Kate et Margaret Fox
Deux gamines espiègles qui mystifièrent le Monde

Kate Fox (1836-1892) et sa sœur Margaret (1833-1892), filles cadettes d'un fermier méthodiste, sont respectivement âgées de 12 et 15 ans lorsque leur famille s'installe dans un cottage de Hydesville, village situé dans l'État de New York (1847).

Comme la plupart des gamines de leur âge étroitement surveillées par leurs parents, elles s'ennuient un peu.

Lorsqu'elles apprennent par des voisines que leur maison avait la réputation d'être hantée et que c'était la raison pour laquelle elle avait été cédée à bas prix par son précédent propriétaire, elles dressent l'oreille.

Ce mystère excita leur imagination plutôt qu'il ne les effraya. Et, lorsque par une nuit d'orage, elles crurent entendre des craquements suspects entre deux coups de tonnerre, elles frissonnèrent d'une crainte délicieuse et s'en amusèrent comme deux petites folles.

Dès lors, elles passèrent une partie de leurs nuits à guetter le silence, à se faire mutuellement peur en suscitant toutes sortes de bruits bizarres, de frôlements, de coups sourds dans les parois de leur chambre.

Comme leur mère, très superstitieuse, semblait accorder foi à leurs phantasmes, les deux gamines en profitèrent pour corser leur fable, sans penser à mal.

Un esprit malicieux

Selon leurs dires, ces bruits étranges devenaient de plus en plus fréquents et de plus en plus sonores et affirmaient avec un bel aplomb qu'elles assistaient parfois à des déplacements d'objets.

Voyant que l'intérêt que leurs récits suscitait tant dans la famille qu'à l'école ne faiblissait pas, elles en rajoutèrent. Les fillettes imaginèrent un diablotin malicieux présidant à toutes ces manifestations et le baptisèrent Pied-Fourchu.

Mme mère, femme simple, crédule et très pieuse, entra dans leur jeu, authentifiant du même coup leurs affabulations.

 

Des amusements devenus monotones

Mais ces amusements devinrent vite un peu trop monotones et routiniers pour les deux diablesses. Dans la nuit du 31 mars de l'année suivante, elles prétendirent que les coups s'étaient brusquement intensifiés.

Le cœur battant, Kate demanda par défi au présumé trublion de répondre à ses questions.

Or à sa plus grande surprise et à celle de sa sœur, l'Esprit, comme l'appelait désormais Mme Fox qui prenait la chose encore plus au sérieux que ses filles, répondit sans se faire prier par une série de coups très distincts qui leur parurent significatifs.

Fascinée, Mme Fox appelée en renfort ordonna au fantôme de compter jusqu'à dix : Pied-Fourchu s'exécuta.

Elle lui demanda s'il était un être humain: silence complet. Il refusa de répondre.

Elle lui demanda alors s'il était un esprit : un craquement sec fut sa réponse.

La rumeur se répand

Les confidences faites par les deux gamines à leurs camarades de classe s'ébruitèrent. La rumeur qu'il se passait des événements insolites dans la demeure des Fox se répandit loin à la ronde attirant chez eux des curieux de plus en plus nombreux.

Les deux adolescentes s'amusent évidemment comme de petites folles et sont ravies de l'intérêt immense suscité par leurs récits.

Très imaginatives, elles inventent chaque semaine de nouvelles méthodes pour communiquer avec leur esprit. L'une d'elles qui connaîtra un succès immédiat résida dans le moyen d'interprêter les raps en attribuant à chaque lettre un nombre selon sa place dans l'alphabet : A pour un coup. B pour 2 coups, C pour 3 coups, etc.

Pied-Fourchu se soumit docilement à ce protocole en produisant en retour des séries de coups correspondant aux lettres de son message.

Le dialogue s'établit

Aussitôt, un passionnant dialogue s'établit d'abord par tâtonnements, avec le fantôme d'un homme qui affirma avoir fréquenté la maison. Le mystérieux inconnu répondait tour à tour aux noms de Charles Ryan, de Charles Haynes puis de Charles B. Rosma ou de Karl Masor ! L'histoire ne dit jamais au juste s'il s'agissait de la même entité.

