fabriquent
rigoureusement l'hémoglobine d'un mammifère après
avoir reçu et interprété les A.R.N. messagers de ce
mammifère.
Code génétique universel,
ancêtre commun, conclusions aussi graves qu'émouvantes. Dans
la famille des vivants il n'y a pas de droit d'aînesse. En tout cas
cette immense notion du code génétique universel devrait
rapprocher les hommes de la nature.
Tous les êtres vivants sans
exception sont embarqués sur la même galère avec les
mêmes impératifs et les mêmes difficultés. Notion
d'une communauté complète d'origine, de servitudes et de
moyens qui doivent engendrer compréhension et respect entre les
membres de cette communauté. Toute vie, si humble et effacée
soit-elle, végétale ou animale, doit être respectée,
protégée.
"Si je comprends bien", a
observé Séverine, je suis la cousine de cette primevère,
de cette fourmi, du petit rouge-gorge et du grand saule à qui je
raconte mes chagrins?
Exactement, nous sommes tous parents,
nous sommes tous liés par la même chaîne mais seuls
les êtres sensibles peuvent s'en rendre compte.
Hasard et nécessité
Nécessité, oui. Hasard,
non. L'évolution a été trop rapide, trop subtile,
trop rusée pour avoir réussi grâce au seul hasard.
L'intelligence de la nature est trop parfaite pour s'être inventée
elle-même. On sent derrière tout cela une volonté qui
puise ses racines dans une réalité supérieure et antérieure
à la matière.
La cellule est donc la brique fondamentale
de tous les êtres vivants. Notre corps en contient cent mille milliards
comportant 200 variétés. Leurs dimensions sont de plusieurs
microns (millième de millimètre). Une cellule contient mille
milliards d'atomes.
L'intelligence cellulaire
Aucune démonstration n'est
plus évidente que celle du triton amputé d'une patte arrière.
Si on lui greffe un blastème (bourgeon) de patte avant, ce bourgeon
devient une patte arrière. Le même bourgeon devient une queue
si on le greffe à la place de celle-ci. Quel est donc le secret
de l'assemblage des molécules entre elles, car c'est bien d'un assemblage
qu'il s'agit, exactement comme dans un jeu de construction.
A la surface des cellules, des molécules
dites d'adhérence, ont des formes particulières qui leur
permettent de se lier à d'autres cellules dont les molécules
superficielles présentent les mêmes formes. En plus de cette
liaison entre deux cellules voisines, des protéines de "fixation"
jouent le rôle de véritable harpons et d'autres molécules
de "jonction", agissant à plus longue portée, structurent
des groupes de cellules.
Alors? Hasard? Intelligence? Gageons
que ce hasard a bien peu de part dans cette intelligence. Spinoza donnait
à la matière une vie indépendante. Bergson ne pouvait
expliquer ces phénomènes qu'en admettant qu'un large courant
de conscience avait pénétré la matière dès
son origine.
Les cellules nerveuses (les
neurones)
Il y a dans le corps, comme partout
ailleurs, des nobles et des roturiers. Les cellules nobles sont les cellules
nerveuses, les autres sont les roturières; mais il est inutile d'ajouter
qu'elles sont aussi nécessaires les unes que les autres.
Dans chaque cerveau on trouve 10
milliards de neurones comportant chacun 10 000 connexions. C'est dire qu'on
n'est pas prêt, heureusement, de fabriquer un humanoïde robotique,
sauf au cinéma.
C'est dans ce domaine qu'apparaît
le plus visiblement la conjonction matière-électrons. Chaque
cellule nerveuse est une minuscule pile au sodium fournissant une énergie
de 70 millivolts ce qui est infime à l'échelle de la cellule,
mais représenterait à notre échelle une force de 100
000 volts par centimètre carré.
Notons que la myriade de petits
générateurs munis de leurs câbles transmetteurs se
commandent mutuellement. Au ralenti les pompes fonctionnent juste pour
maintenir une faible tension uniforme. Lorsque l'activité cérébrale
sollicite cette poussière d'usines, une rapide ouverture à
la naissance de l'axone (prolongement du neurone) laisse passer l'influx
nerveux en moins d'un millième de seconde. De proche en proche l'influx
nerveux parcourt les 100 centimètres qui représentent le
câble électrique de l'homme.
