LES CALCULATEURS PRODIGES
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LES POUVOIRS PRODIGIEUX
DE NOTRE MÉMOIRE
- Le phénomène inexpliqué à ce jour des calculateurs prodiges suscita à toutes les époques de l'histoire la curiosité des savants aussi bien que l'intérêt du grand public.
- Nous connaissons la fabuleuse capacité de calcul mental que possédaient certains génies scientifiques. Les physiciens André Marie Ampère (1775-1836) et François Arago (1786-1853), sir Charles Wheatstone (1802-1875), Karl Friedrich Gauss (1777-1855), le russe Sergueï Kamarowski, de même que les naturalistes anglo-saxons Georges Bidder ou John Whateley calculaient de tête à la vitesse d'un ordinateur.
- Mais ce qui impressionna les foules aussi bien que le monde savant, fut l'existence de calculateurs prodiges quasiment illettrés, n'ayant bénéficié d'aucune instruction particulière et dont les performances étaient remarquables tels Colburn toujours dernier de sa classe, Buxton qui ne sut même pas écrire son nom ou Einaudi qui n'apprit à lire et à écrire que vers l'âge de 20 ans.
- Sans doute devons-nous considérer certains éléments de cette saga des calculateurs prodiges comme appartenant à la légende, comme bien d'autres exploits et hauts faits de l'Histoire.
Drésigène
(Ve siècle av. J.-C.)
- Le premier calculateur prodige dont l'histoire a retenu le nom, fut certainement Drésigène, l'enfant de la montagne de Crotone, qui étonna Pythagore par ses dons d'observation et de calcul mental.
- L'enfant était capable de dénombrer en un instant, à dix olives près, le contenu d'une jarre ou d'évaluer le nombre de fruits que portait un olivier sur pied.
A grande distance, il pouvait dire instantanément le nombre de moutons ou de chèvres que comportait un troupeau de plusieurs centaines de bêtes.
Nikomachos
(Ier siècle de notre ère)
- Le professeur Robert Tocquet, dans un ouvrage sur les calculateurs prodiges, cite également Nikomachos, un berger qui vivait au second siècle de notre ère à Gerasa en Palestine, et dont on rapporte qu'il étonna ses contemporains par la rapidité avec laquelle il résolvait mentalement les additions, les soustractions, les multiplications et les divisions les plus complexes.
Hänseli
L'orphelin d'Einsiedeln
(XIIe siècle)
- Au Moyen-Age, près d'Einsiedeln en Suisse, vivait un orphelin difforme considéré comme l'idiot du village. Le pauvre Hänseli était laid, contrefait et il bégayait, à la grande joie des enfants du village qui le tourmentaient sans cesse. Mais le gamin possédait une prodigieuse capacité de calcul mental qui le fit remarquer par les marchands qui empruntaient quotidiennement la route du Gothard et qui s'étaient donné le mot. Ils invitaient l'enfant à l'auberge pour lui poser des colles qu'il résolvait avec une aisance tout à fait étonnante.
- Ainsi, il pouvait dire exactement combien de pièces contenait une bourse fermée et prédire la somme d'argent qu'un négociant obtiendrait pour les marchandises que portaient ses mules.
Mathieu Le Coq
(XVIIe siècle)
- Dans l'ouvrage déjà cité, nous lisons encore : «Balthasar de Monconys rapporte, dans une relation de son troisième voyage en Italie, qu'en 1664, à Florence, le Lorrain Mathieu Le Coq, alors âgé de huit ans, faisait, depuis deux ans, sans savoir lire ni écrire, d'étonnantes opérations arithmétiques telles que multiplications à 5 ou 6 chiffres, extractions de racines carrées et cubiques.»
- Le jeune Mathieu parvenait sans effort à compter instantanément le nombre de brebis d'un troupeau ou la quantité de pommes que comportait un arbre.
Thomas Fuller
l'esclave nègre de Virginie
(XVIIIe siècle)
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- Thomas Fuller, esclave nègre de Virginie, totalement illettré était arrivé en Amérique âgé de 14 ans. Il fut acheté par une famille de fermiers illettrés eux aussi, Presley et Elisabeth Cox, possédant déjà 16 esclaves. Thomas devint leur préféré notamment en raison de son aptitude surprenante au calcul mental, qui épata la famille et son entourage.
