En 1561, il publie : De utilitate ex adversis capienda. (essai sur le crime).En ce temps là, l'opinion publique n'était pas tendre pour la famille d'un meutrier. Cardan dut quitter la ville et alla postuler un poste de professeur de médecine à Bologne, qu'il obtint en 1562 grâce à la protection du cardinal Borromée.
Mais devenu ombrageux et agressif, Jérôme Cardan ne fut jamais bien accepté par ses pairs. Ses manières arrogantes et son humeur batailleuse d'écorché vif le déservirent et lui créèrent de nombreux ennemis.
Il faut dire que son caractère était devenu exécrable. Par exemple, la manière dont il s'y prit pour humilier un vieux professeur de médecine devant ses élèves, en soulignant avec hargne les erreurs involontaires que le vieil homme faisait dans ses conférences, fut jugée infâme.
Les collègues de Cardan essayèrent de le faire renvoyer en propageant des rumeurs sur sa manière d'enseigner, ses pratiques sorcières et divinatoires, son impiété et sa vie dissolue.
Cardan, nous l'avons vu plus haut, n'eut pas plus de chance avec son autre fils, Aldo. Son cadet, se révéla un fieffé voyou, ivrogne, joueur et paresseux, vivant d'expédients, fréquentant volontiers la pègre.Dans son autobiographie Cardan avoue ses heures de profonde tristesse et d'abattement.
«D'abord, ce fut mon mariage, deuxièmement, la mort cruelle de mon fils, troisièmement l'emprisonnement, quatrièmement l'ignoble caractère de mon plus jeune fils ».
En 1569, Aldo jouait tout ce qu'il possédait, ses affaires personnelles et l'argent de son père espérant entrer bientôt en possession de son héritage.
Comme la mort de son père tardait, Aldo, aidé d'Eufomia, le secrétaire et ancien élève de Cardan, entra par effraction dans la maison de son père et lui vola plus de trois cents livres d'argent et des pierres précieuses. Aldo fut banni et Eufomia condamné aux galères.
Très meurtri par ce cambriolage, Cardan porta plainte contre lui et Aldo fut banni de Bologne (1566). Mais le fils indigne se vengea et dénonça son père au tribunal de l'Inquisition comme sorcier et hérétique.
Arrêté sur ordre du Saint-Office en 1570, Cardan fut poursuivi pour avoir établi l'horoscope du Christ et divulgué des pratiques de sorcellerie dans un ouvrage de démonologie qui sentait le soufre, ainsi que pour un éloge de Néron.
Avant d'être jugé, Cardan passa plusieurs mois en prison. Libéré sous caution de mille huit cents écus d'or, mais interdit d'enseignement, de publication de ses travaux et radié de l'université de Bologne, Jérôme Cardan revenait à la case départ.
Mis en demeure d'abjurer, le 28 février 1571, il se soumet sans résistance aux exigences de la Sagra Congregazione, qui lui interdit désormais de publier quoi que ce soit et lui enjoint de détruire 120 manuscrits restés inédits.
Un autre malheur vint assombrir les vieux jours de Jérôme, sa fille Chiara qui se prostituait, mourut de la syphilis.
Fanfaron, provocateur né, assoiffé de notoriété et de célébrité, Cardan faisait feu de tout bois pour faire parler de lui et c'est ce qui le perdit.
Sur les conseils du cardinal Giovanni Morrone (son accusateur au tribunal de l'Inquisition) Jérôme part pour Rome implorer l'indulgence du pape (1572). Grégoire XIII l'accueille chaleureusement, lui pardonne ses excès, l'engage comme médecin personnel et le fait bénéficier d'une pension.En 1575, il est admis comme membre du collège des médecins de Rome.
A l'âge de 75 ans, Jérôme entreprend la rédaction en latin de son autobiographie De propria vita où il dévoile sans modestie ni pudeur les épisodes les plus scabreux de sa vie, espérant perpétuer ainsi son nom et obtenir une place dans l'Histoire.
Mais il meurt le 20 septembre de l'année suivante avant que cet onvrage, témoignage précieux sur l'Italie de la Renaissance ne soit publié. Il ne le sera à Paris qu'en 1643 et à Amsterdam en 1654. Une traduction allemande parut en 1914 et une française, de Jean Dayre, en 1936.
Elle vient d'être rééditée, accompagnée d'une importante préface d'Étienne Wolff et d'un appareil critique minutieux. De propria vita peut est considérée comme la première véritable autobiographie publiée en Occident.