Pensons que les 100 milliards d'axones
sont excités ensemble et réalisent l'extraordinaire performance
d'adapter chaque fois leur régime au message qu'ils transmettent.
Grâce à ce dispositif l'influx nerveux cheminera à
la vitesse de 100 mètres seconde et permettra une réponse
réflexe instantanée à la sensation reçue. Tout
ceci grâce à une molécule lubrifiante, véritable
huile du moteur, stockée dans des vésicules que l'influx
crève à chaque passage.
De pareils miracles se réalisent
en permanence dans cette boîte osseuse qui contient 1400 centimètres
cube d'une substance gluante, la cervelle, reflet poignant de l'Univers.
Mais ce n'est pas tout. Ecoutez
encore. Un neurone excité peut développer plusieurs dizaines
de milliardièmes de watt, ce qui devient considérable si
l'on tient compte du nombre énorme de neurones concernés
en même temps. De sorte que si nos yeux de myopes pouvaient plonger
assez profondément dans la matière cérébrale,
nous verrions qu'à certains moments, et sans aucune métaphore
poétique, le cerveau s'illumine!
- C'est peu-être ça,
l'auréole des saints que nous montre notre livre de catéchisme!
m'a dit Séverine.
La vie venue d'ailleurs
Jusqu'à une époque
récente on pensait que la Vie était un pur et unique produit
de notre vieille Terre. En 1953, après avoir regardé avec
succès par le trou de la serrure, deux chercheurs, Miller et Hurey,
voulurent jouer au Grand Sorcier. Ils mirent dans leur cornue un mélange
d'ammoniaque, de méthane, d'hydrogène et d'eau, composition
supposée de l'atmosphère primitive. Soumis à des décharges
électriques qui voulaient reproduire les orages de la naissance,
le mélange prit peu à peu une teinte brunâtre et les
deux savants recueillirent enfin des molécules prébiotiques,
c'est-à-dire la Vie dans ses premiers balbutiements.
La preuve par 9 était ainsi
rapportée et le dossier aurait pu se clore sur ces bonnes expériences
quand, très rapidement, des nouvelles venues du ciel remirent tout
en question. L'il de plus en plus aigu des astrophysiciens décela
des choses étranges dans les plaines galactiques. On trouva d'abord
un précurseur des sucres dans la comète de Halley. Puis dans
la météorite d'Orgueil on distingua des corpuscules assimilables
à certains organismes unicellulaires terrestres comme les algues,
mais qui ne correspondaient à aucune espèce connue, posant
l'angoissante question de savoir la forme que pouvait revêtir la
Vie dans d'autres mondes. On trouva aussi de la cellulose dans la nébuleuse
du Trapèze, de la porphyrine (corps voisin de la chlorophylle des
plantes) autour de quelques étoiles. Chaque grain de poussière
d'une comète renferme du carbone, du fer et de l'hydrogène.
Un satellite a détecté dans l'espace des molécules
à 50 atomes de carbone, voisine des sucres de la Terre. Or il tombe
sur notre planète plusieurs tonnes de poussières cosmiques
chaque année.
De là à dire que la
Vie venait d'ailleurs il n'y avait qu'un pas, la théorie de la panspermie
était née.
En réalité, comme
pour la création à deux étages (un Big Bang et une
création permanente) l'origine de la vie organisée semble
relever de deux niveaux complémentaires et non incompatibles: la
chimie organique de la Terre et celle qui nous vient du fond de l'Univers,
lointaine carte de visite des mondes disparus.
Les espaces terrestre et galactique
sont donc gorgés de Vie latente, si bien que certains auteurs ont
parlé justement de "pulsion de vie".
Le monstre des origines
Il y eut tout de même au sein
de cette fabuleuse réussite des cellules vivantes, à l'aurore
même de la Vie, un épouvantable ratage: l'apparition du premier
parasite que la science a dénommé "virus" (poison). Ratage
non pas au niveau de cette cellule puisque les molécules du plus
petit des êtres quasi vivants remplissent leur office qui est de
subsister et de se reproduire, mais au niveau de la finalité générale
de la Vie qui risqua de ne pas aller plus loin.
Ceci illustre d'une manière
saisissante la "stratégie" de la Vie qui agit par essais successifs,
allant du plus simple au plus compliqué. Le virus est en effet constitué
par une tête de protéines enveloppant un cur où se
trouve le filament A.D.N. contenant le message héréditaire.