Par l'intermédiaire de Pied-Fourchu, l'esprit inconnu raconta avoir exercé de son vivant la profession de colporteur et d'avoir engendré cinq enfants. Il assura avoir été assassiné quelques années auparavant et que son corps avait été enterré dans la cave de la maison *.

Mais, les déclarations de l'entité varièrent sensiblement selon les personnes qui l'interrogeaient. Tantôt il affirmait avoir été tué cinq ans auparavant, puis un autre jour, selon son humeur, qu'il y avait beaucoup plus longtemps. Il variait aussi dans la désignation de l'auteur du crime, prétendant selon son humeur, soit avoir été la victime d'un voisin, soit d'un ancien propriétaire de la maison ou encore d'un rôdeur. L'état civil du colporteur n'a donc jamais été identifié avec certitude.

* Quelques années plus tard, on retrouva effectivement un squelette sous un des murs de la demeure, dégageant en même temps, auprès de lui, une boîte de colporteur, que l'on conserve précieusement à Lilydale, quartier général du mouvement «spiritualiste» américain. Mais cette péripétie fut à son tour démentie.

Grand guignol


Cela tournait au grand guignol et cette histoire d'assassinat, dont à l'époque les preuves étaient loin d'être fondées, jeta le discrédit sur la famille Fox qui fut mise à l'index par la communauté méthodiste.

Par ailleurs, Leah, épouse Fish, leur aînée de vingt-trois ans, était profondément vénale et dévorée d'ambition. Elle exploita sans vergogne le présumé talent médiumnique de ses jeunes sœurs, souhaitant retirer le plus grand profit de la mythomanie de nos charmantes demoiselles.

En 1848, la famille Fox quitta le cottage de Hydesville, encensée par les uns, méprisée ou moquée par le plus grand nombre.

Le jeu devient business

Installée à Rochester dans une somptueuse maison qui, sous l'impulsion de Leah, devint le siège, d'un cabinet de consultations spiritualistes «Fox & Fish», la famille prospéra.

Leah fit courir la rumeur, qui se répandit comme une traînée de poudre que, contre une modeste rétribution, les sœurs Fox pouvaient mettre tout un chacun en communication avec l'esprit de ses chers disparus.

Les consultants affluèrent, les dollars itou

Là, les dons occultes de Margaret et de Kate prirent toute leur ampleur. Jamais plus les raps ne cessaient en leur présence. Cela devint un véritable cirque.

Le 14 novembre 1849 se tint à Rochester autour des jeunes sœurs, la première séance de ce qu'on appela du "spiritualisme", discipline qui connaîtra un immense succès jusqu'en Europe, sous le nom de "spiritisme".

Une fois la mode lancée, Margaret et Kate parcoururent les États-Unis et le Canada, avant de passer en Grande-Bretagne, en compagnie de leur mère et de leur sœur aînée. C'était la gloire.

La nouvelle religion franchit l'Atlantique en 1852 et se propagea en Allemagne puis en France (1853).

Simple comme le fil à couper le beurre, le mode opératoire consistait à faire produire les raps de l'esprit frappeur par l'intermédiaire d'une table battant du pied selon l'alphabet convenu.

À défaut d'être rapide, le procédé était simple, à la portée de tous, plus simple encore que l'alphabet du télégraphe.

Un succès colossal
La famille Fox fait des émules

Une fois leur technique médiumnique bien rodée, les deux jeunes filles n'attendaient plus que le hasard les mette en communication avec les défunts.

Elles provoquaient leurs manifestations en utilisant leurs légers guéridons à trois pieds qui se mettaient à frapper le sol ou à craquer dès qu'un esprit voulait se manifester.

Cette idée simple et géniale ouverte à toutes les tricheries, connut un succès colossal.

En 1855, pour les seuls États-Unis, dix mille médiums desservaient déjà trois millions d'adeptes.

La presse s'empara de l'affaire, le grand public et les hommes de science s'invitèrent au débat, et le "spiritisme", religion moderne et scientifique, fut lancé comme une nouvelle savonnette.