Des auteurs prétendent que Cardan aurait prédit avec exactitude la date de sa mort. D'autres affirment que Cardan se serait suicidé le 21 septembre 1576 à Rome en se laissant mourir de faim, afin que sa prédiction astrologique soit confirmée par les faits. En effet, Cardan souhaitait ardemment que son nom passe à la postérité.
Homme libre flirtant avec la libre pensée, habitué aux coups de gueule, aux coups durs et aux provocations, il semble étrange que Cardan ait néanmoins toujours accordé son soutien inconditionnel à l'Église et reçu d'elle et de ses hauts dignitaires, aide et protection dans les moments les plus tragiques de son existence.Mathématicien, médecin, savant illustre en son temps, Jérôme Cardan n'a pourtant guère laissé à la postérité que son nom, attaché à sa découverte d'un système de transmission mécanique.
L'invention ingénieuse destinée à rendre les lanternes et les boussoles indépendantes des mouvements du navire a depuis lors trouvé son utilité dans d'autres domaines, telle la construction automobile. André Citroën, l'a notamment rendue célèbre à travers la traction avant à "cardans" encore utilisée de nos jours.
Marc Schweizer
2004
SOURCES:
Étienne Wolff,
De vita propria autobiographie de Cardan,
Richard Garnett, Giuseppe Benedetti
Leornardo Machado
Encyclopedia Universalis,
Marc Schweizer : Jérôme Cardan, un génie universel
Un Génie de la Renaissance |
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en latin : Cardanus - En italien : Girolamo Cardano (Pavie 1501 - Rome 1576) ASTROLOGUE, INVENTEUR ET MÉDECIN ![]()
La vie tumultueuse de Jérôme Cardan est un véritable roman picaresque. Ce personnage haut en couleur et surdoué incarne à lui seul le génie de la Renaissance, époque à la fois turbulente, inventive, trépidante, glorieuse. Personnalité hors du commun, à multiples facettes, d'une vitalité puissante et d'une intelligence pleine de contradictions, il fut considéré comme l'un des premiers médecins de son temps. «À la fois médecin et hypocondriaque, homme de science et astrologue, mathématicien et sorcier, philosophe mais inapte au bonheur, croyant fidèle à son Église mais jugé et condamné pour hérésie, sa principale obsession fut de passer à la postérité et le drame de sa vie, ses enfants.» Girolamo naît le 24 septembre 1501 à Pavie, rescapé d'une fausse couche. Enfant illégitime et non souhaité, il est le fils de Fazio Cardano (1445-1524) un vert quinquagénaire doué d'une vaste culture et bon mathématicien, et de Chiara Micheri, une veuve âgée de 30 ans mère de trois enfants qui moururent de la peste. Fazio Cardano n'était pas n'importe qui. Juriste et mathématicien connu, avocat célèbre, c'était un homme honorable et riche faisant partie des notables de la ville de Milan. ![]() Lorsque Chiara tomba enceinte de Jérôme, la peste ravageait Milan. Par prudence, le couple quitta la ville pour Pavie, où leur fils Girolamo naît le 24 septembre 1501. Lorsqu'elle apprend que l'aîné de ses trois enfants d'un précédent lit vient de mourir de la peste, la mère retourne à Milan, laissant Jérôme à son père. La petite enfance de Jérôme ne fut pas très heureuse. Chiara et Fazio vont vivre séparés durant plusieurs années et leur fils sera élevé à la dure par un père intraitable. Fazio ne l'encouragea pas trop dans cette voie mais n'y fit pas obstruction. Lorsqu'il eut 17 ans, il lui facilita l'inscription à l'université de Pavie où il avait lui-même étudié la médecine cinquante ans auparavant, puis à celle de Padoue, lorsque la guerre éclata obligeant l'université à femer ses portes. Fazio mourut au cours de la même année, peu avant que Jérôme qui avait postulé pour le rectorat, n'obtînt ce poste. Malgré sa dissipation, Jérôme Cardan obtint son doctorat en médecine en 1526 et posa aussitôt sa candidature pour un poste de professeur à la faculté de médecine de Milan où vivait sa mère. Appelé à Milan par sa mère, vers 1529, pour y tenter une nouvelle fois sa chance, Jérôme essuie un nouveau refus de l'université de Milan toujours pour les mêmes raisons : les circonstances obscures entourant sa naissance et sa réputation d'indiscipline. Il retourna à Saccolongo pratiquer une médecine de