Madame Jeanne-Paule Visnelda (29 juin 1922-15 août 1991) fut l'une des plus célèbres guérisseuses du XXe siècle. Cette frêle et pourtant solide Réunionnaise, au visage énergique, d'origine malgache, naquit dans les années 20 à Diego Suarez (Madagascar), dans une famille bourgeoise et catholique. Son père, Clémencin, y exploitait une saline et reboutait les gens du voisinage.

Les difficultés économiques et politiques de la grande crise contraignirent la famille à émigrer vers la Réunion (1930) où son père reprit ses activités de saulnier, à Etang-Salé, sur la côte Sous le Vent.

Ce fut lui qui initia la jeune Jeanne-Paule à la connaissance des plantes, savoir qu'il avait lui-même hérité de sa mère. Passionnée par la vertu des plantes, la jeune fille continua de s'instruire auprès d'un botaniste de Saint Gilles (M. Bothard) et d'un herboriste du village, et devint, comme on les appelle familièrement dans l'île: une tisanière. Elle fut donc amenée très jeune à tenir un rôle de conseillère de santé pour ses voisins et amis.

Secrétaire de mairie

Ayant atteint un niveau de scolarité plutôt élevé par rapport au niveau moyen de l'île, Mme Visnelda fut embauchée comme secrétaire de mairie de la commune d'Etang-Salé les Hauts, poste qu'elle conservera même une fois qu'elle eut atteint une notoriété internationale comme guérisseuse et exorciste.

Dans les années 50, - elle avait environ 30 ans, - Mme Visnelda souffrit de syncopes à répétition qui furent à l'origine de périodes d'asthénie pouvant durer plus de vingt-quatre heures. Une nuit, dans un songe, elle entendit une voix qui lui ordonna:
«Guéris-toi toi-même! Tu vas prendre des plantes de fleurs de matricaire. Tu en as jeté un bouquet hier, derrière le jacquier. Il y est encore.»
Le lendemain matin elle se souvenait très bien de son rêve. Intriguée, car elle était bien sûre de n'avoir rien jeté de semblable, elle retrouva pourtant le bouquet signalé dans son rêve. Mme Visnelda y vit un signe. Elle pensa que son "guide" voulait lui donner une preuve qu'il fallait faire ce qu'il lui disait. Elle confectionna donc une tisane, la but, et depuis lors n'eut plus aucun trouble.

Une voix céleste

Par la suite, la voix céleste lui donna d'autres instructions, lui demandant de guérir en son nom les gens dans la détresse.

Peu de temps après, elle alla rendre visite à une voisine qui se plaignait de ne plus pouvoir marcher. Elle avait reçu un coup de pied d'une vache et souffrait d'une entorse à la cheville. Se souvenant de son rêve, Visnelda, improvisa des passes magnétiques, imposant ses mains sur la cheville blessée de sa voisine, tout en prononçant mentalement une prière. En peu de temps la voisine fut guérie et marcha comme avant.

Depuis lors, elle pratiqua régulièrement ces passes magnétiques sur tous ceux qui souffraient et guérit ainsi de multiples affections. Sa renommée s'étendit très vite à travers l'Ile, lui attirant de plus en plus de monde. Toujours assoiffée de connaissances, Mme Visnelda ne se contentait pas de guérir, elle s'intéressa aussi à l'explication du pouvoir qu'elle semblait détenir et se livra à de multiples expériences.

Elle mesurait souvent son pouvoir magnétique sur des bouquets de fleurs qui, bien que fanées, recouvraient toutes leurs couleurs et leur vigueur après quelques passes. A intervalles réguliers, elle faisait tester son énergie magnétique d'après la règle de Turenne, auprès d'un magnétiseur métropolitain. Elle expérimenta également avec succès ses pouvoirs magnétiques sur des animaux, des écrevisses et même des insectes.

Sa renommée lui attirait de plus en plus de gens affligés de pathologies très peu naturelles et compliquées, liées aux pratiques sorcières qui fleurissent dans l'île. Ces personnes se disaient victimes de mauvais sorts et d'envoûtements.

Elle demande à Dieu de l'aider

Devant de tels cas, Mme Visnelda se sentit d'abord impuissante. Elle demanda à Dieu de l'aider et, à quelques jours de là, elle vit un film qui l'impressionna vivement: "L'Exorciste".
«J'ai vu à travers ce film le pouvoir de la croix, de l'eau bénite et du sel consacré» dit-elle. Elle eut bientôt l'occasion d'expérimenter son pouvoir, un soir qu'un patient qu'elle soignait comme à l'ordinaire, se leva brutalement en la menaçant. Elle brandit alors son crucifix, invoqua la protection du Seigneur, et l'excité se calma aussitôt, la remerciant de l'avoir guéri.

