Dans l'un des tout premiers numéros de Science & Magie vous avez publié sur le Sanctum Martyrium un bref article qui me mit l'eau à la bouche. Disposant de quelques loisirs forcés, je m'intéressai à ce haut lieu du mystère et je découvris des choses étonnantes que je vous livre volontiers, même si elles peuvent vous paraître incroyables.
(Pour la bonne compréhension de ce récit, nous rappelons ci-après l'essentiel de notre article du N° 1 de S & M. - N.D.L.)
"Le Pape Clément, troisième successeur de Pierre, chargea Denys, disciple de saint Paul, d'évangéliser la Gaule. Avec ses compagnons Eleuthère et Rustique il prêcha jusque dans Lutèce. Le préfet romain Sisinius Fesceninus les fit arrêter dans une carrière située sous l'actuel faubourg St Jacques et incarcérer à la prison du Glaucus, à l'île de la Cité.
Torturés et mis sur le gril à la pointe amont de l'Ile il les condamna à être décapités à Montmartre, devant le temple de Mercure. Mais les soldats qui conduisaient Denys et ses compagnons à leur supplice, peinaient sur le chemin escarpé et n'eurent pas le courage de gravir la montagne jusqu'à son lointain sommet.
Ils les décapitèrent à mi-pente, près de l'actuel métro Abbesses, là où se trouve aujourd'hui le 9 de la rue Antoinette (qui s'appela jadis curieusement rue Marie-Antoinette - autre décapitée célèbre).
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La décollation faite, Denys se releva, ramassa sa tête, reprit l'escalade de la butte, lava son chef souillé à une source (la fontaine Saint Denis, impasse Girardon), dévala le versant nord, parcourut ainsi plusieurs kilomètres, pour finalement, tomber et expirer aux pieds de Catulla, une pieuse veuve qui l'inhuma dévotement. La légende dit que le blé poussa immédiatement sur sa tombe pour la dissimuler aux profanateurs.
Ce fut là que sainte Geneviève éleva un oratoire au saint, berceau de la future basilique de Saint-Denis.
A l'emplacement de la décollation, les croyants aménagèrent une crypte souterraine, le Sanctum Martyrium, au-dessus de laquelle fut bâtie une chapelle, puis quelques siècles plus tard, l'abbaye de Montmartre."
Voilà pour la légende que nous légua la petite histoire.
Intrigué, je refis à pied le parcours des ultimes stations du saint martyr. Habitant le 4e arrondissement, je gagnai la Seine et la pointe de l'Ile, lieu présumé de la condamnation de saint Denis. Je n'y retrouvai nulle plaque ou inscription relatant ces faits, mais un moderne Mémorial de la Déportation. Je longeai le quai aux Fleurs, franchis le pont d'Arcole, saluai la Tour Saint-Jacques avant de me diriger vers Montmartre.
La nuit tombait lorsque j'arrivai rue des Abesses et priai un passant de m'indiquer la rue Antoinette.
- Désolé, je ne sais pas. Demandez au café. J'entrai au café.
- La rue Antoinette? Connais pas! Demandez à la poste!
Je me rendis d'abord à la station de métro toute proche où je consultai le plan détaillé du quartier. Je n'y retrouvai pas le nom de cette rue.
Au guichet, le préposé consulta un plan de Paris. La rue Antoinette n'y figurait pas. Je remontai à la surface, franchis le terre-plain et entrai à la poste. Nul n'y connaissait la rue Antoinette.
En sortant de la poste, j'avisai une libraire qui allait fermer. Il était près de sept heures. Je renouvelai ma demande, sans trop d'illusions. La jeune femme me répondit:
- Vous y êtes! La rue Antoinette a changé de nom il y a bien des années. C'est maintenant la rue Yvonne le Tac du nom d'une résistantedu temps de la dernière guerre.
- Ouf! vous me sauvez. Savez-vous si la chapelle du Sanctum Martyrium existe toujours au numéro 9 de la rue?
- Ça je l'ignore! Il me semble qu'il y a un couvent là-bas. Allez voir, c'est juste après le croisement avec la rue des Martyrs.
J'y allai, le cur battant, de mon pas le plus rapide.
Entre deux bâtiments sombres je découvris la façade de pierre blonde du couvent des Dames auxiliatrices du Purgatoire. Un bâtiment du XIXe siècle apparemment.
Une bonne sur très aimable me dit qu'elle regrettait mais que l'on ne visitait pas cet endroit, qu'elle ignorait qu'il y eût une crypte souterraine et que pour plus amples informations, je devais m'adresser à l'archevêché.