Pourtant cet être si simple est un redoutable prédateur qui
ne peut survivre qu'en prélevant directement sa nourriture dans
les cellules où il pénètre. Appliquant aveuglément
le message du code génétique, la cellule hôte se met
à fabriquer les constituants de l'envahisseur, puis, vidée
de sa substance, libère une armée de virions qui vont reproduire
alentour la même opération. Destruction d'autant plus absurde
que le virus mourra de la mort de sa victime.
Une seule fois dans l'histoire de
sa première enfance, la Vie s'est trompée, à courte
vue et ne s'en est aperçu que trop tard, le monstre minuscule des
origines était né et rien désormais ne pouvait plus
l'anéantir sauf les barrières immunologiques que le corps
s'est mis à fabriquer.
Un mystère de plus
Les chercheurs ne sont plus à
un mystère près. On a découvert en biologie moléculaire
qu'il existe dans les chaînes A.D.N., gardiennes de l'hérédité,
des "séquences aberrantes" qui ne correspondent à rien, du
moins le semble-t-il. Elles constituent pourtant 40 % de la chaîne.
A quoi servent ces séquences qui n'ont pas de sens? Correspondent-elles
à des essais génétiques auxquels procède l'espèce
dans le secret de la cellule? Préparent-elles sans nous le dire
les mutations du futur, l'être qui émergera dans deux ou trois
millions d'années ?... si l'humanité ne s'est pas suicidée
avant.
Adaptation. Sélection
L'apparition ou plutôt l'explosion
de la Vie organique si vite après la formation de la planète
impose irrémédiablement au départ, nous l'avons dit,
une idée de nécessité, de volonté et de choix,
donc d'indépendance. Le hasard s'est imposé ensuite dans
l'infinie variété de ses composants. Et l'on devine que toute
l'évolution du vivant est dirigée, canalisée par des
contraintes d'une rigueur sans égale qui touchent autant le corps
entier que ses multiples parties. Si deux milliards d'espèces ont
pu vivre plus ou moins longtemps et, pour certaines, survivre jusqu'à
nos jours, il faut en chercher la raison dans deux lois naturelles qui
ne comportent aucune exception: l'adaptation et la sélection.
Adaptation, mot magique, mot de
passe de toutes les sociétés animales ou humaines avec une
correction nécessaire: l'adaptation des êtres élémentaires
est une adaptation directe et profonde de la nature, un effort obscur et
têtu dirigé vers un but précis, alors que l'adaptation
des sociétés humaines est sans cesse modifiée, transformée,
remise en question par le jeu de l'intelligence.
Effort dirigé vers un but
précis, action adaptée à une réalisation déterminée,
c'est exactement la définition de la volonté.
Adaptation, volonté, réactions
de tous ordres d'où sortira d'abord l'intelligence figée
de l'instinct et ensuite l'intelligence mouvante, triomphante, envahissante
de l'esprit humain.
L'adaptation dans les fonctions
élémentaires
Nutrition, reproduction. Se nourrir,
procréer, impératifs catégoriques de la Vie autour
de quoi tout s'est articulé, organisé, construit. L'humble
gouttelette primitive au fond de la mer originelle avait adopté
une solution à son échelle. Les cellules sans noyau avaient
réussi à leur façon et trouvé la solution en
attendant que leurs héritières puissent inventer le chef-d'uvre
mécanique, chimique, physique, électrique de la réplication
génétique, le "ballet divin" des A.R.N. messagers.
Les corps plus ou moins complexes
qui suivirent ne firent pas autre chose. Où l'énigme commence,
où les microscopes se voilent, où la science devient muette,
c'est lorsque le spirituel succède au matériel, lorsque la
pensée jaillit de la matière comme l'eau vive jaillirait
d'un rocher, pour vivre une autre aventure non moins complexe, celle de
la pensée. L'esprit, la force psychique, va transcender la matière
et peut-être pouvoir en dernier lieu se séparer d'elle afin
d'accomplir sa propre vocation.
Les fonctions adaptatives
du corps humain
Evadé d'un monde sans pesanteur
- le milieu marin - à la suite de tribulations variées, l'homme
d'aujourd'hui est tout le contraire d'un poisson, l'eau est à l'intérieur,
constituant un univers aquatique sans lumière, chaud, dans lequel
vivent les milliards de cellules, les tissus et les organes.