- Quand il eut environ soixante-dix ans (ses pouvoirs de calculateur semblent avoir bien resisté aux années), deux gentlemen de Pensylvanie, William Hartshorne et Samuel Coates, hommes dignes de confiance, entendirent parler de Tom. Ils eurent la curiosite de le rencontrer, et lui posèrent des problèmes de plus en plus difficiles auxquels il répondit aisément.
- Ils finirent par lui demander combien il y avait de secondes dans une année et demie ? Tom trouva en deux minutes la réponse : 47 340 000.
- A la seconde question, plus dificile encore, combien de secondes a vécu un homme qui a soixante-dix ans, dix-sept jours et douze heures, Fuller répondit, en moins de temps encore : 2 210 500 800.
- Un des examinateurs, crayon en main, prit le temps de faire le calcul et ravi de prendre le prodige en défaut, dit à Tom qu'il se trompait, et que le nombre des secondes était moins grand.
- Mais le Nègre lui démontra patiemment que la différence des deux résultats tenait aux années bissextiles !
- Tom Fuller mourut à quatre-vingts ans tout aussi ignorant, mais connu de toute la Colonie pour sa faculté d'effectuer mentalement les calculs les plus compliqués.
- Il fut toujours reconnaissant à ses propriétaires de ne pas l'avoir revendu alors que des négriers, promoteurs de spectacles, leur offraient une fortune pour l'exhiber dans les foires du pays.
Jedediah Buxton
(1702-1762)
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- Le cas de Jedediah Buxton (1702-1762) originaire d'Elmeton près de Chesterfield en Angleterre nous est raconté par Alfred Binet.
- Cet ouvrier était considéré comme un pauvre type sans intelligence ni culture.
- C'est à peine s'il savait griffonner son nom. La table de multiplication était la seule chose qu'il connût. Jedediah possédait en revanche un remarquable don d'observation et une excellente mémoire des chiffres. Il pouvait dire instantanément le nombre de secondes contenues dans un jour, dans une année, dans un siècle en tenant compte des années bissextiles. Fermé aux autres disciplines de l'esprit, Buxton se révélait un virtuose des chiffres, un "véritable maniaque de l'arithmétique". La renommée de ses exploits en calcul mental le fit inviter à soumettre ses dons à l'examen des membres éminents de la Royal Society de Londres. Jedediah étonna ces savants gentlemen qui, pour le récompenser, l'habillèrent de pied en cap et le conduisirent au théâtre.
- Le prodige assista à une représentation de Richard III joué par le célèbre Garrick, donnée dans l'élégant théâtre de Drury-Lane.
- A la sortie, convié au Club de la vénérable Royal Society, on lui demanda s'il avait apprécié cette pièce et le jeu des acteurs. Buxton répondit que cette représentation lui avait permis d'effectuer des calculs intéressants. A l'étonnement de ses hôtes, il affirma que le nombre de pas effectués par les acteurs avait été de 5202, que les mêmes acteurs avaient prononcé 12.445 mots dont tant pour le nombre de mots dits par Garrick. «Tout cela, étudié et vérifié par la suite, fut reconnu exact», nous précise Alfred Binet.
- Une autre curiosité que présente le cas Buxton réside dans l'étalon de mesure qu'il s'était choisi pour effectuer ses calculs: "l'épaisseur d'un cheveu", fixée par lui de façon arbitraire.
- Jeremiah Buxton possédait un autre don très utile. Il pouvait évaluer avec une très grande exactitude, d'un seul regard, la superficie d'un terrain, d'un étang, d'une forêt, sans avoir recours à une chaîne d'arpenteur.
- Appelé par des propriétaires fonciers, des géomètres, des armateurs, il pouvait déterminer d'un simple coup d'Sil par calcul mental l'étendue d'un domaine ou la jauge d'un navire.
