TÉLÉPATHIE
L'HOMME LE PLUS EXTRAORDINAIRE

Qu'est-ce que la télépathie ?

En parapsychologie, la télépathie (de l'anglais telepathy) est considérée comme un phénomène de transmission d'une personne à une autre, de pensées ou d'impressions diverses en dehors de toute communication par les voies sensorielles connues. (On dit aussi télépsychie). Parmi les pionniers de la télépathie l'on compte le Français Charles Richet, prix Nobel de médecine, les Américains J.B. Rhine, chercheur en parapsychologie, et M. Ulman, psychiatre, à qui l'on droit une démonstration expérimentale de rêves télépathiques.

Exemple

Ce cas a été confié à M. Warcollier par Mme Boudin, parmi d'autres cas de même nature, lors d'une enquête sur des cas de télépathie. «En 1918, le jour du vendredi Saint, à Paris, un obus tiré par la "Grosse Bertha" tombait toutes les dix minutes sur Paris. Ce jour-là, dans l'après-midi, je me trouvais dans l'église pendant l'Office des Ténèbres. A un moment donné, j'entendis en moi-même une voix disant : "Sors donc  !" Angoissée, je sors à 4 h 10. L'obus qui causa la catastrophe qui fit de nombreux morts tomba à 4 h 20.» (rapporté par Jean Moisset).

L'HOMME LE PLUS EXTRAODINAIRE

J'ai passé trente années en prison. Pas dans n'importe quelle prison: un camp de travail spécial près d'Arkhangelsk en U.R.S.S. un pénitencier de la pire espèce.

Nous étions plus de huit mille prisonniers dans ce camp, logés dans les cellules infectes et surpeuplées de barraquements rongés par l'humidité, envahis de parasites, sans eau ni latrines. Trente ans. Droits communs et politiques mêlés.

Ingénieur agronome j'avais eu la bêtise, juste avant la mort de Staline de mettre en doute les théories aberrantes de Lyssenko et de son complice Mitchourine les papes de la révolution biologique soutenus par le tyran.

Condamné à vingt ans de camp à régime sévère pour avoir affirmé mon attachement aux lois de Mendel et osé proférer une opinion scientifique contraire au nouveau dogme, je n'avais plus envie de vivre dans mon pays. Je croyais sans espoir l'avenir de ma patrie et plutôt que de croupir vingt ans au bagne je préférais tenter l'impossible ou mourir.

Je fis une première tentative d'évasion six mois après mon incarcération sans procès. On me reprit après trois jours. Torturé, estropié (une main broyée et trois fractures mal réduites et non soignées) je fus condamné à dix ans supplémentaires.

Mon compagnon de misère

Jeté sans eau ni nourriture dans une sorte de cul de basse fosse sans lumière et plein d'immondices, j'y retrouvai Vladimir Ossienko, un compagnon de misère réduit à l'état de squelette. Il y croupissait depuis un mois. Jamais je n'oublierai Vladi. Alors que mes co-détenus se révélaient souvent aussi féroces que nos gardiens, Vladi me parla d'emblée avec gentillesse, me consola, me supplia de ne pas désespérer. Il témoignait d'une force intérieure inébranlable et d'une volonté farouche.

Plutôt défaitiste, je préférais la mort qu'une survie dans ces conditions abominables. Vladi me parla de Dieu. J'étais totalement athée. Et d'avantage encore après mes malheurs ! Comment était-il possible si Dieu existait qu'il tolère la misère, les guerres, la maladie et de telles injustices? Oh ! non j'étais bien sûr que le ciel était vide qu'il n'y avait pas de Dieu.

Une force intérieure inébranlable

Vladi ne chercha pas à me convaincre. Simplement il priait, mains jointes, à genoux dans la fange, pendant une heure. Il prolongeait ces séances d'une longue cure de silence. Il semblait méditer.

Je lui demandai ce que cela lui apportait. Il m'expliqua que l'esprit de l'homme était plus puissant que la matière. Que la vie était tissée de bien et de mal, de bonheur et de malheur. Chaque événement même le plus tragique comportait une espérance. Il affirmait que dans la situation déplorable dans laquelle nous nous trouvions, dans la pire déchéance de nos corps physiques, notre esprit demeurait intact, fabuleusement riche, capable de transformer notre vie de parias en un univers de joie pure.

Je me demandais à entendre ces sornettes s'il n'était pas un peu barjot, le camarade Vladimir. Mais durant ces trois jours d'enfer où nous croupîmes sans recevoir de nourriture, où nous léchions les murs humides pour humecter nos langues, rongions des morceaux de bois pour calmer notre faim, Vladi ne se plaignit jamais de notre condition.

Il pria, médita et passa des heures à mémoriser tout ce qu'il connaissait, des poèmes, des dates historiques, des règles de grammaire. Il me pria de faire l'inventaire de tout ce que je savais afin qu'il l'apprît par coeur. Ma culture plutôt scientifique le passionna et il voulut absolument que je lui enseigne les mathématiques dont il ne savait rien, n'ayant pas poursuivi l'école au-delà de l'âge de quatorze ans. Il apprenait avec une rapidité extraordinaire comme si tout s'imprimait immédiatement avec clarté dans son cerveau.