Un peu effrayée par la découverte de ses nouveaux pouvoirs, Mme Visnelda s'initia à la médecine en lisant de nombreux ouvrages cliniques, et prit des leçons de secourisme. Toujours sur la brèche pour aider les autres, totalement dévouée, avide de connaissances, Mme Visnelda acquit peu à peu l'image d'un véritable thaumaturge, se démarquant très nettement des très nombreux charlatans qui fleurissent dans l'ile. Elle gagna la confiance des Réunionnais les plus réfractaires aux sciences occultes, de médecins, souvent venus de la Métropole.

Excellents rapports avec quelques médecins

Les médecins finirent même par lui envoyer certains de leurs patients qu'elle guérissait mieux qu'eux. (Voir Thèse soutenue en 1984 par le Docteur Michel Sinquin intitulée Contribution à l'étude de la sorcellerie à la Réunion à propos d'une guérisseuse exorciste) Madame Visnelda opérait dans son village, à Etang Salé les Hauts, situé sur la côte sous le vent, au Sud de l'île.

Sa maison se trouvait à l'entrée du village. A côté, dans un exubérant jardinet où poussaient dans le plus charmant désordre des fleurs et des plantes tropicales, se dressait un petit oratoire toujours abondamment fleuri. Autour d'une statue de la Vierge, des bougies et des cierges éclairaient de leurs flammes vacillantes d'innombrables ex-votos où l'on pouvait lire de touchantes formules de remerciement adressées à la Vierge ou à Saint Expédit. Entre les fleurs de ce joli jardin, Mme Visnelda cultivait elle-même les plantes médicinales qu'elle prescrivait à ses patients, et dont certaines étaient très rares et diffiles à trouver. Ainsi elle pouvait montrer à ses consultants la plante à cueillir dans la montagne, car elle exigeait que chaque malade aille chercher lui-même les plantes dont il avait besoin.

Pour ses séances de magnétisme et d'exorcisme, Mme Visnelda opérait dans la salle d'un dancing: "Les Flamboyants". Ici, tous les samedis soirs, c'était le bal, mais quatre jours par semaine, les patients de Mme Visnelda envahissaient la grande salle, de 7 heures du soir jusqu'à minuit, voire deux heures du matin.

Les préparatifs

Madame Visnelda n'opérait jamais sans respecter un certain décorum. Les malades, leurs amis et les membres de leur famille qui les accompagnaient attendaient debout ou assis sur des bancs et même par terre, sans manifester d'impatience. Certains étaient là depuis des heures.

Mme Visnelda saluait l'assistance, inclinait sa tête à l'intention de certains visiteurs de marque, puis, sans se presser, elle installait son matériel sur une table-bureau avec des gestes lents et méthodiques. Un crucifix de bois, un cierge béni, une carafe remplie d'eau bénite, du sel placé dans une écuelle, une baguette de bambou. A portée de main, une pile de prospectus polycopiés comportant différentes recettes de tisanes et des formules de traitement par les plantes qu'elle avait elle-même composées.

Près de cette table, un lit tout simple, sans drap. La consultation débutait toujours par le traitement des cas d'envoûtements ou de possession, auquel participait l'assistance, car il fallait parfois la force de plusieurs hommes pour maintenir tranquille un possédé. Voici comment se déroulait la séance: Mme Visnelda se campe au milieu de la pièce remplie de monde. Dans un silence impressionnant, la guérisseuse parcourt lentement l'assistance du regard.Elle affirme ressentir aussitôt, infailliblement, les cas qui vont nécessiter un exorcisme, les autres passeront après.

Mme Visnelda déclare qu'en approchant une personne envoûtée, son corps frissonne et que sa peau se couvre de chair de poule. Pour lutter contre l'esprit malin qu'elle ressent, elle entre alors dans une sorte d'état second qui la maintient en condition jusqu'à ce qu'elle l'ait chassé de son patient.