- John Krickpatrick, le régisseur du seigneur du comté, remarqua que Jeremiah évaluait toutes les données en "carrés" ou "cubes de l'épaisseur d'un cheveu", son étalon de mesure personnel, avant de les convertir tout aussi rapidement en acres, inches ou pouces...
Zerah Colburn
(1804-1839)
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- Né à Cabot dans le Vermont Zerah montra dès son plus jeune âge des aptitudes précoces pour le calcul mental. Il sut calculer avant même de savoir lire et écrire. A l'âge de cinq ans il connaissait la table de multiplication par cSur mais se révéla très médiocre dans toutes les autres branches étudiées à l'école.
- La famille Colburn ne roulant pas sur l'or, le père spécula très vite sur l'argent qu'il pourrait gagner en exploitant le don de son fils.
- Zerah partageait également une curieuse particularité physique avec d'autres membres de sa famille : la polydactylie. Ce doigt et cet orteil supplémentaire à chaque main et chaque pied, parfaitement formés de leurs phalanges, parurent évidemment au père un atout supplémentaire pour son projet.
- L'enfant fut bientôt en mesure de résoudre des problèmes tels que le produit de 12 225 X 1223, ou de la racine carrée de 1449. Au même âge, il ne lui fallait que six secondes pour indiquer le nombre d'heures que comportent trente-huit ans, deux mois et sept jours.
- L'avarice de son père fit avorter diverses tentatives de personnes généreuses qui souhaitèrent permettre au jeune surdoué de se cultiver davantage et d'approfondir l'étude des maths pour lesquelles il témoignait d'exceptionnelles dispositions.
- En fait, Colburn fut semble-t-il le premier calculateur prodige "professionnel" que l'on exhiba sur scène au cours de tournées de cirque ou de music-hall, d'abord en Amérique puis en Europe, notamment à Londres et à Paris (1814).
- A Paris, il étudia quelques mois au Lycée Henri IV grâce à la recommandation de Washington Irving, écrivain et journaliste célèbre qui s'était intéressé au jeune prodige. Mais, mal accepté et chahuté par les autres élèves, il ne progressa guère dans ses études et partit pour Londres, frustré.
- En Grande Bretagne, pour survivre entre deux exhibitions, Zerah Colburn effectua des calculs astronomiques pour Thomas Young un savant à l'esprit universel et servit quelque temps comme secrétaire au Bureau des Longitudes.
- Mais au fil des années sa prodigieuse faculté mentale s'émoussa et il lui arriva de sécher sur scène, s'attirant des lazzis et des huées.
- En fait le principal défaut de Colburn résidait dans son colossal orgueil et son incommensurable vanité dont témoigne son autobiographie. Dans sa fatuité, il va jusqu'à se proclamer sans rire comme "la plus grande intelligence de la terre".
- Le succès se faisant rare, son don de calculateur prodige ne faisant plus recette, son impresario de père tenta de le pousser vers le théâtre. L'adolescent courut le cacheton mais se révéla acteur médiocre et sans talent, et ne rencontra jamais le moindre succès.
- En 1821, sans ressources, il abandonna cette nouvelle carrière pour fonder une école privée où il se proposait d'enseigner les mathématiques. Nouveau fiasco.
- Après la mort de son père en 1824, il retourna en Amérique bien plus pauvre qu'il n'en était parti, et, toujours à la recherche d'une idée lui permettant de gagner sa vie, il se tourna vers la religion.
- L'Église Méthodiste l'acceuillit à bras ouverts, lui apprit à composer des sermons et à prêcher, ce dont il s'acquitta plutôt bien, et, dans la foulée, il se vit ordonné Pasteur.
- Il mourut de tubrculose à l'âge de trente-cinq ans, laissant une femme et trois enfants.
Johann Martin Zacharias Dase
(1824-1861)
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- Jeune Allemand né à Hambourg, Johann Dase se révéla surdoué pour les chiffres dès son plus jeune âge. Mais préférant jouer aux dominos que suivre les cours de l'école, il végétait sans trouver sa voie.
- Il profita de sa rapide notoriété de calculateur prodige pour tenter de survivre en se produisant en public. Mais ses prestations n'intéressaient guère le grand public fréquentant les foires, qui leur préférait la femme à barbe, les filles déshabillées, les cul de jatte ou les monstres à deux têtes !