Évidemment, la controverse fut vive. Les Églises réagirent avec vigueur à cette chapelle qui leur faisait une concurrence déloyale. La presse, dans son ensemble, abusa de ce filon qui passionnait les foules, pour y mêler son grain de sel.

Après trente ans de succès et leur fortune faite, ce qui devait arriver, arriva. Surgies par une répartition inéquitable des fonds collectés, des dissensions naissent entre les membres de la famille, querelles attisées par les journalistes toujours à l'affût.

Aveu de la tricherie

En 1888, Margaret avoua dans un ouvrage que toute l'affaire avait été orchestrée par leur grande sœur, après que Kate et elle-même se fussent bien amusées en laissant libre cours à leur fantaisie. Elle affirma dans la foulée que le spiritisme n'était qu'un jeu qui avait merveilleusement réussi.

Un imprésario astucieux organisa en automne 1888 une réunion publique au cours de laquelle Kate et Margaret montrèrent comment elles procédaient pour produire tous les raps possibles simplement en jouant avec leur bouche, leurs talons et leurs orteils !

L'affaire fit grand bruit


L'année suivante, sermonnée par la famille, Margaret revint sur ses déclarations, pour ne pas tarir la source de la fortune familiale. Puis ce fut au tour de Kate de se rétracter, contre un peu d'argent, car, elle était tombée dans l'alcoolisme et la misère.

Le décès de Margaret et de Kate, en 1892, n'enraya pas l'essor de la nouvelle religion qui essaima à travers le monde.

Aussi, malgré les critiques, les quolibets, les démentis, les enquêtes contradictoires, le mouvement spirite prospérait et ne pouvait plus être stoppé.

Le phénomène que Margaret et Kate avaient initié en toute innocence, les dépassa. Ainsi s'ouvrait l'ère des médiums que le Français Allan Kardec allait codifier et populariser à son tour lui appliquant un vernis scientifique.

Phénomènes paranormaux

Le petit peuple aussi bien que des sommités scientifiques ou des milliardaires furent gagnés à la cause de l'existence des "esprits" et goûtèrent au charme de leur conversation. Les clubs, les organisations spirites pullulèrent; des savants, et non des moindres, s'acharnèrent à prouver l'existence objective des phénomènes paranormaux induits par le spiritisme.

Davantage encore que les histoires à dormir debout que Leah Fish avait montées en épingle, son coup de génie fut d'avoir inventé, dans le droit fil du télégraphe de Morse, le spiritual telegraph, transformant un simple jeu d'enfant en instrument de communication magique, ancêtre de notre moderne transcommunication instrumentale.

La morale de cette histoire

La morale de cette histoire étonnante est que l'imagination conduit le monde autant que la réalité; que manipulé par d'adroits charlatans ou de joyeux plaisantins, un tissu d'incohérences, de mensonges et de vantardises peut créer une nouvelle religion et entraîner une partie de l'humanité vers des sommets de bêtise et de perversité.

On y apprend aussi que des fraudeurs, des charlatans, des mythomanes peuvent induire, chez des spectateurs naïfs ou crédules convaincus de leurs pouvoirs, des phénomènes bien réels, comme il est vrai qu'arrêtée, une montre ou une pendule hors service, donne encore l'heure exacte deux fois par jour... et comme l'a dit si justement Tierno Bokar :

 
«Il y a trois vérités : Ta vérité, ma vérité et la vérité.»

Gérald Lucas & Pierre Genève - 1995
SOURCES:
  • DAVIS (Andrew Jackson) : The Great Harmonia, NY, 1852
  • GENÈVE (Pierre) : Les canulars médiatiques, Euredif, 1973
  • LOUIS (René) : Dictionnaire du Mystère, Éditions du Félin, 1994
  • LOUIS (René) : Les Aventuriers de l'Invisible, Éditions du Félin
  • GENÈVE (Pierre) et LUCAS (Gérald) : Comment naissent les religions, Éditions de la Louve, 1975
  • PAECKINPAH (Edmund) : The Fox Circus, Meredith, London, 1898
  • YONNET(Jacques) : Les grandes mystifications, in "Radar", 1954
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