Je me rendis tout d'abord à la bibliothèque de la Ville de Paris, rue Pavée, proche de mon domicile, voir sur le catalogue s'il existait un ouvrage sur le vieux Paris où je pourrais trouver quelques précisions sur cette fameuse crypte des Saints Martyrs.
Non seulement le Sanctum Martyrium avait existé, mais son histoire était tout à fait étonnante! Dire que vieux Parisien, amoureux de ma ville, je l'ignorais complètement avant d'en avoir découvert des bribes dans votre revue!
De recherche en recherche, je trouvai à la bibliothèque de l'Arsenal un ouvrage très intéressant qui parlait du sacre des rois francs, mérovingiens et carolingiens et, ô surprise, j'y découvris une allusion à la fameuse crypte!
Couronnement de Pépin-le-Bref
"Pépin le Bref, fils de Charles Martel convoque en l'an 751 à Soissons une assemblée des grands du royaume qui dépose Childéric III et se fait élire roi à sa place avec la complicité du pape Zacharie et de son fidèle Wynfrith, devenu évêque et saint sous le nom de Boniface. Craignant d'être assassiné, Réfugié au monastère de Sithiu, Childéric III abdique secrètement en faveur de son fils, en présence de quelques fidèles.
Ce fut au Sanctum Martyrium que le jeune prince Caldocus, fils légitime du roi déchu, fut sacré roi par un évêque resté fidèle à la dynastie. Le texte précise que le nom de Caldocus vient du latin caldo (faire chauffer) car le prince avait hérité de ses ancêtres le pouvoir de guérir les maladies par la simple imposition de ses mains.
J'appris encore dans ce document, que la lignée des Caldocides (descendants de Caldocus ou Caldochus) par opposition aux Pipinides (descendants de Pépin) subsista jusqu'au XVIIIe siècle. Pourchassés, persécutés, exterminés, le dernier carré des loyalistes maintint pieusement et secrètement au travers des siècles la légitimité des héritiers de Childéric pour une éventuelle résurrection future. Les tourbillons de la Révolution française dispersèrent les dernières traces des Caldocides.
Ce fut lors d'une visite aux services de l'Archevêché de Paris que mes recherches confinèrent au fantastique. J'y fus reçu par un prêtre érudit et très courtois à qui j'expliquai mes découvertes.
Il me répondit le plus sérieusement du monde que tout cela faisait partie de la légende dorée et que le Sanctum Martyrium avait été détruit au siècle dernier lors de l'aménagement des carrières de Montmartre.
Mais, devant le N° 8 de la rue Ville l'Evêque, un vieux prêtre en soutane m'attendait. Le vieil homme qui marchait avec peine appuyé sur une canne, me dit, comme s'il avait lu dans mes pensées ou assisté à mon entretien de l'évêché:
- Le Sanctum Martyrium existe toujours. Je peux vous y conduire.
A petits pas, rejoignant la maison de retraite des Dominicains où il demeurait, le vieil ecclésiastique me conta cette fabuleuse histoire.
- Déposés par les Carolingiens, eux-même supplantés par les Capétiens qu'ils ont toujours considéré comme des usurpateurs, les descendants de Childéric III et de ses fidèles vassaux, entretinrent la tradition de leur légitimité.
Le lieu sacré de cette dynastie parallèle subsistant en marge de l'Histoire, est justement cette fameuse crypte du Sanctum Martyrium que vous recherchez. Loin d'avoir été détruite au siècle dernier elle fut pieusement restaurée et entretenue par les Compagnons du Devoir, séparée de la chapelle mais accessible par un couloir secret.
Abbaye de Montmartre en 1500
Nous étions arrivés sur la petite placette devant sa maison de retraite.
Le vieux prêtre me tendit une lourde chevalière d'or très ancienne ornée d'émeraudes et de rubis.
- Tenez, gardez cette précieuse relique. Nous nous retrouverons bientôt. Donnez-moi votre carte, je vous ferai signe.
Et il partit, clopin clopant, me laissant coi.
De retour chez moi, je me précipitai sur mes vieux livres d'héraldique, art dans lequel je suis fort versé. Je déchiffrai les armoiries du bijou:
"Dextrochère armé mouvant d'une nuée sur fond de gueules". Le sceau de Mérovée!
Quelques jours plus tard, le vieux prêtre m'appela et m'invita à une soirée pour le surlendemain. Curieux, voire alléché, j'acceptai et il me donna rendez-vous devant chez lui, à onze heures du soir.
Au jour et à l'heure dits, je le retrouvai, frêle silhouette chenue, recroquevillé sur sa canne. Nous prîmes un taxi pour Montmartre. Il s'arrêta à l'angle de la rue La Vieuville.