- Seul le monde scientifique se passionna pour ses exploits : parmi les plus impressionnants, il donna en 54 secondes, de tête, le produit de la multiplication de 79 532 853 x 93 758 479. Il multiplia deux nombres de 20 chiffres en 6 minutes; deux de 40 chiffres en 40 minutes; et deux nombres de 100 chiffres en 8 heures et 45 minutes, étonnant le célèbre mathématicien Carl Friedrich Gauss qui assistait à l'une de ses prestations.
- Dase a établi une table de logarithmes de 7 décimales, après avoir calculé les logarithmes naturels des nombres de 1 à 100 500. Il a également formulé les 205 premières décimales de pi (π) d'après les nombres complexes et la célèbre formule de John Machin découvertes au XVIIIe siècle.
- Protégé par le roi Frédéric-Guillaume IV, il fut modestement hébergé à ses frais dans une pension de famille, engagé quelque temps au Ministère des finances de Prusse.
- Il mourut subitement dans son sommeil d'un accident vasculaire cérébral.
Henri Mondeux
(1826-1862)
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- Henri Mondeux, né en 1826 à Neuvy-le-Roi près de Tours, connut une célébrité éphémère. Fils d'un bûcheron, trop pauvre pour fréquenter l'école, il ne savait ni lire ni écrire, mais passait ses journées dès l'âge de 7 ans à garder les moutons d'un éleveur du voisinage. Il occupait son temps à compter et recompter des petits cailloux ou des brindilles qu'il disposait de différentes façons, sans connaître les chiffres.
- Surpris dans ses étranges activités par des voisins intrigués par ses jeux, l'un d'eux parla de lui à un instituteur de Tours.
- M. Jacoby vint observer l'enfant, s'entretint avec lui et fut époustouflé par l'extraordinaire capacité de mémorisation du jeune berger.
- Le brave homme tenta de l'instruire, de lui apprendre les rudiments de la lecture et de l'écriture, mais sans succès. Ses seules prédispositions résidaient dans le calcul mental dont la faculté, sous la houlette attentive de l'instit, se développa prodigieusement.
- M. Jacoby décida de conduire l'enfant à Paris pour le soumettre à l'examen de plus savants que lui. Une commission d'examen fut réunie à l'Académie des sciences, comprenant d'éminents savants tels Arago, lui-même excellent calculateur, les mathématiciens Charles Sturm, Joseph Liouville et Augustin Louis Cauchy.
- La commission reconnut les extraordinaires facultés de calculateur mental de l'enfant, sa prodigieuse mémoire des chiffres et des nombres, mais observa en revanche ses lacunes dans le domaine de la géographie et des noms de lieu et son son manque d'intérêt et son inattention totale pour les noms de choses, des objets les plus courants.
- Malgré les efforts de son protecteur il ne parvint jamais à maîtriser l'orthographe ni d'autres matières indispensables à une instruction élémentaire.
- La commission étudia les méthodes de calcul utilisées par le jeune prodige et constata que « Henri Mondeux imagine des procédés quelquefois remarquables pour résoudre une multitude de questions diverses que l'on traite ordinairement par l'algèbre... »
- Cauchy termina son rapport en souhaitant que Henri Mondeux se distinguerait dans la carrière des sciences, mais malgré ce vSu optimiste, le jeune prodige mourut dans l'obscurité.
Vito Mangiamele
(1826-1859)
- Ce jeune pâtre sicilien fit lui aussi partie des calculateurs prodiges étudiés par Arago. Fils d'un paysan pauvre, autiste de surcroît, Vito passait dans son village pour "idiot". Mais, en ce temps-là, l'idiot du village n'était pas méprisé comme il le serait de nos jours: il était "tabou", honoré et protégé comme un saint.
- Selon The American Journal of Psychology du mois d'avril 1891, Vito Mangiamele ne communiquant qu'avec peine avec autrui, se montra incapable d'expliquer comment il parvenait à trouver la solution des problèmes qu'on lui posait.