L'exorcisme

Ce soir-là, son regard s'arrête sur une jeune fille entourée par plusieurs membres de sa famille. Elle sanglote et geint doucement, le corps secoué par des hoquets. Madame Visnelda s'avance vers elle et les gémissements s'arrêtent aussitôt. Elle consulte la mère du regard. Depuis quelques semaines, la jeune fille semble sujette à des crises de tremblements, connaît de longues périodes d'hébétude, paraît toujours fatiguée, bref, "elle n'est plus bonne à rien". Sur un signe de la guérisseuse, trois membres de la famille soulèvent la jeune fille et l'amènent près du lit où l'exorciste l'invite à s'asseoir. Le petit groupe devient le point de mire de l'assemblée. Les spectateurs retiennent leur souffle. Mme Visnelda saisit le poignet de l'adolescente, comme si elle voulait prendre son pouls. Elle sent les frissons irradier sur sa peau, signe indubitable que la jeune fille est possédée.
- Quel est ton nom?
- Jacqueline!
- Enlève tes bracelets, ta montre, ta bague!
La jeune fille s'exécute. Mme Visnelda s'empare alors brusquement de son crucifix et le présente devant le visage effrayé de la patiente.
- Mon bon Seigneur faites que l'esprit qui possède Jacqueline s'en aille de son corps et la laisse désormais tranquille!
La jeune fille a un violent mouvement de recul, veut bondir en arrière, mais ses frères la maintiennent solidement assise.
- "C'est la malice", s'écrie alors Mme Visnelda en prononçant très vite les paroles sacrementelles: "Sainte Croix du Christ, sauveur du monde, toi qui sais reconnaître le malin sous quelque défroque qu'il emprunte, bénis Jacqueline et guéris-la !"
D'un geste de la main, elle invite la jeune fille à s'allonger sur le lit tandis que la famille s'asseoit alentour, prête à intervenir.
La guérisseuse poursuit alors son exorcisme:
"Au nom de Jésus qui commande toutes les nations et commande à tous les vivants, je te somme de me dire ton nom, esprit de malice qui investit Jacqueline?"
Tout en prononçant ces paroles, Mme Visnelda prend une pincée de sel béni qu'elle projette dans les yeux de la jeune fille puis, saisissant fermement sa tête entre ses mains, elle applique ses deux pouces sur son front.
- Qui es-tu, Esprit, parle!"
La jeune fille est alors saisie de tremblements, ses membres se contractent brusquement, elle dodeline sauvagement de la tête en éructant des paroles indistinctes, et ses frères ont bien de la peine à la maintenir allongée..
Mme Visnelda applique énergiquement le crucifix sur le corps de la possédée, invoque encore une fois le Seigneur pour qu'il l'aide à combattre cet esprit et à l'expulser de son corps. Elle jette à nouveau du sel dans ses yeux, que les larmes entraînent, formant deux rigoles blanches sur son visage bronzé. Mais l'esprit refuse toujours de répondre, malgré les demandes de plus en plus pressantes de Mme Visnelda.

Mme Visnelda invite l'assistance à prier avec elle

Alors l'exorciste invite l'assistance à prier avec elle. L'instant est impressionnant de voir tous ces gens qui se mettent debout ou se jettent à genoux pour prier ou psalmodier.
La jeune fille écume toujours et se tord sur sa couche, tandis qu'à intervalles réguliers, Mme Visnelda applique le crucifix sur sa poitrine en ordonnant à l'esprit qui la possède de dire son nom.
Comme elle n'obtient toujours pas de réponse, elle répète, de plus en plus fort:
"Esprit, qui es-tu, quel est ton nom? Es-tu l'esprit de quelqu'un enterré dans un cimetière proche d'ici?"
Alors, soudain, entre deux hoquets, Jacqueline souffle d'une voix éteinte:
- "Oui".
L'assemblée frémit, un murmure réprobateur parcourt la salle.
- Quel cimetière? Parle! Dans quelle commune? Je t'ordonne de parler!
Et alliant le geste à la parole, Mme Visnelda applique le crucifix sur le front de la jeune fille qui grimace de douleur, puis saisissant sa baguette de bambou, elle en frappe les jambes et les plantes de pieds de Jacqueline avec vigueur:
- Au nom de Jésus-Christ, Esprit dis-nous qui tu es et d'où tu viens!"
La fille se met à gémir, son corps se tord sur le lit, de la bave s'échappe de la commissure de ses lèvres.
- Parle, esprit, dis ton nom!
(La voix de Mme Visnelda se fait plus menaçante. Elle glisse son crucifix sous la tête de la possédée et la force à s'asseoir. Le crucifix d'une main, sa badine de bambou de l'autre, elle frappe le cou et les épaules de Jacqueline qui halète, les yeux épouvantés.
- Au nom de Jésus, je vais te forcer à te révéler publiquement!
D'une voix à peine audible, la jeune fille murmure des mots incompréhensibles:
- Aooohéhaaaa.
- Esprit malin ne cherche pas à nous tromper. Tu es dans cette jeune fille, alors dis-nous qui tu es?
Durant un quart d'heure, l'exorcisme se poursuit. Jacqueline finit par prononcer un mot distinct.
- "Saint-Pierre".