Depuis le début, une foule
d'adaptations lentes et successives ont résolu tous les problèmes
de la merveilleuse machine humaine. Ces adaptations concernent naturellement
tous les aspects du corps depuis les cellules de la peau, aplaties, imperméables,
unies comme une immense mosaïque, se reproduisant sans cesse, jusqu'à
celles des systèmes nerveux qui ne se remplacent pas.
Ainsi que pour tous les êtres
vivants les modifications adaptatives ont tourné autour de deux
pôles inévitables: la nutrition et la reproduction. Le corps
est parcouru constamment par un fleuve alimentaire de la bouche à
l'anus, et les opérations complexes qui se déroulent au cours
de ce long circuit ont pour unique raison de reprendre aux aliments les
acides aminés, les protéines qui fournissent l'énergie
nécessaire au fonctionnement de l'usine. Tout ceci au bénéfice
d'un tissu particulier, le sang, démiurge omni présent aux
pouvoirs quasi illimités. 30.000 milliards de globules rouges, 50
milliards de globules blancs, tel apparaît en quantité cet
élément essentiel de la Vie qui garde de ses origines la
composition fondamentale de l'eau de mer. Carte de visite commune à
tous les vivants.
Le sang porte la nourriture sous
forme de molécules assimilables à chaque cellule et remporte
les déchets qui les empoisonneraient promptement. Il est donc le
ravitailleur, l'éboueur et, en plus, le réparateur éventuel
des lésions qu'il rencontre.
Arrêtons-nous une seconde
sur la richesse et l'étendue de ces opérations qui se déroulent
dans le tréfonds de nous-même, dans le secret de notre corps
physique, au-delà de notre conscience, nous apportant "l'obscur
bien-être" du fonctionnement normal de nos organes.
On peut dire du plasma sanguin qu'il
est le matériau universel du corps, reproduisant à son échelle
le miracle de la cellule vivante: il construit le corps, il est construit
par lui. Alors que les globules rouges jouent le rôle de wagonnets
transportant l'oxygène saisi au passage dans les poumons, les globules
blancs, doués d'ubiquité, sont partout, surveillant, mobilisant,
réparant, animant.
Ils possèdent eux aussi,
ces globules infatigables, dont la vocation est la mobilité, dont
la fonction est de courir, de circuler librement, ils possèdent
le pouvoir de se fixer sur un point où des tissus ont été
détruits pour se métamorphoser en tous les éléments
nécessaires à leur reconstruction.
De sorte que le sang se comporte
exactement comme un fleuve qui se mettrait à réparer les
maisons construites sur ses rives alors qu'il est lui-même alimenté
par ces mêmes maisons. Une automobile qui se mettrait à fabriquer
son moteur, son carburant, son chauffeur et ses pièces de rechange.
Un édifice qui inventerait ses maçons, ses briques, son ciment
et ses tuiles.
L'expérience du ruisseau
sanguin est la plus exemplaire qui soit. Si des globules rouges s'échappent
d'une goutte de sang et se mettent à couler, des filaments de fibrine
les canalisent peu à peu, les entourent d'une sorte de tube comparable
au vaisseau sanguin. Des globules blancs interviennent alors sur la surface
du pseudo tube, l'étreignent dans leurs prolongements et le transforment
en vaisseau capillaire doté de cellules contractiles, véritable
segment d'un système circulatoire qui fonctionne aveuglément,
sans cur à irriguer... mais les cellules ont rempli totalement
leur office.
Autre réussite parfaite d'adaptation:
le problème de la pression sanguine. Dans le colossal entrelacement
des vaisseaux dont la perméabilité et la capacité
varient constamment, la pression sanguine doit demeurer la même.
Pour maintenir cette stabilité vitale les artères et les
veines se dilatent et se contractent automatiquement. L'eau contenue dans
le sang se vaporise au niveau des poumons, s'échappe par les reins
ou les glandes sudoripares en plus ou moins grande quantité. Si
le cur droit reçoit un afflux de sang trop important, un réflexe
de l'oreillette droite augmente le rythme cardiaque pendant que l'appareil
circulatoire élimine l'excès de liquide. Dans le cas contraire,
si la pression du sang diminue, un réflexe parti de l'artère
carotide entraîne la contraction des vaisseaux tandis que des liquides
passent par les capillaires et viennent enrichir le système vasculaire
pour y rétablir une pression normale.