Dès le troisième jour je me piquai au jeu et en oubliai presque le dénuement, l'horreur de ma situation. Bientôt Vladi sut résoudre verbalement des équations, connut par coeur la géométrie et tous ses théorèmes et moi j'avais mémorisé vingt poèmes et plusieurs livres de la Bible !

Au bout d'un certain nombre d'heures l'obscurité de notre prison qui m'avait semblé totale fit place à une sorte de brouillard et je finis par deviner les traits de Vladi. Ce fut un nouveau choc. Il était d'une maigreur à faire peur, son visage ressemblait à la face d'une tête de mort tant la peau semblait grise et collée sur les os, les orbites creuses. Seuls deux yeux noirs, avec une sorte d'éclat lumineux, attestaient que mon camarade vivait.

- Depuis combien de temps es-tu prisonnier ?

- Depuis la grande purge de 1937 !

Nous étions en 1950.

Je frissonnai.

Pourquoi t'ont-ils arrêté ?

- Je te le dirai plus tard. Tu ne me croirais pas.
Mais pourquoi es-tu ici, dans ce trou depuis un mois maintenant ?

- Pour avoir témoigné que Dieu existe et voit tout !
Je restai silencieux !

Soudain, alors que nous ne nous y attendions plus...

Soudain, alors que nous ne nous y attendions plus, l'espèce de couvercle de notre fosse s'ouvrit et le jour nous aveugla. Un gardien nous cria de nous écarter. Sans prévenir il balança de grands seaux d'eau au fond de notre bouge, chassant nos déjections par les trous d'évacuation dissimulés dans le sol. Puis, au bout d'une corde il nous descendit une gamelle de soupe et deux morceaux de pain noir.

Puis il referma la trappe.

A tâtons, à nouveau aveugle, j'allais me jeter sur la nourriture comme un fou, pris d'une énorme fringale. Vladi m'en empêcha et me supplia:

- Prions d'abord. Remercions le Seigneur Dieu et demandons-lui de bénir notre repas !
J'allais le frapper ou le mordre, tel un animal affamé, mais je sentis soudain une sorte de force soumettre ma volonté à la sienne.

Des images apaisantes apparurent dans mon esprit. Je vis une table dressée, avec une nappe, des couverts somptueux et des mets royaux. La prière s'éleva, simple, sincère, émouvante !

- Ne mange pas tout de suite! Prie d'abord avec moi. Et moi, le parfait mécréant je me mis à prier, répétant après lui le vieux benedicite slavon.

Il m'apprit ensuite à déguster notre misérable pitance comme si c'était la meilleure des nouritures. Je dus avaler chaque gorgée de ce brouet infâme avec reconnaissance, mâcher cent fois chaque miette de ce pain infect en louant le Seigneur.

Je me sentis beaucoup mieux

Je dois le dire, je me sentis beaucoup mieux après ce repas frugal. Vladi s'installa sur le bat-flanc surélevé et m'invita à faire de même. Après l'agression lumineuse de la trappe ouverte mes yeux ne s'étaient pas encore réhabitués à l'obscurité.

Assis dans la position du lotus, nous nous faisons face sans nous toucher. Je ne vois pas mon vis-à-vis, je le devine mais surtout je "sens" sa présence. Je la sens tellement fort qu'elle prend littéralement possession de moi, qu'elle devient quasiment douloureuse.

Et sa voix chaude me dirige:

- Respire profondément! Pense à ta jambe droite, à ton pied gauche! Respire! Retiens ton souffle! Ouvre tes deux mains! Paumes offertes! Pense à ton gros orteil gauche! Respire!"

Puis ce fut le silence. Je sens le sang circuler dans chaque membre, j'entends mon coeur battre. Puis une image se forme dans mon cerveau.

Je vois un échiquier.

Une image précise. Je vois un échiquier.

La voix me demande doucement:

- Que vois-tu?

- Un échiquier!

C'est bien! Respire profondément! Détends-toi!

Après un temps sa voix reprend:

- Et maintenant qu'est-ce que tu vois?

Je "voyais" distinctement un jeu d'échecs complet avec tous ses pions et ses figures en place. Je le lui dis.

- Très bien! Et maintenant joue! Avance un pion.

Je me pris au jeu et avançai mentalement un pion sur l'échiquier fantôme qui se dessinait distinctement sur le tableau noir de mes paupières closes.

Il m'entraîna ainsi dans une partie fantastique où je "voyais" chacun de ses coups et où lui "voyait" les miens, sans qu'il les annonce.
Je perdis la partie sur un échec et mat et ce fut alors seulement que je réalisai pleinement ce que cette partie avait d'incroyable.

Je vous le jure, je ne dormais pas, je ne rêvai pas cette partie. Elle s'était entièrement jouée, comment dire, par télépathie!

Durant toute notre détention dans ce misérable cachot nous exécutâmes ainsi mentalement une partie par jour.