Sitarane

Cette fois, le visage de Mme Visnelda s'éclaire. D'une voix forte, autoritaire, elle pousse l'esprit à se révéler à travers la voix de la jeune fille qu'il possède.
- Dis-nous publiquement à tous qui tu es, esprit de Saint-Pierre. Moi je sais qui tu es, je sais où est ta tombe! Tu ne peux me mentir. Dis-nous comment tu es mort...
La bouche de la fille se tord et émet des borborygmes...
-Ohhaohawrouonx...
D'un geste furtif, Mme Visnelda caresse l'épaule de Jacqueline, avant de glisser le crucifix tout autour de son cou.
- "Couteau"
- Par le couteau? D'un geste théâtral Mme Visnelda prend la salle à témoin. Tu veux faire le malin en tournant autour du pot, mais avec moi ça ne prend pas! Elle frappe de plus belle de son bambou et applique le crucifix sur le cou de la fille dont la bouche est ourlée de bulles d'écume. L'assistance suspend son souffle.
- Allons, Esprit, continue, je sais qui tu es, moi, mais je veux qu tout le monde ici le sache... Tu n'es pas mort par le couteau mais par... par... Allons! Dis-le...
- Ache... Ache...
- Non Esprit! Ne mens-pas! Tu n'es pas mort d'un coup de hache... Tu es mort comment?
- Con-dam-né! Con-dam-né!
- Oui, esprit malin tu fus condamné à mort et guillotiné! Et tu t'appelles? Dis-le comment tu t'appelles!
- Joseph...
Le visage triomphant, Mme Visnelda se tourne vers l'assistance:
- Il a voulu me tromper cet esprit. Il est malin. Mais il vient d'avouer. Il s'appelle Joseph... Joseph comment?
- Si-ta-rane...
Un oh! de stupeur suivi d'un murmure de réprobation monte de la salle tendue.

Esprit mauvais, je t'ordonne de quitter...

Un oh! de stupeur suivi d'un murmure de réprobation monte de la salle tendue.
- Alors esprit mauvais, esprit de Joseph Sitarane, je t'ordonne de quitter immédiatement le corps de cette jeune fille innocente et qui ne t'a rien fait. Ce n'est pas elle qui t'a dénoncé! Jacqueline n'est pas la cause de ta mort. On t'a menti! Alors tu dois la libérer... Nous ne te voulons pas de mal, mais libère-la immédiatement. Celui qui t'a ordonné de lui nuire a mal fait. Rentre en paix dans ta tombe. Je veillerai à ce que l'on mette deux cierges à la Croix Jubilée de l'église pour t'éclairer. Neuf soirs de suite, les parents de Jacqueline vont prier pour le repos de ton âme...
Mme Visnelda a posé la badine et entoure les épaules de la jeune fille de son bras libre mais brandit toujours le crucifix dans sa main droite.
Jacqueline se détend, son visage perd sa crispation. Elle paraît soulagée.
L'exorciste pose le crucifix sur la table et les mains jointes, s'adressant à tous, dit:
- Répétez avec moi... Que l'âme de ce défunt repose en paix. (La salle répète la phrase après elle). Dieu tout puissant, qui créas le ciel et la terre, nous confions à ta miséricorde l'âme de Joseph Sitarane. (La salle répète) Qu'elle soit désormais sous ta sainte garde. (La salle répète) Ainsi soit-il. Pars en paix,Joseph Sitarane, que Dieu te protège... Mme Visnelda badigeonne les lèvres de Jacqueline avec du sel, puis elle asperge son visage avec de l'eau bénite.
- Que cette eau bénite et que ce sel éloigne désormais de toi tout esprit maléfique! Que l'esprit de ton tourmenteur retourne en paix à sa tombe. Mon Seigneur et mon Dieu, faites que les âmes du purgatoire et les âmes des morts de ce cimetière de Saint-Pierre accompagnent cette âme errante et la ramènent en paix à sa tombe. Par la miséricorde de Dieu tout puissant, ainsi soit-il. Croix du Christ, Sauveur du Monde, bénissez Jacqueline. Amen".

L'exorcisme de la jeune fille terminé

L'exorcisme de Jacqueline terminé, Mme Visnelda lui prescrit une tisane en lui remettant une feuille portant la recette et lui demande de placer un bout fondu de bougie bénite sous le banc de l'école dès qu'elle retournera en classe... Puis, s'adressant à la mère et aux autres membres de sa famille, elle leur dit: - Noubliez pas d'allumer les deux cierges à la Croix Jubilée de l'église et, pendent neuf soirs de suite, vous direz un "Notre Père" et un "Je vous salue Marie" ainsi qu'un "Gloire au père protecteur du purgatoire" Jacqueline se relève et sort lentement de la salle, soutenue par ses parents, dans un silence total. Puis, Mme Visnelda passe à un autre exorcisme.