Pendant que je règle la course, le prêtre pousse la porte d'un vieil entrepôt en bois à un étage. Tout semble désert. Je le suis. Nous traversons une cour pavée et nous retrouvons devant une trappe de bois accédant à un escalier qui mène au sous-sol. Le vieillard me précède. Devant une cave, il sort d'un sac une sorte de pélerine noire à capuche, qu'il me prie de revêtir.
Nous descendons encore deux étages. Il ouvre une porte de fer rouillée à l'aide d'une clé imposante et nous voilà bientôt à dix mètres sous terre dans un boyau étroit faiblement éclairé par une veilleuse. Je suis docilement mon guide qui alluma une torche. Nous avançons dans un couloir voûté en plein cintre.
Après maints détours nous arrivons dans une vaste crypte d'une étrange blancheur, paraissant taillée dans la craie. Une étrange cérémonie liturgique se déroule dans l'oratoire.
Au centre, un trône doré, aux sculptures grossières de très haute époque, occupé par un noble vieillard couronné, à la moustache orgueilleuse et doté d'une barbe impressionnante. Autour de lui quelques nobles seigneurs en costumes antiques, assis très droits, sur des sièges de bois ouvragé et de cuir. Sur le pourtour, quatre hommes d'armes debout, vêtus de cottes, petits hauberts et jaques en écailles, portant des bannières, des oriflammes, des épées et des lances. Devant un simple autel de pierre, trois prêtres officient aux sons d'une étrange musique.
- Qui sont ces curieux personnages dans cet incroyable appareil? m'enquis-je.
- Vous voyez réunis là tous ceux qui se considèrent comme les authentiques descendants, en ligne directe des premiers rois de France.
Certains d'entre eux sont clochards, d'autres très riches, il y a parmi eux des petits fonctionnaires, des boutiquiers, des artisans, des hommes d'Eglise, des Compagnons du Tour de France, un banquier, des rentiers et de simples ouvriers. Seule l'appartenance à la plus haute noblesse les unit et les réunit quatre fois par an pour assister à une messe dans cet antique oratoire qui date des tout premiers siècles du christianisme.
Elle représente l'un des hauts lieux du mysticisme. Sainte Geneviève la désigna elle-même officiellement comme étant le lieu du supplice de saint Denis et vint y faire un pélerinage lorsque les Huns assiégeaient Paris. Dagobert lui octroya des dispenses et ce fut là, que bien plus tard, en 1534, le jour de l'Assomption, Ignace de Loyola et François Xavier firent le fameux serment de défense et de propagation de la foi catholique qui donna naissance à la Compagnie de Jésus.
Ici également, dans cette chapelle, qu'en mai 1590, Claude de Beauvilliers, âgée de dix-sept ans, trente-septième abbesse des Bénédictines dont dépendait l'oratoire, obtint d'Henri de Navarre qu'il communiât dans la foi catholique. La petite histoire prétend que ce fut contre le sacrifice de son pucelage, mais l'histoire officielle n'en retient que le célèbre "Paris vaut bien une messe!" qui évita une guerre civile.
- En somme, pour ces nobles, le véritable héritier de la couronne de France ne serait ni le Comte de Paris, ni Juan Carlos d'Espagne ou le Duc d'Anjou mais...
- Childéric VII, que vous voyez là sur son trône, né en 1904 et secrètement sacré roi de France, Neustrie, Austrasie et Bourgogne en 1945, à la mort du roi Thierry son père.
De Childéric I premier roi de France, à Childéric VII, nous voici en présence du dernier représentant de l'une des plus anciennes dynasties du monde. Nostradamus, dans un quatrain célèbre ne dit-il pas que de cette lignée sortira Clotilde I, première reine de France? Or la belle jeune fille que vous voyez là-bas, se prénomme Clotilde et Childéric n'a plus de fils!
La cérémonie achevée chaque participant reprit ses vêtements de tous les jours. Il y avait là une majorité de gens simples, aux visages plutôt ternes et fatigués, qui remontèrent en silence du souterrain vers la ville comme si rien d'exceptionnel ne s'était passé.
Patrick L. de G. - ParisRéalité ou fiction? L'existence d'une royauté parallèle refait surface de siècle en siècle. Jacques Yonnet, le regretté mémorialiste du vieux Paris relata à sa manière poétique dans l'Auvergnat de Paris cette histoire qu'il souhaitait de publier dans son ouvrage Paris ma légende resté inachevé.
Childéric III déposé par Pépin-le-Bref