- Présenté par Arago à l'Académie des sciences, l'enfant répondit avec aisance à plusieurs questions difficiles posées par des membres de cette docte assemblée.
- On lui demanda par exemple: Quelle est la racine cubique de 37 96 416 ? En moins de 30 secondes, il donna la solution exacte : 156.
- Après quelques années de notoriété on n'entendit plus parler de lui et il semble qu'il mourut dans l'anonymat vers 1859.
Adrien Prolongeau
(1832-1862 ?)
- Plus étrange encore le destin de cet enfant né sans bras ni jambes qui manifesta dès le plus jeune âge "une incroyable agilité mentale dans le domaine des chiffres et des nombres." (American Journal of Psy).
- "Ce don de calcul mental instantané était doublé d'un extraordinaire don de voyance qui lui permettait de prévoir les chiffres qui allaient sortir d'une loterie ou d'un jet de dés."
- La commission désignée par l'Académie des sciences parmi laquelle figuraient Arago et Cauchy examina l'enfant âgé de 6 ans et demi constata son étonnante aptitude pour le calcul, lui permettant d'élucider avec aisance toutes les opérations arithmétiques et les équations algébriques du 1er degré.
- La petite histoire prétend que l'enfant fut adopté par des forains qui l'exhibèrent à travers l'Europe, de foire en fête foraine, allongé dans une verdine, revêtu d'une parure gitane, étonnant les badauds par son agilité mentale et ses pronostics toujours exacts lorsqu'il s'agissait de chiffres ou de nombres.
- Selon Canler, chef de sûreté de la police parisienne, Louis-Napoléon Bonaparte après l'échec de sa seconde tentative de prise de pouvoir à Boulogne en 1840, ayant interrogé le jeune cul-de-jatte sur son avenir, se serait vu répondre qu'il retrouverait le trône de son ancêtre et que son règne durerait 20 ans.
Jacques Inaudi
(1867-1950)
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- Le plus célèbre et le plus populaire des calculateurs prodiges contemporains fut sans conteste Jacques Inaudi. Né en 1867, à Onorato, dans une famille piémontaise très pauvre, il travailla comme pâtre dès le plus jeune âge.
- Un berger lui ayant appris à apprivoiser les marmottes, l'enfant réussit à en faire ses compagnes de jeu.
- A six ans, il fut pris par la passion des chiffres. Tout en gardant son troupeau de moutons, il combinait des nombres dans son esprit, de sorte qu'à sept ans il était déjà capable d'exécuter de tête des multiplications de cinq chiffres. Pourtant, n'ayant jamais été à l'école, il ne savait pas ni lire ni écrire et ne connaissait pas la table de multiplication !
- Bien différent de la plupart des calculateurs connus, Inaudi ne cherchait pas à donner une forme matérielle à ses calculs, en comptant sur ses doigts ou au moyen de cailloux par exemple, comme le faisaient Mondeux et Ampère. Chez lui, toute l'opération restait mentale et se faisait avec des mots: il se représentait les nombres par les noms que son frère aîné lui avait énumérés.
- Ce fut donc par l'oreille qu'il apprit les noms des nombres jusqu'à cent, et il se mit à jongler mentalement avec ceux qu'il connaissait. Quand il eut parfaitement maîtrisé ses premiers exercices, il demanda qu'on lui apprît les nombres supérieurs à cent, afin d'étendre le domaine de ses opérations.
- Ayant perdu leur mère, le père se désintéressant de sa progéniture, les deux frères décidèrent de partir à l'aventure sur les routes du nord de l'Italie et de France. Ils survécurent comme "montreurs de marmotte" dans les foires et sur les places publiques. Son frère jouait de l'orgue de Barbarie, Jacques exhibait la marmotte qui se prêtait à ses jeux, et tendait la sébille.