campagne et de terrain. En 1531, guéri de ses inhibitions, Cardan épousa Lucia, la fille d'un voisin, Aldobello Bandarini, capitaine de la milice, qui lui donnera deux fils, Giovanni Battista (1534), Aldo (1543) et une fille, Chiara (1535). Mais la chance, longtemps marâtre lui sourit enfin. En 1534, Cardan se vit confier le poste de professeur de mathématiques que son père occupait à la Fondation Piatti de Milan. Cette activité lui laissait suffisamment de temps libre pour exercer une médecine libérale en ville et il soigna avec succès quelques notables. Au cours de la même année, il fut nommé médecin attitré auprès du chapitre de Saint-Amboise. ![]() Mais le caractère ombrageux de Cardan ne lui permettait pas de jouir tranquillement de sa récente renommée. Rancunier, ruminant encore son échec au Collège médical de la ville, il publia en 1536 un pamphlet où il attaquait et se moquait des doctes médecins de la vénérable institution. Sa bonne connaissance des mathématiques lui donnait un net avantage sur ses partenaires, car il mit au point une martingale, une technique d'évaluation des chances lui permettant de gagner plus qu'il ne perdait. Mais cette passion l'entraîna sur une voie sans grand avenir, dans un monde interlope, dangereux et malsain. A côté de l'exercice de la médecine et de son enseignement qui le faisaient vivre, Jérôme Cardan s'intéressait passionnément à de nombreux domaines scientifiques. Son nom est étroitement associé, dans le domaine mathématique, à ceux de Scipione del Ferro, Rafaele Bombelli, Niccolo Tartaglia, Ludovico Ferrari, ses compatriotes et contemporains italiens, auxquels le lièrent tantôt l'amitié dans une saine émulation, tantôt la rivalité et la rancune. ![]() Le problème qui les rassemble est la résolution générale des équations polynomiales du 3e et 4e degré. Si la résolution de celles du 2e degré était banalisée depuis les Babyloniens puis Euclide, sur des cas particuliers, et avait été développée par Al Khwarizmi, les polynômes de degrés supérieurs semblaient défier les mathématiciens. En 1538, enfin, il obtient, grâce à de puissantes amitiés, la licence d'enseigner de plein droit à Milan. Il doit aussitôt faire face à une cabale de ses principaux détracteurs. Suite à une campagne de calomnie où on l'accuse, en autres, de s'adonner à la magie et à la sorcellerie, - ce qui n'était pas faux - il se vit remplacé à l'Académie Piatti par Giovanni da Colla. Sa querelle des équations cubiques avec Tartaglia débute à la même époque. En tant que médecin, Cardan obtint plusieurs guérisons spectaculaires que le bouche-à-oreille répandit à travers la ville si bien que sa renommée grandissante lui amena la clientèle inattendue de quelques grands malades, médecins officiels appartenant au Collège de la ville! Admis en son sein sur la pression de personnes haut placées, l'Université dut revoir sa position et offrir une place honorable à Cardan parmi les siens. ![]() En 1541, Jérôme Cardan équipe le carrosse impérial de Charles Quint d'une suspension composée de deux arbres dont le mouvement de roulement devait éviter qu'il ne basculât. Lors de cette visite de l'empereur, il eut l'honneur de porter le dais de Charles Quint à son entrée à Milan, en tant que recteur du Collège des médecins de Milan. ![]() Recteur de la faculté de médecine, appelé consulté par des célébrités, Cardan acquit la flatteuse réputation de "plus grand médecin dans le monde". ![]() Comme la plupart des savants de l'époque - nous l'avons vu - Cardan croyait à l'astrologie et s'y adonnait. Mais, dans ce domaine, il n'eut pas la plume très heureuse ! Précurseur de l'OOBE (out-of-body experiment), Jérôme Cardan vécut, vers 1556, quelques expériences curieuses de transe extatique au cours desquelles il sentait son corps et son esprit se dédoubler. Tout en demeurant lucide et conscient, il voyait son double venir s'asseoir en face ou à côté de lui, immobile, et, durant tout le temps que durait ce dédoublement, il ne souffrait plus de la goutte qui le torturait quasi constamment. Parvenu au sommet de la gloire, il fut durement frappé dans son affection filiale. ![]() |
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