L'adaptation pour le renouvellement
de l'organisme par lui-même trouve une illustration saisissante dans
la consolidation des fractures. L'os fracturé, qui a déchiré
des vaisseaux et des muscles, s'entoure rapidement d'une bouillie de fibrine
et de débris divers, enfle pour permettre au sang de circuler plus
vite et de remplir son rôle essentiel en apportant toutes les substances
nutritives qu'il contient. Alors apparaît un phénomène
nouveau, non seulement des tissus se créent spontanément
au gré des besoins mais certains, comme par enchantement, perdent
leur individualité, se transforment sous la pression des nécessités
en quelque chose pour quoi ils n'étaient pas faits. On a vu des
fragments de muscles se métamorphoser en cartilage d'où naîtra
bientôt un os absolument semblable à l'os primitif. Pour réaliser
ces prodiges une somme fantastique d'opérations nerveuses, chimiques,
structurales se sont organisées, superposées, complétées
avec une cohésion parfaite, sans erreur, sans perte de temps, en
dehors de notre système nerveux conscient.
Ainsi le corps physique n'a besoin
de personne pour savoir ce qu'il doit faire, il agit aujourd'hui comme
toujours avec sa propre substance et ses propres ressources. Et pour survivre
dans ce monde sans concession, l'utile est la seule vérité,
la seule voie ouverte vers le salut.
L'expérience de Wolf: ce
savant embryologiste coupa le fémur d'une patte d'embryon de poulet
en soudant la jambe sur la hanche. Quelques jours après l'animal
complet était reconstitué. Si Wolf enlève la patte
et soude directement le pied au fémur, l'organisme reconstruit une
jambe. Toutes les cellules concernées au niveau de la section se
sont modifiées d'elles-mêmes et se sont transformées
selon les besoins de la cause pour que le "plan" soit respecté.
- "Alors, m'a dit Séverine,
les cellules sont des petites bêtes intelligentes".
C'est exactement cela. Mais nous
ne pouvons pas quitter ce domaine sans dire un mot de la lutte fantastique
que livre le corps pour répondre à une agression microbienne
ou virale.
Lorsque des microbes ou des virus
pénètrent dans le milieu intérieur après avoir
percé la peau ou les muqueuses c'est véritablement le branle-bas
de combat, l'état d'urgence dans l'ensemble de l'empire corporel.
Les fonctions organiques vont répondre
à l'invasion de toutes les manières possibles, par la fièvre,
par la production de poison, par des sécrétions particulières,
par la réparation hâtive des lésions, par la fabrication
de substances qui agglutinent les envahisseurs, paralysent leurs mouvements
et permettent à des globules blancs de les dévorer.
L'ordre du jour est naturellement
de stimuler les activités organiques et d'anéantir les bactéries
en empoisonnant le milieu où elles se répandent, mais il
faut bien alors éliminer les victimes de ces combats sans merci.
Les globules blancs, qui ont sécrété les substances
délétères, forment alors des abcès par où
s'écouleront les microbes anéantis ainsi que les défenseurs
sacrifiés. Pour cela d'autres globules blancs fabriquent un ferment
qui va creuser un canal dans les tissus vivants pour ouvrir une voie d'évacuation
du pus vers l'extérieur.
Le corps entier se battra jusqu'au
bout même si l'ennemi l'écrase sous sa multitude, il ne déposera
les armes que si les envahisseurs, hélas, triomphent. Alors les
organes se mettront en équilibre avec leur milieu, ils ne réagiront
plus et l'ultime métamorphose de la vie terrestre s'accomplira dans
ce que le vocabulaire humain appelle la mort.
Alors, est-ce que derrière
tout cela un projet n'est pas en cours? Tout se passe comme si un jour
la Vie s'était échappée du cosmos pour évoluer
à sa guise, follement, superbement, animée par une indomptable
volonté qui ressemble fort à l'Energie fondamentale d'où
elle provient.
Mais si elle s'est échappée
du cosmos c'est que le Dieu-des-origines l'a voulu ainsi. Pourquoi semble-t-il
s'en être désintéressé ensuite? Mystère.
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