- Il proposait en outre aux badauds ébahis des opérations de calcul mental auxquelles ils ne comprenaient vraisemblablement rien. Sur les marchés, il arrivait à l'enfant d'aider les paysans à faire leurs comptes:
- « En réalité, écrira-t-il dans ses souvenirs, j'étais très étonné que ces hommes, généralement très malins, ne connussent pas d'une façon naturelle le résultat de leur compte que je connaissais moi-même, presque instantanément, rien qu'en les écoutant, ce qui me donna la hardiesse, un jour, de prendre part à une discussion de règlement de comptes entre deux paysans prêts à en venir aux mains et que je ramenai au calme après leur avoir démontré qu'ils se trompaient tous les deux; cette altercation n'avait pas été sans attirer la foule, qui fut très étonnée qu'un petit bout d'homme sût mieux compter que les grands. Les plus forts en calcul me posèrent différentes questions auxquelles je répondis juste et très facilement, restant toujours étonné que l'on pût ignorer ces résultats qui semblaient si naturels. Par la suite, les paysans venaient me chercher dès que surgissait une difficulté. »
Les savants étudient son cas
- Bientôt, Inaudi et son frère se produisirent dans les cafés, où ils furent remarqués par un voyageur de commerce, un certain M. Dombey.
- Ce qui intéressait M. Dombey ce n'était pas leur numéro de montreur de marmotte, mais l'étonnante capacité du petit Jacques de résoudre mentalement des calculs difficiles.
- Devenu son imprésario, il prit l'enfant sous sa coupe, dédommagea chichement son frère avant d'emmener le petit Jacques, faire des tournées en province, puis à Paris.
- Dans la capitale, son mentor attira l'attention de Camille Flammarion sur le jeune prodige. Le savant homme surpris par sa précocité et sa fabuleuse mémoire, lui consacra quelques articles en diverses revues scientifiques.
- Le célèbre anthropologiste Paul Broca l'examina à son tour et rédigea une courte note sur son cas. Broca constata que la tête de Jacques Inaudi était très volumineuse et très irrégulière, ce qui l'intrigua.
- A cette époque, en effet, on se chamaillait dans les milieux scientifiques sur la possibilité de localiser les fonctions cérébrales dans des régions précises du cerveau et sur l'existence de capacités spécifiques correspondant aux "bosses" du visage !
- Or le développement du cerveau influant sur la forme du crâne certains savants en déduisirent hâtivement qu'une capacité particulièrement développée (gaieté, causalité, bienveillance, etc.) inscrirait sa trace sur la "carte" qui apparaît sur le crâne.
- Dès le début du XIXe siècle, le neurologue viennois François Joseph Gall (1757-1828) avait énoncé cette théorie sous le nom de phrénologie dans son ouvrage majeur, paru en 1820 à Paris : « Anatomie et physiologie du système nerveux en général et du cerveau en particulier avec des observations sur la possibilité de reconnaître plusieurs dispositions intellectuelles et morales de l'homme et des animaux par la configuration de leur tête. »
- La forme étrange de la tête du jeune Inaudi évoqua sans doute pour les hommes de science qui l'examinaient cette théorie, restée dans la mémoire populaire sous l'expression "avoir la bosse des maths".
- Vers 1880, âgé de 13 ans, le jeune prodige se produisit à Paris à la salle des Capucines puis au théâtre Robert-Houdin, avant de reprendre sa tournée en province et à l'étranger.
- Ce n'est qu'en 1892 qu'il revint à Paris. Entre temps M. Dombey avait "vendu" le jeune phénomène à un autre impresario, un certain M. Thorcey, qui se préoccupa davantage de l'instruction de son protégé. Il lui apprit à lire et à écrire ce qui permit à son intelligence de s'épanouir.
- A son arrivée à Paris, le jeune homme âgé de vingt-quatre ans est «toujours aussi petit (1,52 m), le corps frêle surmonté d'une tête un peu disproportionnée, des yeux légèrement bridés, un angle facial très développé, presque droit».
- D'après Binet, il a un caractère doux et modeste, parle peu et garde une attitude plutôt réservée. Son instruction n'est pas encore bien grande et ses sujets de conversation restent assez limités.
- Son imprésario le présente à l'Académie des sciences qui nomme une commission chargée d'étudier le calculateur. Elle comprend MM. Darboux, Poincaré, Tisserant et Charcot. Alfred Binet en fait ensuite partie.