Mais Vladi m'enseigna bien d'autres choses encore. Il m'apprit aussi à lire l'heure solaire exacte à une pendule imaginaire. Pour nous exercer nous nous demandions l'heure, à brûle-pourpoint, à n'importe quel moment du jour ou de la nuit. Nos horloges mentales coïncidaient parfaitement. Mais comme nous n'avions pas de montre et que nous ignorions la position du soleil, il nous était impossible de vérifier en dehors des visites de nos geôliers.

Il m'initia à lire dans son esprit

Il m'initia à lire dans son esprit des choses beaucoup plus compliquées, à échanger entre nos cerveaux des phrases entières, à dialoguer. Fasciné, loin de trouver le temps long, ces trente jours et trente nuits passées dans ce cachot me semblèrent trop courts.

Lorsque nous fûmes libérés de ce trou et ramenés auprès des autres, la lumière me blessa. Bien que notre détention fût relativement plus douce, la nourriture plus abondante, la promiscuité, le travail forcé et l'éloignement de Vladi me pesèrent. Mais je le retrouvais parfois dans les camions grillagés qui nous transportaient sur le chantier, ou lors des repas. Chaque nuit de nos cellules nous communiquions mentalement durant des heures.

Nous vécûmes plusieurs mois ainsi.

Un jour je dis à Vladi que j'étais décidé à tenter une fois encore la belle. Il m'approuva et me dit qu'il m'aiderait de son mieux bien, et qu'il se sentît lui-même trop faible pour m'accompagner.

Je le tins au courant de mon plan. Notre équipe travaillait maintenant au port d'Arkhangelsk où des centaines de bateaux étrangers venaient charger du bois le long de dizaines de kilomètres de quais.

Je m'évade

Je profitai un soir, à la tombée de la nuit, juste avant notre retour au camp, du désordre causé par l'incendie d'un navire près du périmètre où nous travaillions.

Après l'appel je réussis à fausser compagnie à mon chef d'équipe, reculai hors de sa vue derrière un tas de planches, courus longtemps dans le dépôt désert, réussis à traverser le quai sans être repéré et plongeai dans l'eau glaciale de la Dvina.

Je réussis à grimper à bord d'un vieux cargo panaméen dont les machines étaient déjà sous pression, prêtes à appareiller. Transi, complètement gelé, je me glissai sous la bâche pourrie d'un canot de sauvetage, grelottant de fièvre.

C'est là, qu'à demi mort de froid, Vladi me "rejoignit", me dicta la façon dont je devais respirer, "penser" à mes jambes, à mes pieds, à chaque muscle de mon corps, respirer encore, sentir le sang circuler dans mes veines. Je finis par m'endormir malgré la peur d'être repris. Je ne bougeai pas de ma cachette de toute la journée du lendemain bien que j'entendisse des matelots parler sur le pont dans des langues inconnues. Je me demandais combien de jours il faudrait au bateau pour quitter les eaux territoriales soviétiques.

Vladi me dessina à distance une carte de l'Europe

Vladi me dessina à distance une carte de l'Europe du Nord avec le dessin de la Mer Blanche, de la Mer de Barents, de l'Océan Glacial Arctique avec les côtes de la presqu'île de Kola, Mourmansk, la Norvège, le Cap Nord. Là, seulement, je serais sauvé! J'estimais qu'il nous faudrait au moins trente-six heures pour atteindre ce point fatidique.

Je ne sortis de mon canot de sauvetage que le surlendemain. A bout de forces. Ce fut pour retrouver un autre cachot. Loin de m'accueillir comme un être humain, le capitaine du navire m'insulta, me frappa et ordonna qu'on me mît à fond de cale sans nourriture. Le lendemain, au large des côtes de Norvège, à la hauteur des îles Lofoten, deux matelots noirs me harnachèrent d'un vieux gilet de sauvetage moisi, sans signe distinctif et me jetèrent par-dessus bord.

Là encore Vladi me "rejoignit", soutint mon moral. Dictant mentalement le rythme de ma respiration, de mes mouvements de natation, il m'obligea à contrôler chaque geste, à fixer ma pensée, me guidant vers le salut. Des pêcheurs me recueillirent quelques heures plus tard, me ramenèrent à Svolvoër où je fus accueilli en héros, soigné et choyé comme un coq en pâte.

Vladi et moi sommes restés en contact télépathique pendant des années

Je vous ferai grâce du reste de mon aventure qui s'est si heureusement terminée pour moi, si ce n'est pour vous dire que Vladi et moi restâmes en contact télépathique pendant des années

Je trouvai du travail à Oslo puis en Allemagne, avant d'obtenir l'asile politique en France

Je fis de nombreuses démarches en faveur de Vladi, lui envoyai des colis qui ne lui parvinrent jamais

Or, il y a dix ans maintenant, le "contact" fut brusquement rompu entre nous comme si le fil qui nous reliait avait été brutalement arraché. Je n'ai jamais su ce qu'était devenu Vladimir Ossienko. Peut-être qu'avec le dégel de la pérestroïka et la libération des prisonniers du Goulag, les langues se délieront et quelqu'un pourra me parler de lui.

Oleg Stepanenko

 


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