L'avis de Charcot
- Charcot qui l'a étudié note : « on n'a pas de peine a s'apercevoir que Jacques Inaudi a une bonne intelligence naturelle. Au laboratoire, il s'est interessé aux appareils qu'on faisait fonctionner devant lui; il a compris le maniement du chronomètre de d'Arsonval avec une promptitude d'esprit qui nous a frappés d'autant plus que la majorité des personnes sont très lentes à comprendre comment on doit réagir. En dehors de ses exercices, il est d'une grande distraction, ses oublis des choses de la vie quotidienne forment un piquant contraste avec sa prodigieuse mémoire pour les chiffres. Il lit les journaux, converse volontiers avec les autres et parle de politique; d'une nature douce et gaie, il rit beaucoup et joue aux cartes et au billard. »
- Souvent son imprésario a remarqué « qu'il ne reconnaissait pas une ville où il était déjà venu donner des représentations. Plus qu'un autre, il oublie ses gants et sa canne en visite, et jusqu'à ses heures de rendez-vous. Peut-être y met-il un peu de malice, pour se donner l'occasion de plaisanteries faciles. »
Rapport de la commission de l'Académie
- Après d'innombrables expériences, la commission, par la plume de M. Darboux, délivre ses conclusions :
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Spécialiste de la soustraction
- « Signalons tout d'abord, écrit Darboux, que les résultats dont nous avons été témoins reposent avant tout sur une mémoire prodigieuse. A la fin d'une séance donnée aux élèves de nos lycées, Inaudi a répété une série de nombres comprenant plus de 400 chiffres. Dans une de nos réunions, nous avons donné à Inaudi un nombre de 22 chiffres. Huit jours après, il pouvait nous le répéter, bien que nous ne l'eussions pas prévenu que nous le lui demanderions de nouveau. »
- « Un second point, qui me paraît des plus importants, a été laissé de côté par la plupart des personnes qui l'ont examiné. On a analysé avec soin les procédés, à coup sûr très simples, qu'emploie Inaudi pour exécuter les différentes opérations; mais on n'a pas assez remarqué un fait qui est de toute évidence: c'est que ces procédés ont été imaginés par le calculateur lui-même, qu'ils sont tout à fait originaux. »
- « Et, ce qu'il y a d'intéressant, c'est que ces règles diffèrent de celles qui sont enseignées partout en Europe, tandis que quelques-unes se rapprochent, à certains égards, de celles qui sont suivies chez les Hindous, par exemple. C'est ce que mettra en évidence l'exposé suivant : »
Addition
- « Inaudi ajoute facilement 6 nombres de 4 ou 5 chiffres; mais il procède successivement, ajoutant les deux premiers, puis la somme, au suivant, et ainsi de suite. Il commence toujours l'addition par la gauche, comme le font aujourd'hui les Hindous, au lieu de la commencer par la droite comme nous. »
Soustraction
- « C'est un des triomphes d'Inaudi. Il soustrait facilement l'un de l'autre deux nombres d'une vingtaine de chiffres, en commençant encore par la gauche. »
Multiplication
- « Les procédés sont tous élémentaires, mais ils exigent la mémoire d'Inaudi. Par exemple, pour multiplier 834 par 36, il fait les décompositions suivantes :
800 × 30 = 24 000
800 × 6 = 4 800
30 × 36 = 1 080
4 × 36 = 144
Total : 30 024- « Dans toutes ces multiplications partielles, un des facteurs n'a jamais qu'un chiffre significatif. Cependant, Inaudi connaît et emploie la propriété du facteur 25 ; il sait que pour multiplier par ce nombre il suffit de prendre le quart du centuple. Par exemple, pour le carré de 27, il fera la décomposition suivante :
25 × 27 = 675
2 × 27 = 54
Total : 729- « Quelquefois il emploie des produits partiels affectés du signe " " Par exemple, pour le cube de 27, c'est-à-dire le produit de 729 par 27, il effectuera la décomposition :
- 700 × 20 ; 700 × 7 ; 30 × 20 ; 30 × 7 ou 730 × 27 = 19710 "" 27 = 19 683.
Division
- « Ici, Inaudi suit, au fond, la règle ordinaire, qui ramène la division à une soustraction, mais en employant quelquefois les simplifications que lui permet sa mémoire, à laquelle il faut toujours revenir.»
Élévation aux puissances
- « Pour l'élévation aux puissances, Inaudi connaît et applique la règle relative au carré d'une somme.
- Par exemple, pour le carré de 234 567, il emploie la décomposition : 234 000 2 + 2 × 234 000 × 567 + 567 2. D'autre part (ce que ne signale évidemment pas le rapport Darbaux), Inaudi, alors qu'il était âgé de quatre-vingt-un ans, a découvert, en 1948, une loi générale qu'il énonça en ces termes :
- « Pour connaître, par exemple, la somme des 25 premiers cubes, je multiplie 25 par 26 et j'obtiens 650. Je divise le résultat par 2, ce qui fait 325, et j'élève au carré, ce qui donne le nombre cherché: 105 625. »
- Ainsi Inaudi a retrouvé, d'une façon empirique, la formule qui donne la somme des cubes des n premiers nombres entiers et qui s'écrit :
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- Henri Mondeux avait également imaginé ce procédé.
Extraction de racines
- « Ici, aucune règle n'est suivie, il n'y a que de simples tâtonnements, Par exemple, pour trouver une racine qui est 14 672, Inaudi aura essayé 14 000 et 15 000, puis 14 600, puis 14 650, 14 660, 14 670.., et, chaque fois, la puissance du nombre essayé aura été retranchée du nombre supérieur.
- Inaudi résout également des questions d'arithmétique et d'algèbre difficiles dont la solution est fournie par des nombres entiers. »
Conclusion
- Inaudi calculait avec une rapidité surprenante. Aussi, en 1924, Maurice d'Ocagne eut l'idée d'organiser, à la Société des Ingénieurs civils, un concours opposant le calculateur aux machines à calculer de l'époque, Inaudi fut vainqueur de la machine dans les additions, les soustractions, les élévations de puissances, les extractions de racines et dans la plupart des multiplications. C'est à partir des multiplications de cinq chiffres que la machine se révéla plus agile que l'homme.
- Dans les autres cas, Inaudi avait déjà donné le résultat de l'opération alors que la machine n'avait pas fini d'en inscrire les facteurs.
- Au surplus, comme la plupart des calculateurs prodiges, Inaudi donnait quasi instantanément, ce que ne pouvait faire la machine, le jour correspondant à une date quelconque. Il lui fallait, en moyenne, une à deux secondes pour fournir la réponse, mais, comme nous le verrons, il existe des procédés simplificateurs permettant de résoudre très rapidement ce petit problème, et il est vraisemblable qu'Inaudi les employait.
- Alfred Binet, qui a étudié Inaudi au point de vue psychologique, a montré que le calculateur était essentiellement un «auditif» et que sa mémoire était très spécialisée.
- Alors qu'il avait la faculté de retenir des centaines de chiffres, Jacques Inaudi était incapable de répéter plus de cinq à six lettres énoncées dans un ordre quelconque. Ainsi il ne parvenait pas à retenir et à répéter la suite de lettres a, r, g, t, s, m, t, u, par exemple. Il présentait la même impuissance pour réciter deux lignes de vers ou de prose.
- En revanche, il lui était possible de soutenir une conversation, de répondre avec esprit et à-propos à une série de questions, pendant qu'il résolvait de tête un problème arithmétique compliqué.
Sources :
Linda Berkowa : Kowalski un génie oublié
Lewis Bernstein : Génies mathématiques et calculateurs prodiges
Alfred Binet : Mémoires fabuleuses
Camille Flammarion : Notice sur Jacques Inaudi
Pierre Genève : Autisme et calculateurs prodiges (Science & Magie 1992)
Oscar Malango : Histoire des mathématiques
Balthasar de Monconys : Voyages en Italie
Robert Tocquet : Les calculateurs prodiges
La Parapsychologie Tome : Les Extra-sensoriels
Ouvrage Collectif - Éditions Tchou - 1976
Encyclopédie Wikipédia
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